Dans un bel exercice de prestidigitation législative, les sénatrices Françoise Dumont (LR) et Marie-Pierre de la Gontrie (PS) justifient cette extension par le besoin de « mieux évaluer » l’efficacité de la vidéosurveillance algorithmique. Traduction : les tests menés avant, pendant et après les JO ont été jugés trop courts pour tirer des conclusions satisfaisantes, alors on va les rallonger. Logique.
Si l’expérimentation a du mal à prouver son efficacité, pas de panique : elle sera reconduite jusqu’à ce que les chiffres lui donnent raison. Effet cliquet oblige, il est bien plus facile de prolonger un dispositif que de le démanteler. Et puis qui osera faire marche arrière sur une promesse de « sécurité » ?

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Une adhésion populaire bien huilée
Autrefois, les Français marchaient en masse contre les lois liberticides. Aujourd’hui, 76 % d’entre eux approuvent l’installation des caméras sur la voie publique, selon le think tank Continuum Lab.
Peut-être un syndrome de Stockholm technologique ? Ou un simple effet de la banalisation de la surveillance sous toutes ses formes ? Entre les réseaux sociaux espionnés par les employeurs, les caméras parentales et la reconnaissance faciale sur nos téléphones, qui a encore envie de s’indigner ?
D’autant que le débat est soigneusement cadré : les médias, prompts à relayer les arguments pro-sécurité, posent la question de l’efficacité, mais rarement celle de la légitimité. La VSA marche-t-elle ? Peut-être. Mais est-elle souhaitable ? Circulez, il n'y a rien à voir.
L’industrie de la sécurité, grande gagnante du jackpot olympique
La vidéosurveillance algorithmique n’a pas surgi du néant. Son extension n’est que l’aboutissement d’un lobbying bien rodé, mené par les industriels du secteur, en parfaite osmose avec l’État.
Dès 2020, le contrat stratégique de la filière sécurité prévoyait d’ailleurs que les JOP serviraient de « laboratoire » pour tester ces technologies. Un joli coup pour les vendeurs de caméras.
Et ça continue. Philippe Latombe, député Modem et commissaire de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), incarne cette étrange posture où l’on critique mollement la surveillance tout en caressant les industriels dans le sens du poil. L’AN2V, puissant lobby de la vidéosurveillance, a su placer ses pions dans les instances de décision. Résultat : l’expérimentation devient permanente et les caméras sont là pour rester.

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La surveillance, ce nouveau normal
Aujourd’hui, remettre en cause la vidéosurveillance, c’est être taxé d’angélisme, voire d’irresponsabilité. Les maires écologistes eux-mêmes, jadis farouches opposants, se contentent d’ « encadrer » le déploiement des caméras plutôt que de les démonter. À Bordeaux, elles ont doublé sous la houlette de Pierre Hurmic. À Lyon, elles deviennent « nomades », mais restent bien en place.
L’expérimentation est ainsi devenue un État d’urgence permanent. Comme l’explique Félix Tréguer, chercheur à La Quadrature du Net, les gouvernements ont trouvé dans ces périodes d’exception un formidable outil pour imposer des mesures répressives sans trop de résistance.
En somme, on instruit un œil numérique destiné à veiller en permanence. L’intelligence artificielle analyse les foules, détecte les comportements "anormaux", et alerte les forces de l’ordre à la moindre agitation suspecte.
Définition de "suspect" ? Ça, c’est une autre histoire…
Un attroupement trop dense ? Un passant qui hésite un peu trop longtemps devant une vitrine ? Une personne qui court sans tenue de sport ? Bienvenue dans une ère où même un sprint pour attraper le dernier bus peut faire de vous un potentiel délinquant.
Aujourd’hui, la VSA se pérennise sous prétexte de tests. Demain, quel sera le prochain dispositif intrusif à se glisser dans la brèche ?
D’ici là, souriez, vous êtes filmés.