Basile.Giraud (avatar)

Basile.Giraud

Étudiant, Pigiste...

Abonné·e de Mediapart

19 Billets

0 Édition

Billet de blog 9 octobre 2024

Basile.Giraud (avatar)

Basile.Giraud

Étudiant, Pigiste...

Abonné·e de Mediapart

Quand le fait divers occulte l’urgence sociale

En France, l’inventaire à la Prévert des faits divers s’enchaîne avec la frénésie d’une galerie de tabloïds, alimentant un tourbillon de réactions rapides et de réformes superficielles. Incendies de voitures, fusillades et agressions filmées deviennent des prétextes pour des conclusions hâtives et des mesures répressives, occultant les véritables enjeux sociaux.

Basile.Giraud (avatar)

Basile.Giraud

Étudiant, Pigiste...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ces décisions, en se bornant à considérer les effets comme les causes des maux qu’elles prétendent soigner, ignorent les racines profondes et n’offrent qu’une illusion de solution.

Le "Narco-cide" : Le dernier épisode du grand cirque médiatique

Cette semaine de début octobre, la France bruisse à nouveau de l’émotion collective, tandis qu’une série de faits divers tristement renommée « narco-cide » s’est abattue sur nos écrans. Une tragédie de plus ? 

Un adolescent de 15 ans, enrôlé par un jeune homme de 23 ans, incarcéré pour ses actes, se voit confier la mission d’incendier la porte d’un concurrent supposé. Ce qu’on pourrait appeler un « rite de passage » à la violence, s’achève dans un déluge de sang puis de flammes. En effet, ce jeune garçon sera tué sous des dizaines de coups de couteau puis brûler vif, avant d’avoir pu mener sa sinistre mission à terme.

Par un acte de vengeance, son commanditaire incarcéré envoie un nouvel exécuteur : Un garçon de 14 ans. Ce dernier, bien que lui aussi piégé dans ce cycle de mort, finira par abattre le chauffeur VTC qui les conduisait, qui vraisemblablement comprenant la situation n’a pas souhaité attendre la fin de cette expédition punitive. 

Les commentateurs s’indignent, feignant de découvrir l’âge de ces nouvelles recrues, comme si la jeunesse se révélait soudain un sujet de surprise.

Illustration 1
Les quartiers nord de Marseille © L. Urman

Pourtant, ce drame n’épargne personne. Les victimes, bien entendu, paient le lourd tribut de cette spirale infernale ; derrière chaque titre de presse, se cachent des vies brisées, des familles endeuillées, dont le chagrin résonne comme un écho d’impuissance. Mais que dire des bourreaux ? 

Ces jeunes, enrôlés dès leur plus jeune âge, sont eux aussi ces victimes d’un système qui leur a fermé toutes les portes sauf celle de la violence. 

À l’âge où d’autres découvrent les bancs de l’université ou les prémices de la vie professionnelle, ces adolescents se voient propulsés dans un abîme, où leur innocence est sacrifiée sur l’autel de la survie.

Cette tragédie interroge inévitablement la responsabilité collective de notre société envers nos jeunes. Ces adolescents, souvent pris dans les filets d’un système qui ne leur offre que peu d’alternatives, ne sont pas à considérer comme des êtres intrinsèquement perdus, mais plutôt comme le reflet d’un environnement défaillant.

Ils ne sont pas seuls en quête de repères ; dans un monde où les valeurs semblent se mesurer à l'aune de l'argent et de la violence, ils évoluent dans un univers où l'accès à l'éducation, à l'emploi puis in fine à la dignité est parfois devenu hors de portée.

La montée des « narco-cides » témoigne d’une dégradation des liens sociaux et d’une déresponsabilisation des institutions. 

Chaque fusillade, chaque drame, n’est pas uniquement l’affaire d’individus isolés, mais bien le produit d’un climat où la précarité et la désespérance se mêlent à une quête d’identité façonnée par des normes pernicieuses. 

Victor Hugo dans Les Misérables, il y a quelques siècles avait pourtant rappelé que nous avons le devoir de s’interroger sur les conditions qui mènent à de telles destinées tragiques : « La société a le droit de juger ceux qui lui sont livrés, mais elle a le devoir de s'interroger sur ce qu'elle a fait pour les conduire à cette destinée. »

Illustration 2
La cité La Castellane, à Saint-Henri (15e Marseille) © Photo illustration n.V.

Les "narco-cides", emblématiques d’une spirale de violence, ne sont pas uniquement le fait d’individus perdus, mais le résultat d’un environnement où la précarité amenant à la criminalité se substitue à un État de Droit. 

Il devient urgent d’adopter une perspective holistique, en reconnaissant que ces jeunes, pris au piège de leur réalité, sont des victimes d’une société qui, par son indifférence et son inaction, a contribué à les forger dans la violence. 

À nous, en tant que collectivité, de prendre la mesure de cette réalité et d'œuvrer à restaurer des voies d’espoir et de réinsertion, afin que le destin de nos jeunes ne soit plus scellé par des actes désespérés.

L’Argent : Symbole de pouvoir et d’illusion

Dans notre société contemporaine, où l’argent semble avoir supplanté l’éthique, comment peut-on s’étonner que certains des plus jeunes, de fait les plus vulnérables, s’y accrochent avec une ferveur désespérée ? La promesse d’une réussite matérielle rapide et sans effort s’érige en piège, en une illusion périlleuse qui les entraîne vers l’irréparable. 

D’un côté, on leur inculque l’idée que l’argent achète tout : pouvoir, beauté, respectabilité, tandis que de l’autre, les voies d’épanouissement en dehors de cette logique consumériste et mercantile leur sont soigneusement fermées.

Depuis combien de temps, les enjeux liés à la précarité, à l’accès au logement, à l’éducation et à la santé sont-ils relégués au second plan par nos décideurs ? L’égalité des droits, autrefois promesse d’un avenir radieux, se dissipe progressivement, tout comme l’accès aux services qui devraient garantir ces droits. 

Illustration 3
« La violence fait toujours partie du répertoire de l’État » © Michel Tabanou

Le constat est amer : combien des services hospitaliers, ont-ils fermé leurs portes ? Combien de services publics souffrent de sous-effectifs chroniques ? Combien de bacheliers se retrouvent sans faculté, et d’étudiants contraints de se tourner vers des associations caritatives pour satisfaire leurs besoins les plus élémentaires ?

Ces jeunes, souvent dépeints comme des délinquants en puissance, ne sont-ils pas plutôt le reflet d’une société qui a échoué à leur offrir un cadre propice à leur épanouissement ? 

Alors que le gouvernement Barnier semble s’étonner de l’aggravation des violences, il est essentiel de rappeler que cette crise est le résultat d’années de négligence. 

Les services publics, jadis garants de solidarité, ont été démantelés, tandis que les dispositifs d’aide sociale ont été décimés au nom d’une rigueur budgétaire qui ne fait qu’envenimer la situation.

Ce sont ces mêmes jeunes, aujourd’hui stigmatisés, qui auraient eu besoin de ces structures. Les médias, dans leur indignation face à des adolescents impliqués dans des faits divers tragiques, se doivent de considérer ceux qui, en arrière-plan, sombrent dans le désespoir, échappant aux projecteurs de l’attention publique.

Dans ce contexte désolant, ce mot de Blanqui évoquant le structuration notre société prend une résonance particulièrement poignante : « Tel est notre ordre social, fondé par la conquête, qui a divisé les populations en vainqueurs et en vaincus. » 

Cette assertion s’impose avec une force troublante, révélant la fracture béante entre ceux qui prospèrent grâce à un système favorisant l’accumulation des richesses et ceux, au contraire, qui sont condamnés à la précarité. 

Les vainqueurs de cette guerre économique se complaisent dans leur prospérité, tandis que les vaincus luttent pour subsister dans un quotidien de plus en plus précaire, où la violence apparaît comme une réponse à un abandon manifeste.

La situation actuelle atteint un paroxysme de désespoir. 

Ces jeunes, souvent désillusionnés, voient leur avenir se réduire à des choix désespérés, face à un monde qui leur présente l’argent comme la seule valeur digne d’intérêt.

Les réformes à venir se présenteront sans doute comme des solutions miracle, mais tant que les causes profondes de la précarité et de l’exclusion demeureront ignorées, elles ne seront que de vains pansements sur une plaie béante.

En France, ce ne sont pas seulement les édifices des services publics qui s’effondrent, mais aussi les rêves et les existences de ceux qu’ils sont censés protéger.

Le péril est immense : une génération perdue, prisonnière d’un système qui la considère comme un simple chiffre dans un tableau budgétaire, sacrifiant son avenir sur l’autel de l’économique. Une génération qui, face à l’absence de repères et d’opportunités, se voit contrainte de se tourner vers la violence, non par choix, mais par désespoir, devenant ainsi à son tour victime d’un ordre social dont elle n’a pas choisi les règles.

Les tragédies qui frappent notre jeunesse ne peuvent se réduire à de simples faits divers ; elles sont le symptôme d’une crise systémique profondément ancrée dans notre société. 

À une époque où l’argent est devenu le maître étalon de toutes les valeurs, il est impératif de questionner ce que cela signifie pour notre humanité collective. La quête de richesse matérielle a pris le pas sur des valeurs essentielles telles que la solidarité, la dignité et l’éducation.

Loin d’être une simple question économique, cette problématique touche au cœur même de notre existence. En plaçant l’argent au centre de notre modèle social, nous avons sacrifié notre capacité à établir des liens humains authentiques et à nourrir une conscience collective. 

Nos jeunes, pris dans cette spirale consumériste, se voient confrontés à des choix désespérés, souvent motivés par un désir d’ascension sociale par des voies aussi dangereuses qu’illusoires. 

Ces actes ne sont pas des manifestations de délinquance, mais le reflet d’une société qui a échoué à leur offrir des repères et des perspectives d’avenir.

Cette situation inviterait à une réflexion profonde sur les priorités que nous nous fixerions en tant que collectivité. La violence qui s’exprimerait à travers ces tragédies ne serait pas seulement un problème individuel ; elle serait le cri d’alarme d’une jeunesse en quête de sens dans un monde régi par la loi du plus fort. 

Dans une société où l’argent serait perçu comme la seule voie d’accès à la réussite, la valeur de l’individu serait progressivement diluée. Chaque enfant devrait être perçu comme un potentiel à développer, plutôt que comme un simple chiffre dans une grille budgétaire.

Il deviendrait urgent de rétablir une véritable philosophie de vie, où l’humain primerait sur le matériel. Nous devrions remettre en question la manière dont nous définirions la réussite et la valeur. La dignité, l’accès à l’éducation, et le soutien aux plus vulnérables ne devraient pas être considérés comme des privilèges, mais comme des droits inaliénables.

Si nous ne prenions pas conscience des implications de cette quête aveugle de l’argent, nous continuerions à engendrer des générations perdues, prisonnières d’un système qui ne leur offrirait que des illusions. 

Il serait temps de réagir, de penser collectivement à un avenir où la dignité humaine serait la véritable richesse. 

Pour cela, il nous appartiendrait de redéfinir nos valeurs, de reconstruire notre tissu social, et de restaurer des voies d’espoir et d’insertion afin que nos jeunes ne soient plus contraints de se tourner vers la violence par désespoir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.