« Un mouvement citoyen, un mouvement spontané, la révolte, le ras le bol des petites gens qui n’en peuvent plus, de la France d’en bas contre les élites, de la France qui se lève tôt etc »… Ces dernières semaines, les gilets jaunes ont eu droit de la part des médias, et, singulièrement, des médias les plus conservateurs, à un traitement de faveur qu’attendent en vain depuis des années les mouvements sociaux qui sont au contraire la cible des éditocrates de tout poil. Quelle indignation au printemps dernier contre les grévistes de la SNCF, ces privilégiés qui prenaient la France en otage ; contre les zadistes de NDDL, des bobos qui occupaient indument l’espace public ; contre les défenseurs des migrants, ces inconscients, tous plus ou moins islamo-gauchistes, qui ne respectent pas la loi.
Oui mais, les gilets jaunes, ce n’est pas pareil, et d’ailleurs, en plus du soutien de quasiment tous les partis politiques, ils bénéficient de la bienveillance affichée de la police qui peut ainsi réserver sa force, ses coups, ses lacrymos et ses flash ball contre les jeunes de banlieue, contre les migrants, contre les militants de Bure (qui s’en ramassent plein la figure depuis plusieurs mois) et contre tous les autres dont les luttes portent des remises en cause autrement plus significatives que le prix du carburant.
Alors, un « mouvement apolitique, spontané » ? Outre qu’ils sont quand même bien encadrés par des politiciens pas des plus recommandables, outre le fait également que les médias n’ont pas cru nécessaire de se livrer à la moindre enquête un peu sérieuse, la moindre investigation sur les initiateurs du mouvement, les gilets jaunes sont d’abord l’expression d’une démarche politique qui fait semblant de ne pas se reconnaître comme telle et qui n’ose pas dire son nom : remettre en cause l’augmentation des taxes sur les carburants mais ne rien avoir à dire sur le chômage, sur le logement, sur la santé, sur la précarité, sur les sans-papiers, sur les violences policières, sur l'état d'urgence devenu permanent, sur les fondements d’un système économique et social générateur de pauvreté et de discrimination, ce n’est ni une révolte ni une révolution mais l’expression d’un mouvement finalement très conservateur, localement aux relents factieux, sans rapport avec la justice sociale. Le degré zéro de l’action politique.
Un pays qui ne trouve matière à s'indigner que dans les taxes sur le gazole est mûr pour toutes les dictatures