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Billet de blog 2 septembre 2025

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Palestiniens emprisonnés en Israël : illégalité et enjeux éthiques

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Introduction

Depuis sa création en 1948, Israël a un long passé de politiques illégales et inhumaines envers la population palestinienne, en commençant par leur expulsion forcée à différentes périodes, la confiscation de leurs terres et leur privation des activités sociales et économiques essentielles. En l’absence de tout principe juridique et de toute contrainte imposée par la communauté internationale et les institutions, notamment les pays occidentaux, Israël a eu les mains libres pour appliquer ses politiques illégales et immorales à l’encontre de la population palestinienne.

L’un des domaines les plus importants de ces actes illégaux est celui des arrestations et détentions arbitraires, de l’emprisonnement, de la torture et des mauvais traitements infligés aux Palestiniens, indépendamment de leur genre (hommes, femmes, enfants), de leur âge ou de leur statut social. Israël a poursuivi cette politique pendant des décennies. Cependant, elle s’est accélérée ces dernières années avec l’arrestation et la détention massives de milliers de Palestiniens, souvent pour des motifs infondés, à Gaza et en Cisjordanie, notamment depuis octobre 2023. Par exemple, de nombreux hommes, femmes et enfants ont été arrêtés et détenus simplement pour avoir revendiqué leurs droits fondamentaux ou dans le cadre d’activités telles que le contrôle et le renseignement, souvent sur des bases juridiques floues. Cela soulève de graves inquiétudes concernant la détention arbitraire et, dans certains cas, la disparition forcée. Bien que la législation et les institutions israéliennes ne reconnaissent pas officiellement de tels actes illégaux, dans la pratique, ils sont appliqués contre les Palestiniens, y compris ceux qui sont légalement considérés comme citoyens israéliens et qui devraient, en principe, être protégés par la loi israélienne.

L’analyse présentée dans cet article est basée principalement sur des sources officielles et des données publiées par des organisations israéliennes de défense des droits humains et, dans certains cas, par des organisations internationales agissant dans le cadre des Nations unies.

Cela permet de porter un jugement équitable et objectif sur les informations discutées ici.

Cet article repose sur mon analyse des données recueillies auprès de sources israéliennes fiables, notamment des organisations de défense des droits humains comme B’Tselem (Centre israélien d’information pour les droits humains), HaMoked (Centre pour la défense de l’individu) et Addameer (institution civile palestinienne non gouvernementale)[i].  L’analyse est exclusivement la mienne, bien que je me réfère, dans certains cas, aux rapports du Conseil des droits de l’homme présentés à l’Assemblée générale des Nations unies, en particulier les divers rapports préparés par Mme Francesca Albanese, Rapporteuse spéciale du Conseil des droits de l’homme et juriste experte en droits humains sur la situation dans les territoires palestiniens occupés.

Les principaux thèmes sont brièvement discutés ci-dessous :

Nombre de Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes

Au fil des années, Israël a incarcéré des centaines de milliers de Palestiniens dans ses prisons, qui ont toujours servi, avant tout, d’outil d’oppression et de domination de la population palestinienne. Selon les données fournies par le Service pénitentiaire israélien (IPS) et recueillies par HaMoked, confirmées par B’Tselem et Addameer, au moins 11 000 Palestiniens sont détenus dans les prisons israéliennes.

Septembre 2025

Sujet

Nombre/Pourcentage (approx.)

Prisonniers « sécuritaires » condamnés

1 450

13,1

Prévenus « sécuritaires

3 351

30,4

Détenus administratifs

3 577

32,4

Détenus « combattants illégaux »

2 662

24,1

Total détenus

11 040

100

« Détenus sécuritaires » dans les prisons situées en Israël
Données fournies par le Service pénitentiaire israélien
Mise à jour : 01.09.2025
https://hamoked.org/assets/images/prisoners/prison-553836_1920@2x.jpg

Comme l’indique le tableau ci-dessus, en août 2025 Israël détenait 1 450 prisonniers condamnés, 3 351 prévenus en détention provisoire et 3 577 détenus administratifs sans procès en attente de condamnation. Israël détient également 2 662 personnes qualifiées de « combattants illégaux ». L’écrasante majorité de ces détenus « sécuritaires » sont des Palestiniens originaires des territoires occupés (TPO).

Détenir des prisonniers provenant des TPO à l’intérieur d’Israël constitue une violation flagrante de la Quatrième Convention de Genève (1949), qui interdit le transfert de prisonniers hors du territoire occupé, et viole également les droits fondamentaux consacrés notamment par le droit israélien. L’article 4 de la Convention précise que « sont protégées par la Convention les personnes qui, à un moment donné et de quelque manière que ce soit, se trouvent, en cas de conflit ou d’occupation, au pouvoir d’une Partie au conflit ou d’une Puissance occupante dont elles ne sont pas ressortissantes ». Ce cas s’applique pleinement aux civils palestiniens vivant dans les territoires occupés sous contrôle israélien.

Quelques précisions sont importantes concernant ces chiffres :

  • Depuis novembre 2023, les données incluent les Palestiniens de Gaza détenus en vertu de la Loi israélienne sur l’incarcération des combattants illégaux (5762-2002). Mais elles n’incluent pas ceux détenus directement par l’armée israélienne.
  • La catégorie de « combattant illégal » – qui n’existe pas en droit international – est définie par la loi israélienne comme « une personne ayant participé, directement ou indirectement, à des actes hostiles contre l’État d’Israël, ou membre d’une force perpétrant de tels actes, et ne remplissant pas les conditions prévues à l’article 4 de la Troisième Convention de Genève (1949) relatives au statut de prisonnier de guerre ».

HaMoked et B’Tselem rapportent que le nombre de Palestiniens incarcérés a toujours été élevé au cours des dernières décennies. Toutefois, depuis le 7 octobre 2023, ce nombre a fortement augmenté. Juste avant cette date, Israël détenait 5 192 Palestiniens classés comme « prisonniers sécuritaires », dont environ 1 319 en détention administrative sans procès. En juillet 2024, ils étaient déjà 9 623, dont 4 781 détenus sans procès, sans accès aux accusations portées contre eux, ni droit de se défendre. Comme le montre le tableau ci-dessus, en août 2025 ce chiffre dépasse désormais 11 000.

Dans un rapport documenté publié par B’Tselem en août 2024 intitulé « Bienvenue en enfer », l’organisation a recueilli les témoignages de 55 Palestiniens sur les mauvais traitements et conditions inhumaines en détention.

Au regard de la population totale d’Israël, incluant ses citoyens palestiniens, le nombre de Palestiniens emprisonnés est particulièrement significatif. Israël compte un peu plus de 9 millions d’habitants, dont environ 7 millions de citoyens juifs et 2 millions de citoyens palestiniens. Les territoires palestiniens comptent environ 5 à 6 millions d’habitants, dont plus de 3 millions en Cisjordanie et plus de 2 millions à Gaza. La majorité des Palestiniens arrêtés et détenus viennent de Cisjordanie. En tenant compte également de ceux qui ont été arrêtés, emprisonnés puis libérés au fil des décennies, il apparaît qu’une grande partie de la population palestinienne a connu l’expérience de la prison israélienne. Ces chiffres n’incluent pas les détenus de Gaza incarcérés directement par l’armée israélienne.

Détention administrative : questions de légalité et rôle des tribunaux israéliens

Comme le souligne un article publié par HaMoked (Tamar Pelleg-Sryck)[ii] selon la politique israélienne, tout Palestinien peut être arrêté et détenu sous le régime de la détention administrative, pour des motifs liés à la « sécurité de l’État », au « soutien au terrorisme », à des « activités militaires », et plus largement à des fins préventives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

La détention administrative est un outil commode aux mains de l’armée israélienne en raison de sa flexibilité : il suffit de la signature d’un commandant militaire, appuyée sur des « informations secrètes » fournies par les services de sécurité intérieure. Un ordre est délivré pour six mois, mais il peut être renouvelé indéfiniment, permettant ainsi un emprisonnement de longue durée sans inculpation ni procès.

La loi en vigueur figure dans les articles 284 à 294 du « Code pénal israélien : Ordonnance relative aux dispositions sécuritaires (version consolidée) (Juda et Samarie) (n°1651), 2009 ».

Cette pratique n’est pas conforme au droit international :

  • Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 9) : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ou exilé. »
  • Quatrième Convention de Genève (art. 78) : autorise l’internement pour des « raisons impérieuses de sécurité », mais insiste sur leur caractère exceptionnel.

Aujourd’hui, 3 577 Palestiniens (environ 33 % de tous les détenus) sont emprisonnés sous le régime de la détention administrative, ce qui contredit clairement l’esprit et la lettre du droit international.

La Cour suprême d’Israël a elle-même rappelé que cette mesure ne doit être utilisée qu’« à titre préventif, en dernier recours, et ne peut se substituer à des poursuites pénales lorsqu’elles sont possibles ». En pratique, toutefois, les tribunaux militaires détiennent le dernier mot et appliquent largement cette procédure.

Il existe des aspects particulièrement préoccupants de cette politique, notamment la sévérité des peines infligées (très longues peines de prison) ainsi que l’arrestation de femmes et d’enfants.

Peines de perpétuité et prisonniers anciens

Selon l’Organisation internationale de solidarité avec les prisonniers palestiniens (TADAMON) :

  • 583 prisonniers palestiniens ont été condamnés à la réclusion à perpétuité (99 ans).
  • Le record est détenu par Abdullah Barghouti (67 perpétuités), suivi par Ibrahim Hamed (54 perpétuités).
  • 627 prisonniers sont détenus depuis plus de 20 ans sans interruption.
  • 40 prisonniers sont détenus depuis plus de 25 ans.
    (Source : Addameer, 14 décembre 2024)

Détenus mineurs et femmes

Selon Addameer :

  • Au 7 janvier 2025, plus de 300 mineurs palestiniens de moins de 18 ans étaient emprisonnés.
  • Depuis le 7 octobre 2023, les arrestations de mineurs ont fortement augmenté, atteignant environ 760 (Club des prisonniers palestiniens, 7 janvier 2025).

Le même organisme rapporte que 89 femmes sont actuellement détenues dans les prisons de l’occupation israélienne. Depuis octobre 2023, environ 450 femmes de Cisjordanie, de Jérusalem et des territoires occupés en 1948 ont été arrêtées. Certaines restent emprisonnées, d’autres ont été libérées.

Conclusion

En résumé, l’histoire des relations Israël–Palestine au cours des sept dernières décennies montre clairement qu’il n’existe pas de solution militaire. Les politiques agressives menées par l’armée et le gouvernement israéliens n’apportent ni sécurité ni paix à leurs citoyens. Les violations des droits humains par les détentions arbitraires des Palestiniens, telles qu’exposées dans cet article, alimentent davantage la violence, et les générations futures ne resteront pas indifférentes face à ces agressions.

Tous les efforts doivent être entrepris pour mettre fin à ce conflit et rétablir la paix et la prospérité pour les peuples israélien et palestinien. Cette tâche est difficile, mais il s’agit de la seule solution viable.

Il est essentiel de reconnaître la contribution précieuse des organisations de défense des droits humains, israéliennes (HaMoked, B’Tselem) comme palestiniennes (Addameer), dont les données ont servi de base à la préparation de cet article et à mon analyse.

Bahram Soltani

Professeur et chercheur associé à l’Université de Paris Panthéon Sorbonne

[i] En définissant ses missions, B’Tselem précise qu’il est un Centre israélien d’information pour les droits humains dans les territoires occupés. Il œuvre pour un avenir dans lequel les droits humains, la liberté et l’égalité sont garantis à tous — Palestiniens comme Juifs — vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée.

HaMoked (Centre pour la défense de l’individu) est une organisation israélienne de défense des droits humains, indépendante et financée exclusivement par des particuliers et des institutions en Israël.

Addameer est une institution civile palestinienne non gouvernementale qui œuvre au soutien des prisonniers politiques palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et palestinienne

[ii] Tamar Pelleg-Sryck, La détention administrative dans les territoires palestiniens occupés – Questions de légalité.(titre original : Tamar Pelleg-Sryck, Administrative Detention in the Occupied Palestinian Territories – Questions of Legality).

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