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"Au lieu de se surveiller, l'éducateur surveille les enfants et c'est leurs fautes qu'il enregistre et non les siennes." (J. Korczak)

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Billet de blog 29 février 2024

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13 millions d’élèves en uniforme au service d'une communication politique

Comment, dans un pays où il n’a jamais été la norme, l’uniforme scolaire peut-il faire l’objet d’une « expérimentation étendue » sans susciter l’expression massive d’une réelle incrédulité ? Ce sujet, né en dehors de l'école, est à l’origine d’une bulle médiatique complètement irrationnelle. Mais lorsque la déraison côtoie à ce point la politique, il doit bien y avoir une raison…

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Plusieurs niveaux de lecture aux annonces gouvernementales sur l’uniforme scolaire.

Le plus classique consiste à relier ce sujet aux conceptions éducatives traditionnelles de la droite et de l’extrême-droite où dominent les préoccupations d’autoritarisme – confondu avec l’autorité – et de mise au pas des élèves et des établissements scolaires, ainsi que le refus d’envisager ce que pourrait être une école qui aurait comme priorité de transcender les inégalités sociales. En quelque sorte, l’uniforme à l’école plutôt que la justice. Inconnu, sauf très marginalement, dans l’histoire scolaire de la France et de l’Europe (Grande-Bretagne exceptée), le thème de l’uniforme, depuis une vingtaine d’années, n’a été promu sujet d’actualité que sous la pression – ahurissante, compte tenu de la nature du sujet – des politicien.nes de droite et d’extrême-droite (une vingtaine de propositions de loi déposées au Parlement), relayée avec une complicité et une complaisance jamais démenties par la majeure partie des médias. L’uniforme scolaire, s’il venait à être généralisé, ne remédierait en rien à l’échec scolaire ni ne toucherait à la nature d’un système construit de longue date sur la sélection sociale. En quelque sorte, l’uniforme scolaire pour se donner bonne conscience à peu de frais.

A un autre niveau, les annonces d’Attal et de ses successeurs illustrent, s’il en était encore besoin, le fonctionnement non démocratique, profondément autoritaire, non seulement de l’Éducation nationale mais des institutions politiques qui attribuent à l'exécutif un pouvoir exorbitant dont on n’a d’exemple dans aucune démocratie. Dans quel genre de régime politique la jeunesse peut-elle se voir imposer le port d’un uniforme sur le simple claquement de doigt d’un ministre, du président (ou de son épouse) ? Dans quel pays un ministre, un président peuvent-ils dire « je veux » à 13 millions d’élèves et à leur famille, à un million de personnels d’établissements, sans susciter un haussement d'épaules ou une vigoureuse contestation ? En Grande-Bretagne, où, d’ailleurs, nulle règlementation nationale n’existe sur le sujet, la tradition de l’uniforme s’appuie sur une autonomie réelle des établissements et non sur un oukase ministériel qu’on attend plutôt de la Russie poutinienne. Mais nous sommes bien dans la France de 2024… Le choix autoritaire de l’uniforme pour tout un pays est la marque d’un profond mépris pour les élèves et les familles, mais aussi pour les personnels des établissements, infantilisés, réduits au rang de simples exécutants des caprices officiels.

Un troisième niveau de lecture s’intéresse à la forme donnée par Attal (d’abord comme ministre de l’EN, puis comme Premier ministre) à sa communication, car il s’agit bien de communication, et plus précisément d’une mise en scène : apparaissant partout à la fois sur les plateaux télé, dans les studios de radio, bénéficiant d’une couverture médiatique surréaliste eu égard à la médiocrité du sujet (cette obséquiosité des journalistes pour un ministre !), Attal fait son show. Mais la décision qu’il annonce, péremptoire sur la forme, est en réalité beaucoup plus louvoyante sur le fond. Sans doute bien conscient que la généralisation de l’uniforme scolaire s’avérait dans l’immédiat impossible, Attal expose doctement sa théorie de l’« expérimentation » de l’uniforme, attribuant à l’école la fonction traditionnelle du lave-linge ou d’une marque de lessive, une expérimentation qui sera évaluée « scientifiquement » dans deux ans, promet-il, peut-être sous les auspices des neurosciences et du Conseil scientifique de l’éducation. Ubu, ministre…

Mais pourquoi donc dans deux ans, sinon pour repousser la date vers des échéances électorales pour lesquelles Attal semble manifester une attention plus soutenue que pour son travail quotidien de (Premier) ministre. C’est sans doute dans cette optique que sa cellule de communication a imaginé un curieux système de financement de l’uniforme scolaire, entièrement à la charge de la collectivité, dans le but d’écarter au moins momentanément une contestation trop vive des familles. Momentanément, car il vaut sans doute mieux laisser dans l’ombre ce qui suit : si l’on estime à 300 euros en moyenne le coût moyen d’un uniforme (c’est le cas en Angleterre), son extension à 13 millions d’élèves générerait une dépense publique annuelle approchant les 4 milliards d’euros, somme à laquelle il faudrait d’ailleurs rajouter les 3 milliards prévus pour la généralisation du SNU. La mise au pas de la jeunesse, vieux fantasme de la droite et de l’extrême-droite aurait donc un coût qu’une « expérimentation » limitée permet provisoirement d’occulter. 7 milliards d’euros ponctionnés sur la richesse publique dans un pays où 20 % des élèves vivent sous le seuil de pauvreté et où plusieurs milliers d’entre eux dorment la nuit dans la rue, 7 milliards d’euros rien que pour relayer le rêve de toute puissance et concrétiser la pitrerie de politiciens à la chasse aux électeurs.

Ce qu’attend Attal d'une bruyante campagne de communication, arrogante et décomplexée, c’est donc une forme de retour sur investissement : peu importe à la limite que, la décision revenant en la matière aux conseils d’école et aux conseils d'administration des établissements, l’uniforme scolaire ne touche finalement qu’un nombre limité d’élèves, cette indécente opération de communication aura surtout pour objet de conforter l’image d’Attal dans l’électorat de droite et d’extrême-droite. Indécente, car il faut une nouvelle fois poser la question de l’instrumentalisation du service public d’éducation au bénéfice des ambitions personnelles du pouvoir en place, ce qu’autorise un système éducatif centralisé, quasi absolutiste, construit autour de l’obéissance indiscutée à l’autorité supérieure. Avec le principe de l’uniforme scolaire, les personnels, les parents, les élèves – avec une excuse pour ceux-ci, par nature contraints – sont comme un rouage dans la promotion de la carrière de politicien.nes qui n’ont plus de légitimité à la tête d’une administration censée représenter l'intérêt général.

Refuser l’uniforme à l’école : il suffirait d’un peu de courage et de discernement de la part des personnels, des parents et même des élèves (pour les plus grands…) pour contrecarrer les ambitions d’Attal et surtout redonner sens et la crédibilité à une Éducation nationale qui n’en a plus guère.

Courage et discernement que n’ont manifestement pas eus les enseignant.es de Béziers rentrant avec une facilité déconcertante – qui laisse mal augurer de l’avenir – dans le jeu d’un politicien d’extrême-droite. A l'école, comme ailleurs, les valeurs de la république s'accommodent de toutes les compromissions. C'est sans doute dans leur nature...

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