Et c’est bien cette simplicité réductrice que nous comptons examiner de plus près. Jean-Luc Mélenchon, figure centrale de la France Insoumise (LFI), se voit ainsi catalogué dans le billet politique de la matinale de France Culture comme un sympathisant de Vladimir Poutine, supposé donner un blanc-seing à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Pourtant, une écoute attentive de ses discours et une étude plus approfondie des positions politiques de la France Insoumise (LFI) nous révèlent une vision bien moins simpliste.
Mélenchon n’a jamais été un "poutinophile", et ses critiques virulentes de l’impérialisme américain et de la politique militariste de l’OTAN ne doivent pas être interprétées comme une bénédiction pour le Kremlin. En effet, depuis combien de temps maintenant celui-ci dénonce-t-il l’enfermement des opposants politiques en Russie, l’oligarchie poutinienne, l’invasion de l’Ukraine ? Comment expliquer alors que ce journaliste refuse d’y voir ces subtilités ?

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La remise en question de l’OTAN : de Trump à Mélenchon
L’argumentaire de Jean Leymarie repose sur une vision figée d’un monde où l’OTAN serait une citadelle imprenable, symbole d’un ordre mondial stable. Or, cette vision du monde date de plusieurs décennies.
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, le monde occidental a vu ses bases de sécurité profondément ébranlées. Trump, en véritable iconoclaste des basses œuvres, n’a cessé de remettre en cause l’Alliance atlantique, qu’il a qualifiée de "désuète" et de "somme de dépenses inutiles".
Une critique certes brutale, mais qui n’est pas dénuée de fondement si l’on regarde la manière dont l’OTAN, loin de garantir la paix, semble souvent n’être qu’un instrument de la projection de la puissance occidentale, bien loin des idéaux de sécurité collective initialement défendus. Même si ce n'est évidemment pas pour ces raisons que Trump remet en question l’OTAN.
Mélenchon et LFI se positionnent dans ce contexte où l’OTAN n’apparaît plus comme un bouclier de la paix, mais comme un catalyseur de conflits. La critique de l’alignement systématique de la France sur Washington, l’appel à une Europe plus autonome, à une désescalade des tensions, tout cela ne relève pas d’une idéologie de complaisance vis-à-vis de Moscou ou de Washington, mais d’un pragmatisme désireux d’éviter la guerre à tout prix.
La position de LFI, loin de rechercher l’isolement, prône au contraire le retour à la position historique française de non-alignement, la seule possible de stopper la logique d’escalade militaire americano-russe.
Jean Leymarie reproche à Jean-Luc Mélenchon de refuser la création d’une "Europe de la défense". Mais ce concept, véritable talisman des élites européistes, mérite que l’on s’y attarde quelque peu. L’Europe, aujourd’hui, est moins un acteur stratégique autonome qu’un appendice de l’OTAN, qui la place sous la coupe de la politique étrangère américaine.
Dès lors, l’illusion de l’autonomie stratégique européenne s’effondre. La "défense européenne" à la sauce actuelle ne serait qu’une redondance de l’OTAN, un simple renfort à l’impérialisme américain. Mélenchon, en refusant cette vision, souhaite une Europe capable de défendre ses intérêts sans se soumettre à Washington.
Il n’y a ici ni nostalgie d’une Europe isolée, ni soutien à un régime autoritaire quelconque, mais un appel à la souveraineté et à l’autonomie. Une position qui rappelle étonnement, celle de De Gaulle dans les années 60 : une Europe indépendante, capable de peser sur la scène mondiale sans être l’otage des grandes puissances extérieures.
L’indignation sélective : un raisonnement à géométrie variable ?
Une autre critique formulée par Jean Leymarie concerne la défense d’une "paix juste", terme qui, aux yeux du chroniqueur, semble mériter une interprétation à géométrie variable.
La position de LFI sur ce sujet est d’autant plus pertinente qu’elle dénonce l’hypocrisie de l’indignation morale sélective. Pourquoi, par exemple, ce silence gêné des puissances occidentales face aux crimes de guerre commis par les États-Unis et l’Arabie Saoudite, alors même que la communauté internationale se mobilise contre la Russie ?
L’invasion de l’Irak en 2003, fondée sur de fausses informations, et la guerre au Yémen, alimentée par les armements américains et européens, sont des violations flagrantes du droit international, pourtant largement ignorées par les mêmes qui s’élèvent aujourd’hui contre Mélenchon. Alors qu’à contrario LFI, tient un discours cohérent : une condamnation de tous les crimes de guerre, sans distinction selon les protagonistes.
Une position plus juste et plus conforme aux principes de solidarité internationale que certains ne veulent tout simplement pas entendre.
Dans des circonstances si troublées, comment ne pas penser à la fameuse accusation qui, à l’époque, entachait Jean Jaurès : "un agent allemand". Des insultes fielleuses lancées à l’encontre de celui qui, pour ses idées de paix, fut assassiné la veille de la guerre de 1914.
Loin de comparer Mélenchon au “Grand Jaurès”. Toutefois, lui aussi défendait une vision internationale, humaniste, mais se voyait accusé de sympathies suspectes envers l’Allemagne, tout comme aujourd’hui, Mélenchon, par certains, est étiqueté "pro-russe" pour ses critiques d’un certain “ordre” occidental.

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Ce parallèle n’est pas qu’une ironie de l’histoire : il soulève une question brûlante sur la posture politique de ceux qui osent défier l’ordre dominant.
Car, au fond, ce ne sont pas leurs positions géopolitiques qui font scandale, mais le fait qu’ils osent contester la logique de guerre et d’interventionnisme militarisé qui sous-tend la politique étrangère emplie des pires impérialismes réactionnaires de tout bord.
En cela, Mélenchon s’inscrit dans la tradition d’un Jaurès visionnaire, en quête de paix et de justice, bien que le contexte et les puissances en présence aient changé.
Ce billet de Jean Leymarie reflète un regard déconnecté des réalités géopolitiques actuelles. Si l’OTAN semblait autrefois, pour certains, être un gage de stabilité, comment ne pas voir aujourd’hui sa remise en question comme le fruit d’une analyse lucide du monde multipolaire qui émerge ?
« On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre. » Jean JAURÈS Œuvres de Jean Jaurès : les alliances européennes (1887-1903), édition posthume, 1931.
La position de Jean-Luc Mélenchon et de La France Insoumise, loin d’être une complaisance envers la Russie, s’inscrit dans une critique des rapports de force mondiaux, une défense d’une réelle ’autonomie européenne et, surtout, une résistance aux logiques de guerre, qu’elles viennent de l’Est ou de l’Ouest.
En ce sens, les discours simplistes et les étiquettes hâtives ne font que nourrir l’illusion d’un monde binaire. Mais comme l’avait dit Jaurès : « On ne fait pas la guerre pour se débarrasser de la guerre. ». Il serait temps de s’en souvenir.