On l'appelait Nadjé.
Il s'est laissé couler dans la Loire à Tours où il habitait depuis de nombreuses années, après avoir quitté Paris où il était journaliste, marié et père. Il venait de la Côte d'Ivoire à l'origine mais je l'ai connu à Tours, où il laisse aussi un enfant, Vincent. J'ai un peu connu aussi ses "femmes" tourangelles, Evelyne, Solange. C'était un ami. Il avait cette folie que j'aime chez ceux qui savent rester en même temps simplement humains (ce qui manque beaucoup de nos jours...).
Sur ce bord de Loire, des "punks" accompagnés de leurs chiens ont pleuré.
Nadjé aimait les poètes (mais je n'ai jamais su pourquoi, il avait quelque chose contre Arthur Rimbaud que moi je vénérais presque... bref), il était lui-même poète, mais plus que ça encore...
Qui ne l'a pas connu ou simplement croisé dans les rues de Tours où il ne pouvait jamais s'empêcher d'interpeler les gens : "Papa! ", "Mama!" ? Si on acceptait de s'arrêter et de converser avec lui, il démontait vos convictions, il vous rappelait vos origines, il vous criait avec son coeur que le monde était effrayant et qu'il fallait réagir, ne pas se laisser entraîner vers la mort de l'amour, de l'incompréhension entre nous, ses semblables, vers la mort de cette humanité qui est en chacun de nous. Il appelait à l'insurrection des consciences avec une telle ingénuité, un tel pacifisme que même les services de la police municipale ne l'ont jamais inquiété. Pourtant, il en a dérangés des gens, tourangeaux, touristes, "bien pensants"!
Evidemment, comme nous tous, il avait aussi ses travers, ses défauts, ses faiblesses et beaucoup ne lui ont pas pardonné ses excès. J'ai fait partie de ces gens qui lui en ont voulu parce que par deux fois, ses excès l'ont amené à se perdre lui-même et il m'a fait peur... J'ai cessé de le voir mais après une quinzaine d'années, lorsque je l'ai croisé dans la rue et que je l'ai appelé, il ne m'a pas reconnue. L'alcool avait accompli son oeuvre...
Aujourd'hui, il est mort et je voudrais que les messages essentiels qu'il a laissés, à sa façon, dans les rues de Tours et dans les endroits qu'il fréquentait le plus souvent (chez les uns, chez les autres) reviennent à notre mémoire.
Nadjé était une sorte de Saint.