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Billet de blog 21 janvier 2014

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Il était une fois, l'Afrique... 1/3

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

      Ce jour-là, il était très fatigué. Mille fois las de répéter toujours la même chose à ceux qu'il rencontrait, mille fois déçu de constater qu'ils ne l'avaient pas écouté, il alla s'isoler au pied d'un hêtre pleureur, dans un jardin remarquable, au bord d'un plan d'eau recouvert de nénuphars, lieu où il savait qu'on ne viendrait pas le déranger.

Quelle chienlit, pensait-il, les gens sont vraiment des imbéciles! Ils vont direct vers la catastrophe et moi, "le brave type" comme ils disent - ce que je ne supporte pas d'ailleurs, je ne veux pas être un brave type, je ne suis pas un brave type - , je m'entête à leur démontrer qu'ils font une erreur, à leur proposer d'autres voies... ça me tue de voir ça! L'autre mignonne, par exemple, elle est en train de se perdre en sortant avec un escroc nullissime de première. Croyez-vous qu'elle va le lâcher ? Non, elle persiste à me dire que je me trompe, qu'il n'est pas comme les autres et patati et patata... Ah, les femmes!

En même temps qu'il se parlait à lui-même, il poussa un grand soupir qui fit virevolter quelques feuilles de l'hêtre détachées autour de lui.

Une jeune femme qui passait sur le chemin gravillonné à quelques mètres d'où il était assis l'entendit, elle s'arrêta, regarda autour d'elle, ne vit rien, fit demi-tour, repartit de nouveau en sens inverse, s'arrêta, revint sur ses pas et, soudain, l'aperçut, toussa et engagea la conversation :

- Pardonnez-moi si je vous dérange, dans votre méditation peut-être, mais est-ce que je peux vous demander quelque chose ?

Noussume - c'était le prénom du "brave type" -, charmé par la politesse inhabituelle à cette époque, de la jeune femme, s'empressa de lui répondre :

- Y'a pas de problème, vous pouvez venir vous assoir ici à côté de moi.

- Oh, merci, c'est gentil!

Elle vint poser délicatement ses fesses sur la terre mêlée de feuilles séchées; les genoux joints, elle passa ses bras autour d'eux.

- Et bien, que me vaut l'honneur...

- ... de ma visite ? C'est tout simple. Je suis journaliste et je fais une enquête sur les motivations des personnes qui fréquentent les Jardins publics. Comme celui des Sinécures est tout proche de chez moi, je viens là souvent. Je vous ai trouvé dans un endroit insolite et je me suis dit "celui-là, il a des choses intéressantes à me dire". Je n'ai pas raison ?

Noussume devait s'avouer que cette fille lui plaisait. Elle n'avait pas les deux pieds dans le même sabot. Son sourire le submergeait d'une émotion qu'il n'avait pas éprouvée depuis longtemps. Cependant - ce qui n'était pas permis à tout le monde - il possédait une parfaite maîtrise de lui-même.

- Originales, je ne sais pas...

- ... j'en suis sûre.

- Vous avez l'habitude comme ça de couper la parole aux gens ?

- Oh non! Je suis déso...

- ... ce n'est pas grave, je plaisantais.

Ils rirent tous les deux. Le courant était passé.

- Alors... ? demanda-t'elle.

- ... Noussume.

- Alors, Noussume, vous me dites pourquoi vous aimez être ici ?

- C'est simple : pour oublier mes contemporains.

- Moi aussi ?

Elle avait dit ça très vite, spontanément, ce qui n'était pas prévu dans ses manières de procéder journalistiques.

- Non, bien sûr que non, je dis ça en général.

- Ouf!

Ils souriaient tous les deux. Noussume revint à leurs moutons :

- Je ne viens pas souvent ici, j'habite plus haut au nord de la ville mais j'aime me retrouver seul pour décompresser, méditer comme vous disiez... mais... Moi, c'est Noussume et vous ?

- Calliope.

- Ah. C'est de quelle origine ?

- Mythologique. Ma mère était fan de ces histoires.

- Ah. Et qui était Calliope dans la mythologie ?

- C'est une des neuf Muses, elle protège la poésie épique et l'éloquence.

- Hou lala! C'est une lourde charge!

- Il y a pire.

- Quoi donc ?

- Son père, c'était Zeus/Jupiter lui-même.

- Je me disais aussi... vous avez un petit quelque chose de divin...

Noussume se tut et attendit une question de Calliope qui ne vint pas. Elle était redevenue professionnelle :

- Il vous arrive de lier conversation avec des gens qui se promènent ici ?

- Non, jamais. Vous êtes la première.

- Les arbres, les différentes plantes, les fleurs que l'on entretient ici, est-ce que vous vous attardez à les regarder ?

- Non. Je les vois sans les regarder.

- C'est un peu dommage, non ?

- Pourquoi ?

- Heu... parce qu'elles sont belles, simplement.

Elle se mit à rougir un peu, Noussume s'en aperçut et détourna la tête.

- J'en ai dans mon propre jardin, enfin, celui de mes parents, j'ai donc très souvent l'occasion de les admirer, quand j'arrose par exemple.

- Oui, je comprends.

- En revanche, je sais admirer une belle femme et vous êtes belle Calliope.

Elle ne sut plus quoi dire.

(à suivre)

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