Quand c'est l'employeur qui prend les usagers, des enfants, en otage... le gouvernement et la presse conservatrice et libérale le soutiennent.
Un conflit à propos de la réforme de l’enseignement voulue par les communes danoises. Ces trois derniers mois, d'intenses négociations ont opposé l'association KL, représentante des communes, et DLF (Danmarks Lærerforening), le syndicat des professeurs. La paralysie des discussions a conduit à une mesure telle que le lock-out.
Le temps alloué à la préparation des cours est la principale question qui fait débat.
Jusqu’à présent, le nombre maximum d'heures de cours données par les professeurs était fixé à 25 h par semaine. Ceux-ci disposaient de plus d'un temps prédéfini pour préparer leurs heures d'enseignement : deux minutes par élève et par classe, incluant la préparation des cours et la correction des devoirs. Cependant, l'accord qui assurait ces règles a pris fin en mars dernier.
L’objectif de la réforme est de laisser la liberté aux directeurs d'école de décider des emplois du temps de leurs professeurs, selon les besoins spécifiques des écoles. Selon le DLF, « les communes défendent leur réforme en disant que c’est pour créer une meilleure école, mais si nous ne pouvons pas préparer nos cours, quelle genre de meilleure école pouvons-nous offrir ? ». En effet, si les enseignants doivent donner plus d'heures de cours, leur temps de préparation risque d’en être diminué. Les conséquences de cette réforme seraient alors très négatives. Les professeurs appellent donc à une augmentation des effectifs pour palier ces nouvelles mesures et éviter de nuire à la qualité des cours.
Nul ne sait quand le lock-out prendra fin. Le point obscur reste le rôle de l’État danois, qui est loin d’être neutre dans ce conflit et soutient les décisions des communes. Les professeurs redoutent que le gouvernement fasse passer une loi instaurant la réforme, ce qui couperait court à toute négociation. « Tout se jouera selon l’opinion publique, mais pour l’instant la majorité de la population danoise soutient les professeurs, et nous recevons également le soutien d’associations de professeurs partout dans le monde », assure un ancien professeur à la retraite et membre de DLF.
Quoi qu’il en soit, ce conflit est d’autant plus surprenant lorsqu’on le compare à la situation de l’éducation française. Alors qu’en France les débats visent à diminuer les heures quotidiennes de cours des élèves pour se rapprocher de systèmes éducatifs semblables à celui du Danemark, c’est l’effet inverse qui est recherché par cette réforme danoise. Quelle est la véritable solution ? Le sujet n’a pas fini d’être débattu.
La presse est divisée sur le sujet.
Politiken, quotidien de centre-gauche, le plus important est que ce conflit ne détruise pas les bons côtés de l’école danoise : “Trop souvent, quand nous critiquons l’école danoise, nous oublions à quel point cette institution fonctionne bien. Nous oublions que les enfants danois sont vraiment contents d’aller à l’école — contrairement aux enfants dans beaucoup d’autres pays. Nous oublions que l’école danoise crée des enfants innovateurs et forme à l’indépendance d’esprit. Et nous oublions que ce sont des professeurs motivés et engagés qui font marcher l’école.”
Berlingske, quotidien conservateur, le gouvernement devrait intervenir et mettre fin au conflit. D’abord, explique le journal, parce qu’il ne s’agit pas d’un conflit sur les principes fondamentaux de l’enseignement. Ensuite parce que les communes ne cherchent pas à augmenter formellement le temps de travail des enseignants : “Les professeurs doivent accepter que la direction de l’école a le droit de décider du mode de travail, comme c’est le cas dans tous les lieux de travail.”
Jyllands-Posten, quotidien libéral, rappelle pour sa part, que 18 % des élèves quittent l’école (à l’âge de 16 ans — juste avant le lycée) sans avoir réussi les examens finaux de maths et de danois : “Il est temps que les professeurs se réveillent et voient la misère intellectuelle qu’ils ont aidé à créer”, conclut le journal.
Devant l'impasse, le gouvernement tranche
Le gouvernement social-démocrate du Danemark a proposé une mesure législative d'urgence pour mettre fin au lock-out qui dure depuis quatre semaines. Si la loi spéciale est adoptée durant le week-end, les cours pourraient reprendre dès lundi. La loi spéciale impose trois heures d'enseignement de plus par semaine aux professeurs et elle abolit progressivement le droit de moins travailler après l'âge de 60 ans, mais elle prévoit aussi environ 4,5 millions d'euros en hausses salariales.
La première ministre a déclaré jeudi qu'une majorité de parlementaires est prête à appuyer cette mesure.
Les questions politiques soulevées par la pratique du lock-out
Le lock-out, grève décidée par l'employeur, sert à obtenir une décision sans contrepartie par l’assèchement des ressources des employés qui ne sont plus payés et l'abandon du soutien des citoyens, parents qui ont dû prendre un congé ou payer pour une garderie privée. Un comble pour un pays dont le système éducatif et la politique sociale ont pendant des décennies été considérés comme des modèles.
C'est aussi un exemple de ce que sont devenus les gouvernements sociaux-démocrates en Europe qui ont recours à des formes très agressives de lutte des classes. Le gouvernement danois a délibérément choisi l’éducation publique pour prouver qu’il est prêt à perpétrer des attaques massives dans les secteurs sociaux essentiels avec un mépris délibéré envers les intérêts et l’opinion de la population en général, le prélude à l’imposition de mesures similaires dans l’ensemble du secteur public.
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