Basile.Giraud (avatar)

Basile.Giraud

Étudiant, Pigiste...

Abonné·e de Mediapart

20 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 décembre 2024

Basile.Giraud (avatar)

Basile.Giraud

Étudiant, Pigiste...

Abonné·e de Mediapart

Sans ministères, mais pas sans égo !

Depuis leurs adieux aux ors ministériels, nombre d'anciens Ministres brillent dans un rôle qu’ils maîtrisent à la perfection : celui de vedettes en quête d’applaudissements. Théâtre, romans, talk-shows… Ils occupent la scène, mais la République et les réponses aux attentes des citoyennes et citoyens elles, restent en coulisses.

Basile.Giraud (avatar)

Basile.Giraud

Étudiant, Pigiste...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après avoir officié dans le théâtre politique, ils tentent désormais de séduire un autre public, celui des salles de théâtre, des librairies ou des talk-shows télévisés. Et si, par hasard, ils faisaient une reconversion utile ? Détrompez-vous. Ce qu’ils nous livrent, c’est un savant mélange d’autopromotion et de vacuité déguisée en profondeur.

Prenons Éric Dupond-Moretti, ex-Garde des Sceaux devenu dramaturge amateur. Avec sa pièce « J’ai dit oui », l’homme nous promet de nous ouvrir les coulisses de sa vie de ministre. Un titre tout trouvé, qui pourrait aussi bien résumer l’approbation sans réserve de sa propre légende. Que peut-on espérer ? Des anecdotes palpitantes sur la rédaction de lois ou sur ses démêlés avec le Conseil d’État ? 

Ou simplement une grande séance d’autojustification, avec les projecteurs braqués sur lui comme à ses heures de plaidoiries ? Si la justice française est engorgée, ce n’est certainement pas à cause des salles de théâtre trop pleines. Mais qu’importe : l’homme qui défendait tout le monde se défend surtout lui-même.

Dans un autre registre, Marlène Schiappa, notre Édith Piaf de l’écriture politique, n’a pas chômé non plus. Dix livres depuis son entrée au gouvernement en 2017. Oui, dix. On pourrait se demander si elle n’a pas inventé la semaine de dix jours. 

Illustration 1
Marlène Schiappa lors de la dédicace de son livre à la librairie Flammarion. (Paris, le 23 mai 2018.) © Apaydin Alain / Abaca

Des romans, des essais, des témoignages, elle a touché à tout, sauf, semble-t-il, à la gestion de ses responsabilités ministérielles.

Mais qu’on se rassure, l’important pour elle est ailleurs : occuper les rayons des librairies et alimenter son personnage médiatique, ce mélange de superwoman et de grande sœur. Loin des préoccupations des Français, bien sûr, qui auraient sans doute préféré une action décisive sur l’égalité des genres plutôt qu’un dixième opus sur ses états d’âme.

Et puis, il y a Bruno Le Maire, qui, entre deux crises économiques, a trouvé le temps d’écrire six livres en plein exercice de ses fonctions à Bercy. Faut-il saluer son sens de l’organisation ou déplorer sa déconnexion ? Car pendant que les Français s’inquiètent de leur pouvoir d’achat, notre ministre des Finances de l’époque jongle avec les mots, oscillant entre confessions personnelles et réflexions d’économiste du dimanche. 

De Fugue italienne à L’Ange et la Bête, son œuvre semble surtout témoigner d’un désir ardent d’être reconnu comme un écrivain, plutôt qu’un gestionnaire compétent. On ne dirige pas la deuxième économie de l’Union européenne comme on tient un atelier d’écriture.

Ce délire créatif collectif n’est pas anodin. Guy Debord, dans La Société du spectacle, avait parfaitement diagnostiqué ce phénomène : les acteurs politiques deviennent des icônes médiatiques, fabriquant leur propre image pour occuper l’espace public, au détriment des vraies problématiques. 

Dupond-Moretti, Schiappa et Le Maire incarnent cette dérive où l’action politique s’efface devant la mise en scène permanente. Ils ne sont plus des ministres, mais des personal brands, des produits à consommer sur scène ou en librairie.

Et pendant ce temps, la précarité explose. Les files d’attente aux distributions alimentaires s’allongent, les soignants fuient les hôpitaux, et les enseignants se demandent s’ils vont pouvoir finir le mois. Face à ces urgences, que proposent nos anciens ministres ?

Des pièces de théâtre, des romans, des autobiographies. Leur message est clair : « Nous avons été au pouvoir, mais notre véritable mission est de vous divertir. » Une mission qu’ils accomplissent avec zèle, laissant le soin aux citoyennes et citoyens de ramasser les pots cassés.

Leur reconversion soulève une question fondamentale : à quoi sert l’action politique si elle n’aboutit qu’à des œuvres narcissiques ? Ces anciens ministres ne sont-ils pas les symboles parfaits d’une élite déconnectée, enfermée dans sa bulle culturelle et médiatique, persuadée que son existence suffit à justifier son importance ? 

Illustration 2
Eric Dupont-Moretti intérpre son spectacle "Eric Dupond-Moretti à la barre" '(février 2019)

Leur autopromotion incessante ne fait que creuser le fossé entre les citoyens et leurs dirigeants, transformant la République en une vaste comédie où le peuple n’a qu’un rôle de spectateur.

Et pourtant, eux s’imaginent indispensables. Comme si leur pièce, leur roman ou leur confession allait changer le cours de l’histoire. 

Mais l’histoire, elle, ne les retiendra peut-être que comme des personnages secondaires dans une farce où les véritables héros – les travailleurs, les précaires, les invisibles – n’ont jamais eu droit à la parole.

Nous sommes passés de la politique au spectacle, et ce spectacle-là ne fait que masquer le vide.

La République mérite mieux que des saltimbanques de l’ego. Mais après tout, dans cette société du spectacle, peut-être est-ce nous, citoyens, qui avons trop longtemps dit oui ?

Les politiques seraient-ils devenus des personnalités qui se suffisent à elles-mêmes ? Leur mission de gouvernance se dilue dans l’auto-mise en scène, et le peuple regarde, amusé ou désabusé, un spectacle où le comique de situation le dispute à la tragédie sociale. Pendant ce temps, la République vacille, et les véritables enjeux restent orphelins, écrasés sous le poids de cette farce grandeur nature.

Qu’attendons-nous pour rappeler à nos chers dramaturges qu’ils sont au service du peuple, et non de leur propre célébrité ? 

Une bonne réforme vaudra toujours mieux qu’un mauvais manuscrit. Mais qu’importe : « ils ont dit oui », et nous payons l’addition.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.