Les sociétés libérales sont les premières victimes des conflits qui secouent le monde a fortiori si les perspectives de développement ne répondent plus aux attentes populaires. En dépit de profondes incertitudes et de signaux alarmants, l’Europe est parvenue jusqu’à ce jour à contenir cette menace mais les deux nouveaux conflits qui se déploient non loin de ses frontières sont susceptibles d’altérer la donne. Les effets ne seront pas immédiats mais s’ils se confirment, ils seront néfastes pour nos démocraties comme pour notre développement économique. Les fulminations de Poutine vont évidemment dans ce sens, et même si elles n’ont aucune crédibilité provenant d’une dictature à bout de souffle, elles suscitent toutefois encore des ralliements dans certaines couches populaires. Dans ce même contexte, le conflit au Moyen-Orient est de nature à provoquer des effets encore plus délétères dans la mesure où ils sont liés à un pays s’inscrivant dans l’orbite des Etats démocratiques et que la folie meurtrière déclenchée à Gaza par l’Etat israélien n’a pas été condamnée par les régimes démocratiques européens.
« De la rivière à la mer » est l’expression de la volonté politique israélienne de s’approprier depuis plusieurs décennies l’ensemble de la Palestine, à travers l’implantation rigoureuse et systématique de colons, sur l’ensemble de l’espace arabe palestinien. Diverses factions palestiniennes, voire d’autres acteurs régionaux, s’inspirent de ce slogan pour, à leur tour, revendiquer l’ensemble de la Palestine en refusant à Israël le droit de s’établir sur une partie de la Palestine.
La communauté internationale et les Nations Unies sont intervenues à maintes reprises pour résoudre ce conflit sur la base d’un partage du territoire palestinien en deux Etats, une proposition qui a toujours été refusée par Israël. Le conflit potentiel inévitable qui en découle met en regard d’un côté une puissance régionale dotée de l’arme nucléaire disposant de tous les moyens pour réaliser ses objectifs et, de l’autre côté, un embryon d’Etat avec une population exsangue qui ne peut survivre sans une aide financière extérieure.
Jusqu’au 8 octobre 2023, les contingences historico-politico-religieuses de ce conflit et ses implications internationales ont permis d’éviter un affrontement direct. Mais au lendemain d’une action terroriste abjecte particulièrement meurtrière déclenchée par l’une des factions politiques palestiniennes, le gouvernement israélien s’est engagé à éliminer toute résistance à son souhait d’occuper toute la Palestine.
L’anéantissement total de la zone de Gaza, les bombardements sur la population civile, les violences indescriptibles contraires à toutes les règles du droit international couplées à l’occupation brutale de toute la Palestine par l’armée et les colons israéliens ont toutes les caractéristiques d’un génocide initié par un Etat riche surarmé au détriment d’une population palestinienne démunie.
Le déchaînement de l’appareil militaire israélien jette une lumière cruelle sur les errances programmées inhérentes au dessein de tout Etat religieux. Le reflux massif vers l’Europe et l’Amérique du Nord, depuis de nombreux mois, des élites ashkénazes qui contribuèrent à la gloire d’Israël confirme s’il le faut encore l’inanité des choix monstrueux opérés par le gouvernement israélien. L’intervention israélienne dépasse désormais de loin ses visées territoriales sur la Palestine avec le risque d’affecter vraisemblablement dangereusement la stabilité fragile d’une Europe en devenir qui a misé sur la coopération pacifique pour assurer son développement. Elle interpelle aussi l’approbation tacite de nombreux Etats occidentaux qui n’ont pris, jusqu’à ce jour, aucune mesure concrète pour stopper, voire endiguer des actions totalement contraires au droit international.
Dans un espace mondialisé, le rôle moteur de l’Occident et singulièrement de l’Europe, est de plus en plus décrié par les élites et les oligarchies de pays en développement qui n’entendent en rien céder le contrôle qu’ils exercent sur la conduite de leurs affaires. Ce sentiment anti-européen tend encore à se durcir avec l’émergence d’une coalition disparate d’Etats du Sud, le « Global-Sud » qui trouvent, par ce biais, une justification à leur opposition aux anciennes puissances coloniales. Dans ce contexte, la colonisation israélienne des territoires palestiniens ne peut qu’aggraver les polarisations nord-sud préexistantes.
Alors que la voix de l’Occident est déjà fortement contestée dans les forums internationaux, la cécité d’une majorité de gouvernements occidentaux face à la colonisation de toute la Palestine délégitime leur parole et corrode les fondements démocratiques sur lesquels ces pays ont construit leur identité d’Etat-nations soucieux du respect de la norme internationale. Le renforcement de cette opposition intervient alors que la voie libérale et démocratique est contrecarrée de l’intérieur par la montée du populisme et par la subordination des institutions aux forces du marché.
Les attaques du « Global-Sud » indépendamment de leurs éventuelles légitimités, affectent d’autant plus les démocraties occidentales qu’elles amplifient en Europe et aux Etats-Unis, une attitude de rejet de l’étranger, en ciblant notamment les populations arabes, africaines et sud-américaines, bouc émissaires responsables de tous les dysfonctionnements socio-politiques qui ébranlent l’Occident.
Ces développements sont de nature à susciter dans les démocraties occidentales un amalgame dangereux entre, d’une part, des forces traditionnellement xénophobes et, d’autre part, les forces ultra-conservatrices mobilisées par de puissants lobbies qui ne tolèrent plus, en ce début de vingt-et-unième siècle, l’accroissement des libertés individuelles et le rôle disruptif d’une société civile susceptible de freiner leurs propres ambitions.
Dans ce contexte général défavorable, il devient urgent que l’Europe se mobilise, à l’instar du soutien qu’elle a d’emblée exprimé en faveur de l’Ukraine, pour exiger la fin immédiate du génocide en cours et pour garantir, dans le cadre des Nations Unies, sur la base du droit international, le concept d’une Palestine partagée en deux Etats démocratiques indépendants et égaux. Cela passe également par la reconnaissance pleine et entière de la Palestine par tous les Etats européens ainsi que par le lancement simultanément d’une négociation pour instaurer un dialogue euro-méditerranéen, largement ouvert à toutes les parties intéressées, visant au développement d’une Charte euro-méditerranéenne de coopération et de sécurité. A défaut de tels engagements, les Etats européens et l’Europe elle-même risquent de mettre en péril leur identité démocratique qui constitue leur meilleur atout sur la scène internationale et auprès de toutes les populations victimes de régimes dictatoriaux.