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"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)

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Billet de blog 21 novembre 2025

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« Perdre ses enfants » pour l’Ukraine ?

« Si notre pays flanche parce qu'il n'est pas prêt à perdre ses enfants, parce qu'il faut dire les choses, (...), si on n'est pas prêt à ça, alors on est à risque. » Perdre ses enfants à la guerre ? Avec cette formule, le chef de l’état-major des armées françaises s’inscrit dans la lignée de tous ces chefs de guerre courageux avec la peau des autres.

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« Si notre pays flanche parce qu'il n'est pas prêt à perdre ses enfants, parce qu'il faut dire les choses, de souffrir économiquement (...), si on n'est pas prêt à ça, alors on est à risque. » Perdre ses enfants à la guerre ? Avec cette formule lancée lors du Congrès des maires de France, le chef de l’état-major des armées françaises s’inscrit sans scrupules ni remords dans la lignée de tous ces chefs de guerre, certes forts en gueule, dont les chroniqueurs s’empressent de louer le courage et la lucidité… quand ils sont surtout courageux avec la peau des autres. Car si l’on accepte la perspective de la guerre, il faut d’abord dire qui doit la faire, question à laquelle les gradés apportent leur réponse : non pas ceux-là même qui ont pourtant choisi la carrière des armes et les risques afférents mais les enfants, les enfants de la patrie, ces jeunes dont des les noms sont gravés sur les monuments aux morts, morts, selon la formule usitée, « pour la France » alors qu’en réalité on ne leur a jamais demandé s’ils avaient envie de mourir ni pour quelle raison. Et pour qu’un pays ne « flanche » pas à l’idée de « perdre ses enfants », on a inventé la conscription, principe qui fait que la guerre ne retombe plus sur ceux qui la déclarent, la provoquent, la facilitent ou s’en accommodent mais sur un inépuisable réservoir de jeunes auxquels le statut de conscrits, nullement consenti, par principe obligatoire, impose le sacrifice d’une vie qu’ils étaient en droit d’attendre plus longue.

Dans la plupart des sociétés anciennes, l’exercice de la guerre était réservé à une classe de professionnels qui en faisaient le choix. Au Moyen Age par exemple, la division tripartite de la société – ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent – pour inégalitaire qu’elle fût, légitimant les privilèges, avait au moins comme mérite de ne pas exiger, par principe, des populations civiles la participation à un conflit qui, le plus souvent, ne les concernait que de façon très lointaine, même si, inévitablement, elles en subissaient les effets collatéraux. Avec la conscription, la guerre change de nature, le décideur n’en étant plus la victime.

On peut bien se bercer d’illusions sur l’origine prétendument révolutionnaire ou républicaine de la conscription, c’est mal connaître l’histoire d’un système de recrutement massif dont l'objectif a toujours été de transformer de simples individus qui ne demandent qu’à vivre en paix, en soldats, en guerriers puis en cadavres. Bien avant la Révolution française, les armées de Louis XIV étaient pour une bonne part constituées d’hommes du peuple recrutés de force – c’est bien la définition de la conscription – pour des causes qui n’avaient rien à voir avec la défense d’un pays. La loi Jourdan (1798), souvent considérée, à tort, comme l’acte de naissance du service militaire moderne, est l’œuvre d’un régime politique, le second Directoire, davantage tourné vers le pillage de l’Europe que vers le bonheur des peuples. C’est aussi cette même armée dite « républicaine » qui ouvre la voie à la dictature militaire napoléonienne et aux charniers qu’elle laissera sur son passage à travers toute l’Europe. Quand, à la fin du 19e  siècle, la Troisième république, pour satisfaire ses ambitions nationalistes et colonialistes, se cherche un modèle militaire, c’est la Prusse qui le lui fournit, un modèle bâti sur la soumission absolue de toute une tranche d’âge à une autorité brutale, déshumanisante, indispensable pour remplir ce qui reste jusqu’à nos jours la fonction de la conscription : apprendre à des jeunes à tuer ou à se faire tuer sur ordre. 1,5 million de soldats français tués pendant la première Guerre mondiale, plusieurs millions de blessés, des chiffres du même ordre dans toute l’Europe : cet inventaire monstrueux n’empêche pas une large partie de l’opinion publique de réclamer le rétablissement  d’une institution qui reste l’une des plus totalitaires de l’histoire des hommes et des plus moralement indéfendables.

Certes mais alors l’Ukraine dans ce cas ? Si effectivement, l’agression russe peut être considérée comme déstabilisante pour l’Europe, il est difficile d’accepter les appels à la guerre et au réarmement lancés par des dirigeants qui, tous, à des degrés divers, ont contribué à consolider le pouvoir de Poutine sur son pays, manifestant une complaisance jamais démentie jusqu’à l’invasion de l’Ukraine pour un dirigeant si ouvert à l’Occident lorsqu’il s’agissait de la signature de juteux contrats économiques, portant notamment sur la fourniture de gaz naturel. Cette tendance à la bienveillance et à l’indulgence pour des régimes politiques dont on ne peut ignorer la nature est d’ailleurs une constante des diplomaties occidentales qu’il s’agisse de Saddam Hussein, de Bachar el Assad, de Kadhafi, de beaucoup d’autres, d’abord regardés comme d’honorables partenaires avant qu’on ne s’avise de leur faire la guerre…

En France, un recensement militarisé fait peser sur tous les jeunes de 16 ans la menace d’avoir à sacrifier leur vie pour rattraper les fautes de leurs aînés. S’il s’agit de faire la guerre, plutôt que de « perdre ses enfants », on suggère que les responsables politiques et militaires soient dans l’obligation de s’y mettre au premier rang. Cela pourrait rafraîchir les ardeurs…

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