8 07 2025
Israël, États-Unis et l’Iran : les fondements de la « guerre juste » à l’épreuve
Le pouvoir iranien présente un lourd passif en matière de droits humains, de principes républicains et de gestion économique. Depuis 1979, la République islamique a manqué l’occasion d’instaurer une relation équitable avec la population — classes populaires, pauvres, classe moyenne — et a laissé se développer une corruption généralisée au profit d’une minorité aisée représentant moins de 5 % de la population, qui transfère les richesses à l’étranger au détriment de l’intérêt national.
Parallèlement, l’Iran a été confronté à des agressions extérieures : guerre avec l’Irak soutenue par l’Occident, sanctions économiques massives, et infiltrations d’agents israéliens et occidentaux. Les frappes israéliennes du 13 juin 2025, suivies des bombardements américains du 20 juin visant les sites nucléaires iraniens, constituent l’un des événements les plus graves depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022.
Les conséquences sont dramatiques pour l’Iran : morts de hauts responsables militaires, d’experts et de scientifiques du nucléaire, plus de six mille victimes civiles (morts et blessés) , destruction d’infrastructures nucléaires et lourdes pertes économiques. Israël, bien que touché, l’a été dans une moindre mesure.
Ce texte propose une analyse juridique et morale fondée sur les normes internationales (Charte de l’ONU, Conventions de Genève, droit humanitaire de La Haye) et la doctrine de la ‘guerre juste (Jus ad Bellum)’, selon laquelle une guerre ne peut être juste que si elle repose sur une cause légitime, le dernier recours, une autorité légale, une intention droite, une proportionnalité des moyens, et une chance raisonnable de succès. Aucune de ces conditions n’est remplie dans le cas présent. Israël, doté de l’arme nucléaire, et les États-Unis, superpuissance militaire et économique, ont attaqué un État non nucléaire, militairement affaibli et sous sanctions depuis 1979. L’argument selon lequel l’Iran chercherait à se doter de l’arme nucléaire ne saurait justifier une telle attaque.
L’Iran, sous embargo depuis 1980, a résisté à une guerre de huit ans contre l’Irak. Il a survécu à une pression internationale constante, malgré ses faiblesses. L’attaque de 2025 intervient alors que l’Iran participait à un processus de négociation nucléaire — cinq séries finalisées, une sixième en préparation — ce qui suggère que l’objectif des frappes était un changement de régime par l’élimination physique de l’élite scientifique et militaire.
L’AIEA, censée assurer un contrôle impartial, applique une politique à deux vitesses : inspections en Iran (signataire du TNP-Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires), absence totale de contrôle en Israël, pourtant doté de centaines d’ogives. Cette partialité, tolérée par l’Occident, mine la légitimité de l’ordre international.
Les attaques israélo-américaines contre l’Iran n’ont aucune base légale : absence de mandat du Conseil de sécurité, non-respect du critère du dernier recours. La Charte des Nations Unies interdit l’usage unilatéral de la force (article 2(4)) et réserve au Conseil de sécurité le pouvoir de constater une agression (articles 39 à 42). L’Iran, lui, conserve le droit à la légitime défense (article 51).
Israël n’aurait pu agir sans le soutien total des États-Unis : soutien politique (veto répété au Conseil, 45 fois depuis 1945), coopération militaire stratégique, et soutien financier (10 milliards de garanties de prêt via l’USAID). Ce dispositif est consolidé par le lobbying d’AIPAC, en violation de la loi Leahy (1961)[i], qui interdit l’aide militaire américaine à des États auteurs de violations graves des droits humains. En cas de défaut israélien, le Trésor américain rembourse sous trois jours ouvrables.
L’Europe (Royaume-Uni, France, Allemagne) est aussi impliquée : transmission de renseignements militaires, silence politique complice. Plusieurs pays arabes, hébergeant des bases américaines, facilitent ces opérations.
Ces attaques s’inscrivent dans la continuité des interventions israéliennes : guerre de 1967, Liban, Gaza, Cisjordanie (plus de 60 000 morts), Syrie. Bien que des civils israéliens aient aussi souffert, l’absence de volonté d’une paix durable et d’une solution à deux États est manifeste.
Israël, avec l’appui occidental, poursuit une stratégie régionale inspirée du plan « Clean Break » (1996, Netanyahu). Cette politique d’expansion, qualifiée de « guerre sale », vise à renforcer l’influence israélienne par l’assassinat ciblé et la déstabilisation régionale.
L’« assassinat ciblé », pratiqué depuis la création d’Israël, est l’un des instruments les plus controversés de cette stratégie. Avant juin 2025, 339 personnes avaient été tuées dans ce cadre. Depuis, environ 70 généraux, scientifiques et universitaires iraniens ont été éliminés, parfois avec leurs familles, sans base juridique internationale. La Cour suprême israélienne tolère cette pratique sous certaines conditions, tout en réaffirmant la protection des civils.
Ces pratiques sapent les normes post-Seconde Guerre mondiale. Elles banalisent l’exécution extrajudiciaire, violent le droit à la vie et affaiblissent le principe de souveraineté. Leur tolérance institutionnelle ouvre la voie à une insécurité juridique mondiale.
« Ce conflit met également en lumière un lourd passif des puissances occidentales : le coup d’État orchestré par la CIA et le MI6 contre Mohammad Mossadegh en 1953, Premier ministre démocratiquement élu, pour avoir voulu nationaliser le pétrole iranien ; l’exil de Reza Shah imposé par les Britanniques en 1920 ; l’abandon de son fils Mohammad Reza, grand allié de l’Occident, en 1979 ; et, aujourd’hui, le soutien apporté à son fils Reza Pahlavi par Israël et les États-Unis dans une perspective de changement de régime en Iran — un objectif qui, pour l’heure, ne correspond pas à la volonté du peuple iranien, profondément nationaliste, et actuellement sous les bombardements d’Israël et des États-Unis.
Depuis plus de quarante ans, les sanctions économiques frappent l’Iran, affectant surtout les civils sans provoquer le changement politique recherché. L’Iran a payé un lourd tribut humain, scientifique et économique. Mais à terme, l’Occident pourrait également en payer le prix moral et stratégique pour avoir mené des politiques sélectives et injustes à l’égard d’un État souverain.
Ce contexte est un signal d’alarme pour le pouvoir iranien. Il doit saisir cette crise comme une opportunité pour instaurer la justice sociale, démanteler les réseaux d’influence israélo-occidentaux, éradiquer la corruption et rétablir la confiance du peuple. Sinon, l’Iran, pays millénaire, deviendra une cible soumise aux ambitions d’Israël, des États-Unis et des grandes puissances européennes (Royaume-Uni, France et Allemagne).
Les récents événements montrent que le danger vient surtout de l’intérieur de l’Iran : dysfonctionnements institutionnels, infiltration, perte de légitimité. L’ennemi connaît ces failles.
L’Iran ne survivra pas à cette guerre sans réaction rapide. Le pouvoir a besoin du soutien du peuple, non d’une minorité corrompue. Il faut faire confiance à la majorité des Iraniens, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Sinon, c’est l’identité nationale et l’intégrité territoriale de l’Iran qui seront en péril.
Bahram Soltani
Professeur et chercheur associé à l’Université de Paris Panthéon Sorbonne
[i] La « loi Leahy » fait référence à deux dispositions législatives interdisant au gouvernement des États-Unis d’utiliser des fonds pour fournir une assistance à des unités de forces de sécurité étrangères lorsqu’il existe des informations crédibles impliquant ces unités dans de graves violations des droits de l’homme (GVHR). L’une de ces dispositions s’applique au Département d’État, et l’autre au Département de la Défense.
https://www.state.gov/key-topics-bureau-of-democracy-human-rights-and-labor/human-rights/leahy-law-fact-sheet/