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Billet de blog 24 octobre 2025

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Agressions occidentales et israéliennes contre l’Iran-enjeux juridiques et politiques

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Anatomie des agressions des puissances occidentales et d’Israël contre la souveraineté de l’Iran : actes illégaux, immoraux et motivés par des intérêts cachés

Cet article met brièvement en lumière plusieurs événements majeurs relatifs aux relations tumultueuses entre l’Iran, en tant qu’État souverain, et les politiques agressives des grandes puissances occidentales, notamment les États-Unis, la Grande-Bretagne, d’autres pays occidentaux, l’Union soviétique et Israël, depuis le siècle dernier jusqu’à aujourd’hui.
Ces événements comprennent principalement : les invasions de l’Iran avant et après la Seconde Guerre mondiale (1920-1950), le coup d’État orchestré par les États-Unis et le Royaume-Uni contre le gouvernement légalement élu du Dr Mohammad Mossadegh en 1953, la Révolution islamique de 1979, la guerre Iran-Irak (1980-1988) directement ou indirectement encouragée par les pays occidentaux, les pertes financières colossales pour l’Iran dues aux Accords d’Alger (1980) après la saisie de l’ambassade américaine à Téhéran, les sanctions continues (politiques, économiques et financières) imposées à l’Iran depuis plus de quarante ans, ainsi que les agressions militaires d’Israël en juin 2025 soutenues par les États-Unis et les principales puissances occidentales. En raison de l’étendue des thèmes évoqués ci-dessus, il n’est pas possible de les développer tous ici en détail.

Depuis le début du XXIᵉ siècle, les principaux objectifs des puissances occidentales à l’égard de l’Iran peuvent se résumer ainsi : maintenir le contrôle du pays par divers moyens (militaires, coups d’État, sanctions économiques et financières, affaiblissement politique, désordre social, etc.) et également :

  • Porter atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Iran, unique pays du Moyen-Orient à n’avoir jamais été colonisé ;
    • Contrôler les ressources naturelles de l’Iran, grand producteur de pétrole, de gaz et de nombreux autres matériaux ;
    • Exercer un embargo économique et financier drastique sur l’Iran, notamment depuis la Révolution islamique de 1979, afin d’affaiblir sa position militaire ;
    • Créer le désordre social, économique et la crise politique.

Il est indéniable que les gouvernements iraniens – depuis le régime Pahlavi, qui s’est trompé en se fiant aux puissances occidentales dès 1920, jusqu’à la République islamique cherchant l’indépendance tout en commettant de graves erreurs politiques et sociales – partagent une part de responsabilité dans les multiples crises produites au cours du siècle dernier.
Il est temps de tirer les leçons du passé : les autorités iraniennes doivent désormais éviter toute erreur supplémentaire en s’appuyant exclusivement sur les forces nationales, sur le peuple, et sur la préservation de l’unité et des ressources nationales.

Reza Shah, fondateur de la dynastie Pahlavi dans les années 1920, fut déposé par la Grande-Bretagne et contraint à l’exil. Son fils, Mohammad Reza Pahlavi, qui régna de 1941 à 1979, s’appuya naïvement sur les États-Unis et les grandes puissances occidentales ; lorsqu’il tomba malade et fut abandonné par tous, il finit par confesser : « Ma plus grande erreur fut d’avoir écouté les Américains et les Britanniques au sujet de nos problèmes internes. »

L’analyse présentée dans cet article repose sur la notion de « loi de la jungle », définie comme une situation où il n’existe ni règles ni gouvernance, où seules la force et la puissance déterminent les moyens et les fins. Selon cette loi – principal mot d’ordre des puissances occidentales, notamment des États-Unis, des grands pays européens et d’Israël, nouvel État créé et entièrement soutenu par eux – aucune règle ne prévaut hormis la domination, l’appropriation des ressources, l’expansion territoriale et la création de crises et de désordres.

Ce concept est de plus en plus manifeste dans la politique étrangère américaine. Bien que l’usage de la force ait toujours été un instrument de pouvoir et d’invasion au fil des décennies, cette politique s’est particulièrement intensifiée sous les administrations Trump (2017-2021 et depuis 2025). Cependant, l’histoire américaine ne s’est pas toujours limitée à cette politique agressive. De grands dirigeants tels que Thomas Jefferson (3e président des États-Unis de 1801 à 1809), rédacteur de la Déclaration d’indépendance — affirmant que « tous les hommes naissent égaux » et que « notre conduite envers les Indiens doit être fondée sur la justice » — ou Abraham Lincoln (le seizième président des États-Unis, élu à deux reprises, en novembre 1860 et en novembre 1864), qui déclara : « Je ne suis pas tenu de vaincre, mais je suis tenu d’être honnête. […] Je dois me tenir aux côtés de quiconque agit justement et m’en séparer lorsqu’il a tort », représentaient une Amérique fondée sur la morale et le droit [1-5].

Ces citations s’opposent radicalement aux déclarations répétées de Donald Trump, président actuel des États-Unis, qui prône la domination, la force et la mainmise sur les ressources des autres pays, l’argent et la guerre. Malgré les idéaux proclamés par les premiers présidents américains, ce pays a mené une politique d’interventions politiques et militaires agressives dans de nombreux États la guerre du Vietnam (1954-1975), le coup d’État chilien de 1973 contre le président élu Salvador Allende, l’Afghanistan (1999-2021) et l’Irak (2003-2011).

Ces interventions militaires ont provoqué des millions de morts, de blessés et d’immenses destructions dans les pays visés par les États-Unis, qui ont eux-mêmes subi de lourdes pertes :
58 220 morts dans la guerre du Vietnam [6], 2 459 militaires américains tués en Afghanistan [7], 3 937 contractants américains morts [8], et 4 550 militaires tués en Irak [9]. Ces chiffres n’incluent pas les milliers de soldats américains blessés, handicapés ou décédés par suicide ou maladie mentale Selon plusieurs études, « au moins quatre fois plus de militaires et vétérans américains des guerres post-11 septembre se sont suicidés qu’ils ne sont morts au combat » [10].

Plus grave encore, les pertes civiles — femmes, enfants, personnes âgées, opposants — dépassent de loin ces nombres et se chiffrent en centaines de milliers, ce qui demeure tragique sous tous rapports. Ces trois guerres, menées par les États-Unis au Vietnam, en Irak et en Afghanistan, ont totalement dévasté ces pays. Seul le Vietnam a, après plusieurs décennies, retrouvé un certain développement économique et social ; l’Afghanistan et l’Irak, quant à eux, restent confrontés à de graves problèmes sanitaires, économiques et sociaux.

Interventions britanniques et américaines en Iran au XXᵉ siècle

Il y eut, au début du XXᵉ siècle, un degré significatif d’ingérence de la Grande-Bretagne, de la Russie et des États-Unis dans les affaires iraniennes, mais cette étude n’a pas pour objet de les détailler ici. Après l’abdication d’Ahmad Shah de la dynastie Qajar, dernier souverain d’Iran, affaibli par la maladie, Reza Khan, un jeune officier, prit le pouvoir. En 1925, le Majles (Parlement) déposa le monarque absent et une assemblée constituante élut Reza Khan comme Shah, conférant ainsi la souveraineté à la nouvelle dynastie Pahlavi. La politique étrangère de Reza Shah, qui consistait essentiellement à jouer l’Union soviétique contre la Grande-Bretagne, échoua lorsque ces deux puissances s’unirent en août 1941 pour combattre l’Allemagne [11]. En effet, durant la Seconde Guerre mondiale, en violation de la politique de neutralité de l’Iran, la Grande-Bretagne et l’Union Soviétique envahirent et occupèrent le pays en août 1941, toutes deux motivées par d’importants intérêts commerciaux et stratégiques. Ces deux grandes puissances orchestrèrent l’abdication du Reza Shah, et les Britanniques l’exilèrent d’abord sur l’île Maurice, puis à Johannesburg, où il passa les deux dernières années de sa vie [12].

 Le Shah et “l’absence de morale” des pays occidentaux et d’Israël

Reza Shah fut contraint d’abdiquer après l’invasion russo-britannique de l’Iran. À la suite de cet exil imposé par la Grande-Bretagne, son fils Mohammad Reza Pahlavi monta sur le trône le 16 septembre 1941. Durant cette période, l’Iran connut une grande pauvreté et de graves difficultés économiques et sociales, aggravées par la Seconde Guerre mondiale. La Grande-Bretagne et la Russie exprimèrent alors leur volonté de s’emparer des vastes ressources naturelles du pays.

Au cours des décennies suivantes, le manque d’expérience politique et la dépendance du jeune monarque envers la Grande-Bretagne ne lui laissèrent guère de marge pour entreprendre des réformes économiques ou politiques profondes, malgré l’existence de ressources naturelles considérables, notamment les réserves pétrolières exploitées par les Britanniques.
La question de la nationalisation du pétrole sera abordée dans la section suivante.

En ce qui concerne la politique de Mohammad Reza Shah vis-à-vis des pays occidentaux, il convient de souligner que, malgré son soutien total aux États-Unis et à leurs alliés, ces derniers l’abandonnèrent totalement à la fin des années 1970 — ou plus précisément, ils décidèrent de se débarrasser de lui et de son régime. Ce comportement illustre clairement la trahison et l’immoralité des États-Unis et des grandes puissances occidentales à l’égard d’un homme qui, selon ses propres déclarations, avait accueilli entre 45 000 et 65 000 Américains sur le sol iranien — qu’ils soient militaires, conseillers, contractuels, ouvriers, ou encore des milliers de Britanniques, Français, Allemands, Israéliens et autres ressortissants occidentaux, notamment durant les années 1970.

Il faut rappeler que parmi ces étrangers figuraient de nombreux espions œuvrant contre les intérêts nationaux de l’Iran pour le compte des services de renseignement occidentaux et israéliens, en particulier le Mossad (fondateur de la police secrète SAVAK du régime Pahlavi) et la CIA à la fin des années 1960 [13].

De nombreux ouvrages et articles bien documentés ont été publiés sur ce sujet, qui fut l’une des principales causes du soulèvement national iranien contre le régime Pahlavi à la fin des années 1970 — un soulèvement nourri par les actes de terreur, les tortures et les brutalités infligés par la SAVAK, la police politique du Mohammad Reza Pahlavi.

Les déclarations du Shah, après sa chute à la fin des années 1970, illustrent la réalité de son soutien inconditionnel aux puissances américaines et occidentales, dépourvues de toute morale et d’intégrité. Elles montrent également le prix exorbitant que doivent payer les dirigeants du monde dont les politiques dépendent des États-Unis et de leurs alliés [14].

Coup d’État américano-britannique de 1953 contre la nationalisation de l’industrie pétrolière et le renversement du gouvernement démocratique élu du Dr Mossadegh (réinstallation du Mohammad Reza Pahlavi)

La présence des grandes puissances — les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Union Soviétique — en Iran pendant la Seconde Guerre mondiale suscita un vif appétit pour les ressources naturelles du pays, en raison notamment de sa position géostratégique et de ses vastes réserves pétrolières. À cette époque, la Grande-Bretagne, bien que prétendant être l’alliée de l’Union Soviétique, cherchait surtout à empêcher que le pétrole iranien ne tombe entre les mains de l’Allemagne nazie. Après la guerre, le Royaume-Uni conserva de fait le contrôle du pétrole iranien grâce à la création de l’Anglo-Iranian Oil Company [15].

Or, le peuple iranien, animé par un fort sentiment nationaliste, s’opposa à cette domination étrangère. Sous la direction du Dr Mohammad Mossadegh, membre de l’élite iranienne, juriste formé à l’Université de Lausanne en Suisse, le Majles (Parlement iranien) entreprit de reprendre le contrôle de cette ressource vitale.
Mossadegh, après avoir exercé plusieurs fonctions importantes — gouverneur de la province du Fars, ministre des Finances, puis brièvement ministre des Affaires étrangères — fut élu député en 1923. Mais lorsqu’en 1925 Reza Khan devint roi sous le nom de Reza Shah Pahlavi, Mossadegh s’y opposa et fut contraint de se retirer de la vie publique [16].

Après l’abdication forcée de Reza Shah en 1941 sous la pression britannique, Mossadegh reprit du service public et fut réélu au Parlement en 1944.
Malgré son appartenance à une grande famille, sa politique se distingua par une approche diplomatique unique fondée sur l’indépendance totale vis-à-vis des grandes puissances — qu’elles soient occidentales (Royaume-Uni, États-Unis) ou orientales (Union Soviétique) —, sur la défense des intérêts nationaux, la transparence et une diplomatie intelligente.
Fidèle à cette ligne, il s’opposa vigoureusement à l’octroi à l’Union Soviétique d’une concession pétrolière dans le nord de l’Iran, semblable à celle détenue par les Britanniques dans le sud du pays.

S’appuyant sur les principes du nationalisme, de l’intérêt national et de la légalité, il appela publiquement à la nationalisation des installations et concessions de la compagnie britannique Anglo-Iranian Oil Company. À la suite de son discours marquant et de son influence politique, le Parlement adopta en mars 1951 la loi de nationalisation du pétrole, et le Shah, Mohammad Reza Pahlavi, fut virtuellement contraint de le nommer Premier ministre.
Mossadegh devint alors la figure dominante du Parlement iranien à la tête de son Front national (Jebhe  Milli [17].

Initialement, la Grande-Bretagne déploya des troupes pour s’emparer de la raffinerie d’Abadan — la plus grande au monde — mais cette décision fut abandonnée par le Premier ministre Clement Attlee, face à la résistance iranienne et au boycott du pétrole britannique.
Cette situation fit craindre aux puissances occidentales, notamment à Londres, une menace directe sur leurs intérêts stratégiques et économiques [18]. En conséquence, la Grande-Bretagne adopta une politique de guerre économique et psychologique contre l’Iran.
Sous la supervision de ses services de renseignement, elle élabora une stratégie méticuleuse prévoyant plusieurs scénarios : (1) un embargo total sur le pétrole iranien pour asphyxier son économie, (2) la création de troubles sociaux, et (3) si nécessaire, un coup d’État ou une agression militaire ouverte.

Entre mars 1951 (adoption de la loi de nationalisation) et août 1953, soit vingt-huit mois de blocus, l’économie iranienne fut gravement touchée, mais le gouvernement de Mossadegh résista courageusement à la pression étrangère — à l’instar de la République islamique après 1979, confrontée depuis lors à des sanctions économiques extrêmes [19]. Au cours de l’été 1953, les difficultés économiques et la propagande britannique intensifièrent la crise politique. Sous pression, le Shah tenta de destituer Mossadegh, son Premier ministre légalement élu par le Parlement. Cette décision, comme celle imposée à son père en 1941, fut prise sous influence britannique. Le même scénario se répéta en 1978–1979, lorsque, malade et abandonné, le Shah fut de nouveau trahi par ses alliés occidentaux [20].

Compte tenu de l’impact mondial de la nationalisation du pétrole iranien en 1951, la Grande-Bretagne, les États-Unis et d’autres grandes puissances européennes furent profondément alarmés. Cette initiative iranienne constituait une grave menace pour la domination occidentale sur l’approvisionnement mondial en pétrole, en particulier sur les concessions détenues par les compagnies pétrolières occidentales. Comme le souligne Gregory Brew, « Pour les Britanniques, pour qui l’industrie pétrolière iranienne représentait un atout économique et politique majeur, la politique était assez simple : renverser Mossadegh et inverser la nationalisation. Les Britanniques, ainsi que les grandes compagnies pétrolières, espéraient empêcher que la nationalisation iranienne ne s’étende à d’autres pays producteurs de pétrole, tels que l’Arabie saoudite, l’Irak, le Koweït, le Venezuela ou l’Indonésie » [43].

À un moment donné, le Premier ministre Mossadegh tenta de négocier avec le président américain Harry Truman afin de trouver une solution pacifique, mais sans succès En août 1953, le mouvement nationaliste iranien résista : les partisans de Mossadegh descendirent dans les rues, forçant le Shah à fuir d’abord à Bagdad, puis à Rome.

Mais la Grande-Bretagne et les États-Unis réagirent rapidement.
Le Premier ministre britannique Winston Churchill et le président américain Dwight Eisenhower décidèrent de renverser le gouvernement légitime iranien.
L’opération, connue sous le nom de TPAJAX, fut planifiée et exécutée conjointement par la CIA et les services secrets britanniques, à travers des actions de corruption, des campagnes de désinformation, des manifestations organisées et le ralliement d’officiers iraniens au complot [21]. Mossadegh, le premier ministre légalement élu fut arrêté, jugé pour trahison par un tribunal militaire, condamné à trois ans de prison, puis assigné à résidence jusqu’à sa mort.
Plusieurs de ses partisans furent exécutés.
Mohammad Reza Shah fut réinstallé sur le trône sous la protection des États-Unis et du Royaume-Uni [22].

À la suite du coup d’État, un nouveau consortium pétrolier fut créé : les compagnies américaines reçurent 40 % des parts, l’Anglo-Iranian Oil Company (devenue BP) en conserva 40 %, et les 20 % restants furent partagés entre Royal Dutch/Shell et la Compagnie Française des Pétroles (Total). Le gouvernement du Shah, affaibli, dut ratifier cet accord en octobre 1954 [23].

En août 2013, le gouvernement américain reconnut officiellement son rôle dans le coup d’État en publiant des documents déclassifiés attestant que la CIA avait supervisé la planification et l’exécution de l’opération [24]. Ce coup d’État américano-britannique demeure l’une des pages les plus sombres de l’histoire des puissances occidentales, illustrant leur hostilité envers tout pays du tiers-monde cherchant à préserver son indépendance et sa souveraineté [25].

Les États-Unis contre le monde : sanctions illégales et unilatérales imposées par l’administration américaine et les pays européens

Dans l’histoire du droit international, il n’existe aucun précédent comparable aux sanctions imposées aujourd’hui par les États-Unis et l’Europe contre des pays, des individus — physiques ou moraux — et des organisations, comme on l’observe actuellement, en particulier sous l’administration américaine actuelle. Ces sanctions, qui ne sont pas conformes aux lois et règlements internationaux, sont mises en œuvre par les grandes puissances, notamment les États-Unis. Elles visent même des organisations internationales telles que la Cour internationale de Justice (CIJ), la Cour pénale internationale (CPI), leurs juges et leurs familles, ainsi que des États (Iran, Cuba, Venezuela, etc.) et des institutions [56].

Des sanctions ont également été prononcées contre des personnalités respectées comme Karim Ahmad Khan, procureur de la CPI depuis 2021, et quatre juges de la même cour. M. Khan, juriste britannique indépendant, est spécialiste du droit pénal international et du droit international des droits de l’homme. Il est stupéfiant de constater que des institutions membres officielles des Nations unies, telles que la CIJ et la CPI, puissent être sanctionnées comme s’il s’agissait d’organisations criminelles ou de réseaux mafieux tels qu’Al-Qaïda ou Daech.

Selon le juge français Nicolas Guillou, membre de la CPI, il existe actuellement près de 15, 000 cas de sanctions visant des individus, organisations ou États, imposées principalement par l’administration américaine et l’Union européenne. M. Guillou figure parmi les six juges et trois procureurs de la CPI placés sous sanctions américaines pour avoir délivré des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre de Benjamin Netanyahou, Premier ministre israélien, et de Yoav Gallant, ancien ministre de la Défense, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis lors de la guerre en cours à Gaza [57].

Bien que la CPI soit un organe de droit international indépendant, il est incompréhensible que l’administration Trump ait pu intervenir dans une procédure judiciaire qui ne concernait pas les États-Unis, alors qu’elle n’a jamais été visée par un mandat d’arrêt pour ses propres interventions militaires. Cette ingérence américaine est totalement illégale et dépourvue de fondement juridique. Ces sanctions violent les principes de l’État de droit, sont contraires à l’éthique et essentiellement politiques. Ainsi, les mesures prises contre la CPI, la CIJ et leurs juges visent avant tout à protéger Israël et les membres de son gouvernement et de son armée accusés de génocide et d’actes criminels largement documentés [58].

Comme il a été indiqué au début de cet article, la « loi de la jungle » domine aujourd’hui le monde sous la direction de l’administration américaine : quiconque critique, même légèrement, les États-Unis ou Israël devient immédiatement la cible de sanctions et se voit interdire l’entrée sur le territoire américain. Toujours selon le juge Nicolas Guillou, ces sanctions vont bien au-delà du cadre professionnel : elles entraînent la fermeture de comptes bancaires aux États-Unis et dans la « zone euro », la suspension de comptes auprès d’entreprises telles que Airbnb, Amazon, PayPal, ainsi que l’interdiction d’utiliser tout service lié aux États-Unis, à Israël ou aux grandes puissances occidentales [59].

La guerre Iran-Irak (1980-1988), initialement encouragée par les pays occidentaux

Cet article n’a pas pour objectif d’analyser en détail ce conflit historique majeur, durant lequel des centaines de milliers de civils, soldats et officiers furent tués ou blessés, et qui provoqua des destructions et pertes financières considérables pour les deux pays.
Il convient toutefois de rappeler que, malgré les décisions imprudentes prises par les deux gouvernements pour prolonger la guerre, ce fut Saddam Hussein, dirigeant de l’Irak, qui, sous l’influence des Américains et d’autres puissances occidentales, décida d’attaquer l’Iran le 22 septembre 1980. Convaincu qu’après la Révolution islamique de 1979, l’armée iranienne était affaiblie, désorganisée et économiquement fragilisée, Saddam Hussein crut pouvoir remporter une victoire rapide. Non seulement les puissances occidentales et Israël, mais aussi la quasi-totalité des pays arabes du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, apportèrent un soutien financier massif au régime irakien, redoutant que la révolution iranienne n’influence leurs propres populations et n’ébranle leurs régimes monarchiques [60].

L’intervention des puissances occidentales et d’Israël, encourageant les dirigeants irakiens à déclencher la guerre, faisait partie d’un plan élaboré visant à affaiblir simultanément deux grands pays du Moyen-Orient, tant sur le plan militaire, démographique qu’économique et social.

Pour mesurer l’ampleur du coût de cette guerre, il convient de rappeler que, lorsque Saddam Hussein devint président en juillet 1979, l’Irak disposait de 36 milliards de dollars de réserves et d’aucune dette extérieure à long terme [61].
Mais à la fin du conflit, après des pertes humaines et matérielles considérables, l’Irak accumula près de 80 milliards de dollars de dettes, dont environ 40 milliards envers ses alliés du Moyen-Orient, notamment le Koweït, son voisin du sud [62].
Cette guerre longue et dévastatrice entraîna également un coût annuel de service de la dette estimé à 3 milliards de dollars, plongeant l’Irak dans une crise financière durable.

Prise d’otages de l’ambassade américaine à Téhéran, responsabilité des États-Unis et analyse coût-bénéfice du point de vue iranien

Cette section aborde brièvement les relations tendues et les conflits entre l’Iran et les États-Unis depuis 1979. Ces relations ont été marquées dès le début de la Révolution islamique par la prise en otage des diplomates américains, puis se sont aggravées progressivement au cours des quatre décennies suivantes.

En apparence, les relations entre l’Iran et les pays occidentaux, notamment durant le régime Pahlavi (1920-1979), semblaient positives. Pourtant, le peuple iranien subissait l’influence et l’ingérence constantes des puissances occidentales dans les affaires intérieures du pays.
Comme nous l’avons expliqué dans les sections précédentes, selon les archives de la sécurité nationale américaine (National Security Archive) et plusieurs autres sources, le coup d’État de 1953, connu en Iran sous le nom de « 28 Mordad », fut orchestré par les États-Unis et le Royaume-Uni. Il entraîna le renversement du Premier ministre démocratiquement élu, Dr Mohammad Mossadegh, et consolida le pouvoir du Shah, renforçant ainsi la monarchie le 19 août 1953.
Cet événement tragique dans l’histoire iranienne eut un impact très négatif sur l’opinion publique et fut l’une des causes profondes de la Révolution islamique de 1979, qui mit fin au règne du Shah [63].

Comme indiqué ci-dessus, il est particulièrement important de souligner que la politique américaine en Iran entre 1951 et 1979 reposait sur un soutien total au régime autoritaire du Shah, responsable de nombreuses violations des droits humains.
Ce fut l’une des principales raisons de la révolte du peuple iranien en 1979.
La politique américaine durant cette période visait avant tout l’expansion économique, la vente massive d’armes — ainsi que l’installation de deux stations de surveillance du renseignement sur le territoire iranien —, et l’ingérence politique à tous les niveaux.
Ce fait fut largement ignoré par le peuple américain et les sociétés occidentales.
Comme le souligne Donnelly, « la politique étrangère américaine confond souvent les intérêts nationaux des États-Unis avec des valeurs universelles ; beaucoup d’Américains semblent croire que ce qui est bon pour les États-Unis est nécessairement bon pour le monde — et si ce n’est pas le cas, “c’est le problème des autres”.
Les dangers d’un tel universalisme arrogant et abusif sont particulièrement flagrants dans les relations internationales [64].

La prise de l’ambassade américaine à Téhéran a été largement commentée dans les médias et fait l’objet de nombreux ouvrages et analyses. Nous n’en présenterons ici qu’un résumé, en mettant l’accent sur le coût et les conséquences pour l’Iran. Cinquante-deux diplomates et citoyens américains furent détenus en otages pendant 444 jours, du 4 novembre 1979 au 20 janvier 1981 [65].

En avril 1980, l’administration du président Jimmy Carter, frustrée par la lenteur des négociations diplomatiques à l’approche de l’élection présidentielle, décida de lancer une opération militaire risquée connue sous le nom d’Opération Eagle Claw « Griffe de l’aigle ».
Cette mission visait à envoyer une unité d’élite pour libérer les otages à l’intérieur de l’ambassade. Cependant, une violente tempête de sable entraîna la défaillance de plusieurs hélicoptères ; l’un d’eux heurta un avion de transport au décollage, provoquant un incendie.
Huit militaires américains furent tués et l’opération fut annulée [66].

Finalement, les otages furent libérés et rapatriés aux États-Unis le lendemain de la signature des Accords d’Alger. Ces accords furent signés le 19 janvier 1981 entre les États-Unis et l’Iran, sous les auspices du gouvernement algérien [67].
Leurs principales dispositions étaient les suivantes :

  • Les États-Unis s’engageaient à ne pas intervenir politiquement ou militairement dans les affaires intérieures de l’Iran ;
    Ils s’engageaient à lever le gel des avoirs iraniens et à supprimer les sanctions commerciales imposées à l’Iran ;
    • Le gel des avoirs iraniens avait été ordonné par le décret exécutif 12170, signé par le président Carter le 14 novembre 1979, dix jours après le début de la crise des otages. Ce décret, pris en vertu de l’International Emergency Economic Powers Act, ordonnait le gel de tous les avoirs du gouvernement iranien détenus aux États-Unis ;
    • Les deux pays acceptaient de mettre fin à leurs litiges respectifs et de les soumettre à un arbitrage international, à savoir le Tribunal des réclamations Iran-États-Unis, créé à la suite de l’accord ;
    • Les États-Unis devaient garantir que les décisions de justice américaines concernant les biens de l’ancien Shah ne seraient pas protégées par le principe d’immunité souveraine ;
    • Enfin, les dettes iraniennes envers les institutions américaines devaient être réglées [68].

Selon mes propres analyses et calculs, les avoirs iraniens déposés dans les banques américaines et européennes — sous forme de devises, d’or et de titres à intérêt — s’élevaient à environ 15 milliards USD.

L’Iran avait également 6 milliards USD de prêts contractés auprès de banques américaines.
Conformément à l’article 5 des Accords d’Alger, les banques se remboursèrent elles-mêmes avant échéance sur les avoirs gelés. Sur les 9 milliards USD restants, environ 6 milliards USD furent attribués par les tribunaux américains à des entreprises et citoyens des États-Unis, à titre de compensation pour la nationalisation de leurs biens par l’Iran.
D’après plusieurs sources officielles, les calculs de Soltani montrent que seuls 2,7 milliards USD furent effectivement transférés via la Bank of England à la Banque centrale d’Iran (Bank Markazi). Une autre source mentionne un montant de 2,88 milliards USD, très proche de cette estimation [69].

A souligner qu’avant la signature des Accords d’Alger, près de 400 procédures judiciaires américaines étaient déjà engagées contre l’Iran ou ses institutions, pour un montant total de plus de 20 milliards USD. L’ampleur de ces réclamations compliqua la mise en œuvre de l’accord : plusieurs plaignants contestèrent la constitutionnalité du traité devant les tribunaux fédéraux. Le Secrétaire d’État américain déposa des conclusions dans au moins quarante tribunaux fédéraux de première instance et d’appel [70].
Plus de 4 000 procédures impliquaient également des familles iraniennes dont les biens avaient été confisqués pendant la Révolution islamique. En outre, chacun des 52 otages américains reçut une indemnisation financière. En 2015, le Congrès américain autorisa le versement de 4,4 millions USD à chaque victime : 10 000 USD par jour de captivité (444 jours), ainsi qu’une somme forfaitaire pour leurs conjoints et enfants [71].

Cependant, ces paiements devaient provenir des amendes infligées à la banque française BNP Paribas, qui, comme d’autres grandes banques européennes, avait violé l’embargo américain contre l’Iran, le Soudan et la Libye [72].

En réalité, les États-Unis, les pays européens et leurs entreprises ont exploité tous les leviers juridiques, politiques et financiers possibles pour s’approprier les avoirs iraniens.
Comme indiqué précédemment, l’administration américaine n’a pas respecté ses engagements prévus par les Accords d’Alger — notamment l’obligation de ne pas intervenir dans les affaires intérieures iraniennes. Depuis 1980, les États-Unis et les puissances occidentales ont systématiquement cherché à provoquer des crises sociales en Iran, directement ou indirectement, par le biais de lourdes sanctions économiques [73].

Commentaires sur le non-respect des principes des Accords d’Alger par l’administration américaine et sur leurs implications juridiques et politiques

L’un des aspects les plus significatifs des Accords d’Alger concerne leur portée juridique dans le cadre du droit international et des relations bilatérales entre États souverains.
En théorie, ces accords devaient mettre fin à la crise diplomatique entre l’Iran et les États-Unis et instaurer une base de relations respectueuses de la souveraineté nationale et du droit international. Cependant, la mise en œuvre de ces engagements a été marquée par de nombreuses violations, notamment du côté américain, qui a constamment cherché à contourner ses obligations en recourant à des mesures coercitives économiques et politiques [74].

L’accord stipulait clairement que les États-Unis s’abstiendraient de toute ingérence dans les affaires intérieures de l’Iran. Or, dès les années 1980, l’administration américaine — d’abord sous Ronald Reagan, puis sous ses successeurs — a adopté une stratégie d’endiguement visant à affaiblir le régime iranien, à travers l’isolement diplomatique, le financement de groupes d’opposition, et la mise en place d’un vaste régime de sanctions unilatérales.
Ces mesures, bien qu’illégales au regard du droit international, furent justifiées par Washington au nom de la « sécurité nationale » ou de la « lutte contre le terrorisme » [75].

Les Conséquences économiques pour l’Iran furent lourdes : le blocage prolongé de ses avoirs à l’étranger, la suspension de ses contrats commerciaux avec l’Occident et l’interdiction d’accès à certaines technologies stratégiques. Ces actions ont eu pour effet de ralentir durablement le développement économique et scientifique du pays, notamment dans les secteurs de l’énergie, de la recherche et de l’industrie [76].

Par ailleurs, les États-Unis ont exercé une forte pression sur les pays européens pour qu’ils alignent leurs politiques sur la leur. L’Union européenne, suivant la logique de son alliance atlantique, a progressivement adopté un régime de sanctions semblable à celui imposé par Washington.
Les banques européennes ont gelé les transactions avec l’Iran, tandis que les entreprises, sous la menace de sanctions extraterritoriales américaines, ont cessé leurs échanges avec Téhéran.
Cette extraterritorialité du droit américain constitue une violation manifeste du principe de la souveraineté des États, consacré par la Charte des Nations unies [77].

L’Iran, pour sa part, a tenté de résoudre ses différends par des voies diplomatiques et juridiques. Le Tribunal des réclamations Iran–États-Unis, créé en vertu des Accords d’Alger, a rendu plusieurs centaines de décisions au fil des ans, reconnaissant partiellement la validité des réclamations iraniennes. Cependant, de nombreuses affaires demeurent en suspens, et le déséquilibre institutionnel et politique du tribunal a souvent conduit à des décisions favorables aux intérêts américains [78].

Il est essentiel de souligner que les sanctions américaines et européennes n’ont pas atteint leurs objectifs politiques déclarés. Elles n’ont ni affaibli la structure du pouvoir en Iran ni modifié sa politique régionale ; au contraire, elles ont renforcé le sentiment nationaliste et consolidé la méfiance du peuple iranien envers l’Occident.
En revanche, ces sanctions ont eu des conséquences dramatiques sur la population civile : pénuries de médicaments, inflation galopante, chute de la monnaie nationale et ralentissement du commerce extérieur [79].

D’un point de vue juridique, ces sanctions constituent une violation du droit international coutumier, notamment du principe de non-ingérence (Article 2 §7 de la Charte des Nations unies) et du principe de proportionnalité en matière de mesures économiques coercitives.
Elles s’apparentent à un acte de guerre économique, contraire à l’esprit et à la lettre du droit international public [80].

Enfin, sur le plan éthique, ces politiques mettent en lumière la profonde contradiction entre les valeurs proclamées par les États-Unis et leurs pratiques réelles. Alors qu’ils prétendent défendre la démocratie et les droits humains, ils continuent à soutenir des régimes autoritaires alliés et à punir sévèrement les nations qui revendiquent leur indépendance politique et économique.
L’Iran, à cet égard, illustre parfaitement la logique de domination et de deux poids deux mesures qui caractérise la politique étrangère occidentale depuis plusieurs décennies [81].

Les agressions militaires des États-Unis, d’Israël et des puissances occidentales contre l’Iran en juin 2025

Dans mon article récemment publié sur MEDIAPART, j’ai analysé l’illégitimité et l’illégalité des agressions militaires menées par Israël, avec la participation directe des États-Unis et la contribution dissimulée de plusieurs puissances occidentales et de pays arabes.

L’attaque militaire lancée par Israël contre l’Iran le 13 juin 2025, suivie de l’implication directe des États-Unis le 20 juin à travers le bombardement des sites nucléaires iraniens, constitue un acte d’agression au regard du droit international, pourtant élaboré par ces mêmes puissances occidentales [82].

Les conséquences pour l’Iran furent dramatiques : assassinats ciblés de hauts gradés militaires, d’experts et de scientifiques nucléaires, parfois accompagnés de leurs familles — ce qui, en soi, constitue un crime de guerre —, plus d’un millier de morts et de blessés civils, dont des femmes et des enfants, la destruction d’infrastructures nucléaires, et d’énormes pertes économiques. Israël, bien qu’ayant subi certaines pertes humaines et matérielles, fut touché dans une bien moindre mesure. Dans ce cas, les conditions d’une « guerre juste » ne sont absolument pas réunies. Israël, puissance nucléaire, et les États-Unis, superpuissance militaire et économique, ont attaqué un État non nucléaire, militairement affaibli et soumis à des sanctions internationales depuis 1979 [83].

Du point de vue du paradigme légaliste et des fondements du droit international — la Charte des Nations unies, les Conventions de Genève et le droit humanitaire de La Haye —, ainsi qu’au regard de la doctrine de la guerre juste (Jus ad Bellum), cette agression militaire est dénuée de tout fondement. L’argument selon lequel l’Iran aurait pu chercher à acquérir l’arme nucléaire ne saurait justifier une telle attaque.
Depuis 1980, l’Iran a subi des embargos sévères, une guerre de huit ans contre l’Irak (1980–1988) — conflit soutenu par les puissances occidentales, notamment les États-Unis —, et d’immenses pressions économiques et politiques.
Malgré ces difficultés, il a survécu et maintenu son intégrité nationale [84].

L’attaque de juin 2025 est survenue alors que l’Iran avait déjà participé à cinq cycles de négociations nucléaires avec les États-Unis et s’apprêtait à entamer un sixième round.
Cela prouve que l’objectif réel n’était pas la dissuasion nucléaire, mais bien le changement de régime par l’élimination physique de l’élite militaire et scientifique iranienne, dont de nombreux membres furent assassinés à leur domicile ou par des frappes ciblées [85].

L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), censée surveiller le programme nucléaire iranien, fait preuve d’un deux poids, deux mesures flagrant.
L’Iran, signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), autorise les inspections de l’AIEA, tandis qu’Israël, membre de l’Agence depuis 1957, refuse toute inspection de ses installations nucléaires, bien qu’il possède plusieurs centaines d’ogives.
L’AIEA n’a jamais appliqué ses propres règles de manière équitable, révélant ainsi un biais structurel enraciné dans son fonctionnement et dans les discours occidentaux [86].

Sur le plan juridique, les attaques israélo-américaines contre l’Iran sont manifestement illégales, elles n’ont pas été autorisées par le Conseil de sécurité des Nations unies et ne répondent pas au critère de dernier recours. La Charte des Nations unies interdit explicitement le recours à la force (article 2, paragraphe 4), confie le maintien de la paix au Conseil de sécurité (article 24) et lui attribue le pouvoir de qualifier les actes d’agression (articles 39 à 42). L’Iran, pour sa part, conserve le droit légitime à la légitime défense (article 51) [87].

Israël n’aurait jamais pu entreprendre une telle opération sans le soutien américain, à la fois politique (avec 45 vetos américains en faveur d’Israël au Conseil de sécurité depuis 1945), militaire (coopération stratégique), et financier (garanties de prêts et aides de plus de 10 milliards de dollars via l’USAID).

 Ce soutien est renforcé par l’influence du lobby AIPAC, malgré la loi Leahy (1961), qui interdit toute aide militaire américaine à un État coupable de violations graves des droits humains — une règle systématiquement contournée dans le cas israélien.
En cas de défaut de paiement d’Israël, le Trésor américain couvre ses dettes en moins de trois jours ouvrables [88].

Les puissances européennes — Royaume-Uni, France, Allemagne — sont également indirectement impliquées par leur partage de renseignements et leur silence politique.
Plusieurs pays arabes hébergeant des bases américaines ont facilité ces opérations [89].

Les violations graves du droit international commises contre l’Iran s’inscrivent dans une longue tradition d’actions israéliennes. : la guerre de 1967, les interventions au Liban (années 1980–1990), les campagnes militaires répétées à Gaza et en Cisjordanie (plus de 60 000 morts), ainsi que les bombardements en Syrie. Les civils israéliens ont également subi des pertes, mais ces faits illustrent surtout le refus persistant d’Israël d’aboutir à une paix durable ou à une solution à deux États [90].

Avec le soutien total des États-Unis et d’une partie de l’élite européenne — notamment le chancelier allemand Friedrich Merz —, Israël poursuit une stratégie d’expansion régionale inspirée du plan « Clean Break » élaboré en 1996 sous Netanyahu.
Cette politique, souvent qualifiée de « guerre sale », vise à renforcer l’influence israélienne tout en accomplissant des missions que d’autres puissances préfèrent externaliser.

Parmi les instruments les plus inquiétants de cette politique figure la « liquidation ciblée », pratique utilisée par Israël depuis sa création.

 Depuis le 13 juin 2025, Israël aurait éliminé environ 70 généraux, scientifiques et universitaires iraniens, souvent accompagnés de leurs familles.
Ces assassinats sont menés en dehors de tout cadre légal international [91].

Depuis plus de quarante ans, les sanctions économiques imposées à l’Iran ont avant tout frappé la population civile, sans atteindre les objectifs politiques affichés.
L’Iran a subi d’immenses pertes humaines, scientifiques, économiques et institutionnelles.
Mais à long terme, les puissances occidentales pourraient, elles aussi, payer un prix stratégique, politique et moral pour leurs politiques injustes, illégales et sélectives à l’encontre d’un État souverain qui, malgré ses faiblesses internes, mérite le respect des principes universels du droit international [92].

L’Iran, pays le plus sanctionné au monde

Depuis plus de quarante ans, les sanctions économiques imposées à l’Iran ont principalement touché la population civile, sans pour autant atteindre les objectifs politiques recherchés.
L’Iran est probablement le pays le plus sévèrement sanctionné au monde, tant par le nombre, la durée que par la portée de ces sanctions. D’autres pays, tels que Cuba ou la Corée du Nord, subissent également des mesures coercitives de la part des États-Unis et des puissances européennes, mais leur importance géopolitique, leur population et leur développement économique ne sont pas comparables à ceux de l’Iran [93].

L’examen détaillé des sanctions contre l’Iran constitue un sujet vaste, qui dépasse le cadre de cet article. Cependant, leur ampleur et leur diversité placent l’Iran parmi les pays les plus lourdement ciblés au monde par des politiques de punition économique et diplomatique [94].

Les États-Unis ne sont pas les seuls à avoir adopté des sanctions contre l’Iran.
Le Conseil de sécurité des Nations unies, composé de 15 membres, a adopté quatre séries de sanctions entre 2006 et 2010, soulignant le caractère multilatéral de la pression exercée sur la République islamique. LUnion européenne (UE), ainsi que la Corée du Sud, le Japon, le Canada et l’Australie, ont ensuite imposé leurs propres régimes de sanctions robustes [95].

L’organisation United Against Nuclear Iran (UANI), qui se présente comme une entité « non partisane et à but non lucratif », a joué un rôle majeur dans la promotion et le renforcement de ces sanctions. Son Conseil consultatif regroupe d’anciens hauts responsables politiques, diplomates et militaires américains et occidentaux. En pratique, UANI est l’un des principaux moteurs du lobbying international contre l’Iran [96].

La liste des sanctions qu’elle promeut couvre des domaines très variés : nucléaire et militaire, acquisition de missiles balistiques, transport maritime et pétrole, aviation civile, dispositifs médicaux, et pratiques financières et bancaires. Certaines d’entre elles sortent du cadre du droit international, notamment les restrictions imposées au commerce humanitaire, pourtant protégé par les conventions internationales [97]. Contrairement à ses prétentions de neutralité, UANI est loin d’être une organisation non partisane.

Concernant UANI, plusieurs remarques sont importantes à souligner. La composition de son conseil d’administration le prouve : elle comprend d’anciens hauts responsables américains, dont Mike Pompeo (ancien secrétaire d’État), des membres du Congrès américain, d’anciens dirigeants des services de renseignement, des représentants du Conseil national de sécurité, ainsi que des figures israéliennes de premier plan telles que Meir Dagan (ancien directeur du Mossad) et Ron Dermer (ancien ambassadeur d’Israël à Washington) [98].

Fait particulièrement révélateur : Olli Heinonen, ancien directeur général adjoint de l’AIEA, siège également au sein de ce conseil consultatif.
Ce fait démontre que ni l’AIEA ni ses responsables exécutifs ne peuvent être considérés comme totalement indépendants lorsqu’il s’agit du dossier nucléaire iranien.
Heinonen, qui a travaillé 27 ans à l’AIEA et supervisé les inspections du programme nucléaire iranien, est aujourd’hui l’un des principaux experts associés à UANI.
Sa présence au sein de cette structure remet en question la neutralité institutionnelle de l’AIEA à l’égard de l’Iran [99].

UANI regroupe également d’anciens responsables politiques et militaires d’autres pays : Sir Richard Dearlove, ex-directeur du MI6 (Royaume-Uni), Giulio Terzi, ancien ministre italien des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, ex-ministre polonais des Affaires étrangères, ainsi que plusieurs personnalités canadiennes.

 Nombre d’entre eux soutiennent activement les organisations iraniennes d’opposition à l’étranger, notamment les monarchistes et les Moudjahidines du peuple (MEK/PMOI) [100].

Plus troublant encore, certains Iraniens font partie de cette organisation, agissant directement contre les intérêts nationaux de leur propre pays : par exemple Kasra Aarabi (directeur du programme de recherche sur les Gardiens de la Révolution) et Omid Iravanipour (conseiller sur les questions de droits humains et LGBTQ en Iran) [101].

Malgré la nature ouvertement hostile de cette organisation, UANI reconnaît elle-même, dans ses documents officiels, que « compte tenu des divisions géopolitiques actuelles au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, il sera difficile de reconstituer un consensus autour de nouvelles sanctions contre la République islamique ».
Elle recommande donc à Washington et à ses alliés d’invoquer le mécanisme de rétablissement automatique (« snapback ») prévu par la résolution 2231 du Conseil de sécurité, qui entérine le JCPOA (accord sur le nucléaire iranien) [102].

Les dirigeants arabes, de leur côté, n’ont pas gardé le silence : plusieurs d’entre eux ont soutenu ouvertement les efforts de UANI et la ligne dure contre Téhéran.
Ainsi, Shaikh Khalid bin Abdullah bin Ali Al Khalifa, ambassadeur du Bahreïn aux États-Unis, a déclare : « Au nom du Royaume de Bahreïn, c’est un honneur d’exprimer notre gratitude pour votre leadership au sein de United Against Nucléaire Iran » [103].

Remarques conclusives

La discussion qui précède met en lumière les menaces et agressions étendues exercées contre l’Iran par les pays occidentaux — notamment les États-Unis — au cours du dernier siècle, dans les domaines militaire, politique, juridiques, économique, financier et social [79]. En conséquence, les intérêts nationaux de l’Iran ont subi d’importantes pertes humaines et matérielles. Bien que, à de nombreuses reprises, les pays occidentaux et Israël — y compris les forces militaires de l’OTAN, les services de renseignement et diverses organisations — aient participé conjointement à des actions illégales, il demeure irréaliste de s’opposer directement aux puissances les plus influentes du monde. Malgré tout, l’Iran reste un État souverain et a, jusqu’à présent, résisté à une large variété de pressions extérieures.

Il ne fait aucun doute que les autorités iraniennes — en particulier les gouvernements successifs — ont commis de graves erreurs en mal interprétant et en sous-estimant la véritable stratégie des puissances occidentales. Les questions évoquées ci-dessus devraient contribuer à une meilleure compréhension des causes profondes de ces agressions et de leur objectif ultime : la « reddition de l’Iran », l’affaiblissement de sa position en tant qu’État souverain, et la division de son territoire en plusieurs entités. Les autorités iraniennes doivent comprendre que la seule force capable de sauver l’Iran, sa souveraineté et ses ressources naturelles, est le peuple iranien et son soutien plein et entier. Tout doit être entrepris pour éliminer les goulets d’étranglement que sont la corruption, l’injustice sociale et les inégalités économiques — les armes les plus dangereuses des agresseurs.

Bahram Soltani

Professeur et chercheur associé à l’Université de Paris Panthéon Sorbonne

Résumé des notes [1–90]

1–5. Citations et écrits de Thomas Jefferson et d’Abraham Lincoln — notamment la Déclaration d’indépendance (1776), les lettres de Jefferson à Benjamin Hawkins (1786) et à John Wyche (1809), ainsi que les déclarations morales de Lincoln sur la vérité, la justice et la liberté ; contexte de la guerre de Sécession et œuvres d’art sélectionnées du Museum of Fine Arts de Boston.

6–10. Pertes humaines américaines en temps de guerre — statistiques officielles des U.S. National Archives et du Costs of War Project de l’Université Brown pour le Vietnam, l’Irak, l’Afghanistan et les décès liés aux sous-traitants américains.

11–15. Reza Shah et l’influence britannique en Iran — Shaul Bakhash, Britain and the Abdication of Reza Shah (Stanford University, 2021) ; articles connexes de Britannica sur Mohammad Mossadegh et l’histoire iranienne du début du XXᵉ siècle.

16–25. Références au coup d’État de 1953 — Gregory Brew, « The Collapse Narrative », Texas Security Review (2019) ; documents de la CIA confirmant l’orchestration du renversement de Mossadegh par les États-Unis et le Royaume-Uni ; The National Security Archive (Université George Washington) ; rapport de Donald N. Wilber (Clandestine Service History, CIA, 1954) ; et Stephen Kinzer, All the Shah’s Men (2008).

26–30. Relations irano-américaines et avoirs gelés — Edward Gordon & Cynthia Lightenstein, « The Decision to Block Iranian Assets », The International Lawyer (1982) ; Bernard Gwertzman, The New York Times (1981) ; décret exécutif n°12170 (14 novembre 1979).

31–40. Accord sur les otages et Accords d’Alger — Christopher Massaroni, Cornell International Law Journal (1982) ; Stuart Taylor Jr., The New York Times (1981) ; Sarah Mervosh et David M. Herszenhorn, The New York Times (2015–2020) concernant les compensations aux otages.

41–50. Commentaires contemporains — Bahram Soltani, « Israël, États-Unis et l’Iran : les fondements de la ‘guerre juste’ à l’épreuve », Mediapart (8 juillet 2025) ; analyses juridiques et politiques des politiques américaines et israéliennes envers l’Iran.

51–60. Justice internationale et sanctions — Nicolas Guillou, Agence France-Presse (10 octobre 2025) et Le Nouvel Observateur (18 octobre 2025) sur les sanctions américaines visant des juges de la CPI ; déclarations de l’ONU et de l’AIEA sur les installations nucléaires.

61–65. Sources sur la guerre Iran–Irak — MERIP, A Clean Slate in Iraq ; The Collector, « Economic Effects of the Iran-Iraq War » ; données financières sur la dette irakienne et le soutien des États du Golfe.

66–70. Droit international et agression militaire — articles 2, 24, 39–42 et 51 de la Charte des Nations unies ; Conventions de Genève ; droit de La Haye ; références académiques au Jus ad Bellum et à la théorie de la guerre juste.

71–75. AIEA et politique nucléaire — déclarations officielles de l’AIEA (Vienne, 2025) ; critiques concernant les disparités d’inspection entre l’Iran et Israël ; références à la capacité nucléaire d’Israël et à son statut de non-signataire du TNP.

76–80. Soutien financier et militaire des États-Unis à Israël — archives de l’AIPAC, garanties de prêts de l’USAID, exceptions à la Leahy Law (1961) ; procédures du Trésor américain relatives à la couverture des défauts israéliens ; coopération des services de renseignement européens et arabes.

81–85. United Against Nuclear Iran (UANI) — profil de l’organisation, liste de dirigeants (Mike Pompeo, Ron Dermer, Meir Dagan, Olli Heinonen, etc.) ; base de données officielle sur les sanctions internationales ; commentaires critiques sur son alignement politique.

86–88. Adhésions à l’UANI et liens avec l’opposition iranienne — membres du conseil consultatif tels que Sir Richard Dearlove, Giulio Terzi, Radoslaw Sikorski ; références au PMOI et aux organisations royalistes ; affiliés iraniens Kasra Aarabi et Omid Iravanipour.

89–90. Déclarations et témoignages officiels de l’UANI — citations tirées des publications de l’organisation invoquant le mécanisme de réactivation des sanctions (snapback, résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU) et remarques de S.E. Shaikh Khalid bin Abdullah Al Khalifa (ambassadeur du Bahreïn aux États-Unis).

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