Je n’arrête pas, Facebook à l'infini. Une frénésie idiote. Envie de garder un lien, d’écrire sur ce que nous traversons, parce que ce n’est pas ordinaire de ne plus pouvoir se voir, de ne plus se toucher. C'est ridicule je suis tellement déformé, que lorsque je vois des gens qui s'embrassent dans un film, j'ai envie de leur dire : attention, c’est trop prêt ! Alors, je pianote sur facebook pour rester connecté aux autres. Sans doute pour combler un vide. Parce que je n’ose pas me dire à quel point la rencontre est un moteur irremplaçable... Pourtant je n’aime pas follement les réseaux sociaux. Trop superficiels, trop rapides, trop impersonnels, un peu obscènes et voyeuristes, comme la période.
Tout savoir, tout dire, tout connaître, tout montrer, tout étaler au grand jour, dans un zapping frénétique du spectaculaire, du consommé vite. Notre monde pressurisé a inventé les relations distanciées, les identités numériques, les dialogues en pointillés, les relations qui s’auto-détruisent. Cette recherche très narcissique du like... Elle doit être sacrément enracinée, cette envie d'être aimé ! Tellement puérile, que l’on tombe tous dedans... Si je reconnais que les réseaux sociaux sont bien utiles en période de crise pour garder un lien, je ne saisis pas toujours la subtilité de leur fonctionnement. Cette manière d‘identifier l’autre par exemple, qui se passe désormais de notre autorisation. En deux mots, lorsqu’on échange sur Facebook et qu’un interlocuteur à choisi de vous nommer pour vous interpeller, votre nom apparait tout à coup en gras et vous recevez une identification sur votre ordinateur. Alerte ! Vous venez d'être identifié ! Du coup, tout ceux qui ont participé à la conversation sont au courant ! (J'ose à peine imaginer ce que cela donnerait dans un système devenu policier !). Lorsque vous êtes identifié, c'est un peu comme si quelqu'un hurlait votre nom dans la rue ! Il n'y pas moyen de rester discret ! Il y a dans cette façon de pointer du doigt, d’identifier une personne, une injonction, comme s'il fallait répondre obligatoirement, devant témoin. La vie numérique, nous presse, nous oblige, nous stimule en permanence et nous sommes désormais environnés d'alertes qui polluent notre quotidien.
Bien sûr, il y a parfois des solidarités des luttes, des courages. Des images et des mots magnifiques... Mais sur le plan social c’est quand même étrange, d'être interpellé comme ça en permanence...
Comment en sommes nous arrivés là ? À vivre numérique ? A passer notre temps à nous auto promouvoir en mode publicité ? À nous surveiller collectivement, en mode policier ? A dévorer des écrans toute la journée au point parfois d'en délaisser notre entourage ? Où est passé le secret ? L’intimité, le contact, la confidence, la relation personnelle ? Le temps de l'autre, de l’écoute. Le temps du silence, sans médias... Qu’est ce qui explique que nous en arrivions à montrer les photos de nos gosses à des gens que l’on ne connaît pas et qui s’en foutent ?
L’autre jour, une connaissance écrit longuement sur Facebook et évoque un événement terrible arrivé dans sa vie, la mort d'un proche. Le texte était beau sensible et touchant, peut être intimidant. Aucune réaction, rien, pas un commentaire pendant plusieurs jours. Un jour, deux, trous jours rien. Je suis retourné voir, une semaine plus tard, le texte avait été effacé... Cet autre jour, un vieux copain qui ne donne aucune nouvelle depuis deux ans, se met tout à coup à liker un post très personnel ! Qu’est-ce qu’il a cherché à me dire ? Que depuis des années, il continue à m‘observer, à me lire ? Es-tu mon ami ? Es-tu mon espion ?
Il y a dans cette civilisation "de la surveillance" "de l'injonction" quelque chose de troublant, quelque chose qui nous juge, qui fabrique des urgences inutiles. Pas de guerre, pas de temps pour la guerre, juste une lassitude. Puisque l'on ne peut pas se voir, boire des coups, danser, rire, positionner librement. Je me dis que l'on peut se lire, s'écrire. Alors, j'ai parfois des rêves idiots et terriblement nostalgiques, celui d'envoyer et de recevoir des cartes postales...
Des cartes postales. Des belles images en carton que l’on écrivait à des copains pour dire que l’on se chauffait le cul au soleil, on se racontait rien et tout. Mais on prenait le temps de l‘autre, en écrivant un mot, on assumait une relation unique, sans témoin, sans flic, sans juge, sans identification. Un rêve bien illusoire terriblement vieillot. J'imagine, un retour des cartes postales même les plus moches possible en mode bonjour de Becon les Granits ou avec des couchers de soleil sursaturés et des moules frittes. Recevoir une carte postale, une lettre dans sa boîte aux lettres, c’est quelque chose...
Et si pendant cette pandémie qui n’enflamme pas les créateurs de cartes postales, on ralentissait ? On arrêterait la course... On s'enverrait des mots qui voyagent et qu'on guette à nos boites aux lettres ! Bon confinement ! Bon couvre feu ! Faites gaffe aux flics après 18 heures ! Prends soin de ta grand mère ! Mets ton putain de masque ! Prends tes frittes et ton gel ! Sur la plage, bronze barrières ! On ferait péter les boîtes aux lettres, on s’écrirait des cartes postales à deux balles, on se raconterait des choses qui servent à rien. Comme on faisait quand on était jeune. Les enfants mettraient un petit mot débile toujours le même, “Je me confine bien tonton, je pense à toi ! On se rappellerait ces moments simples où on se tenait à la terrasse d'un café pour penser aux copains avec un stylo au bord des lèvres. On ferait voler nos pensées dans les sacoches des facteurs.
Un temps perdu, un temps gagné ? Qui parait si loin, un temps à vivre des relations moins rapides... Fichus bars fermés ! Fichus spectacles annulés ! fichus réseaux sociaux ! Fichus virus...
Allez ! "Keep in touch" et courage. (Gardez le contact)