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Ce jeudi 9 octobre 2025, Robert Badinter entre au Panthéon. Fait suffisamment rare par les temps qui courent pour le souligner : la République en sort grandie.
Bien sûr, c'est avant tout l’homme qui a mis fin à la peine capitale qui est célébré aujourd'hui. Il faut dire que l'on parle ici de ce qui reste peut-être comme l'un des faits les plus avancés, en terme de lutte pour l'émancipation humaine, dans l'histoire de notre pays. Badinter s'est battu pour que personne, sous aucun prétexte et d'aucune forme, ne puisse éteindre de force la lumière de quelqu'un d'autre. Reste bien sûr à conquérir le droit à choisir d'éteindre sa propre lumière... et l'essai sera transformé.
Mais revenons à Badinter. Car en le célébrant lui et son héritage immense, il serait dommage de ne pas regarder la boussole que l'homme nous a laissée : le droit face à la peur, la raison contre la vengeance, l'humanisme contre la haine. Dans une époque où s'enchainent les slogans sécuritaires absurdes et les discours racistes tous plus odieux les uns que les autres, dans une époque où ceux qui soutiennent un génocide ne sont pas inquiétés mais peuvent se permettre de salir ceux qui le dénoncent, dans une époque où la plupart des grands médias se trouve dans les mains de l'extrême droite, Badinter nous montre le chemin : tenir la ligne, même quand l’opinion tremble ou qu'elle aboie en meute, galvanisée par les esprits sombres. Badinter est actuel, parce qu'il incarne tout l’inverse du renoncement. La fermeté du principe, l’humanité comme ligne, l’État de droit comme socle.
Badinter, c’est aussi une méthode. Pour parvenir à gagner sur la fin de vie, Badinter a combattu sans relâche. Il a su convaincre sans mépriser, instruire sans céder, avancer sans renoncer. Il n'a jamais reculé et n'a surtout jamais accepté le moindre compromis visant à se contenter de moins pour prétendre avoir marquer le point. Autrement dit : Badinter n’a pas "modernisé" la peine de mort, il ne l'a pas "rendue acceptable" en négociant la pratique, il n'a pas proposé de moratoire sur son interdiction dans 10 ans. Non. Clair et net : Badinter a obtenu l'abolition de la peine de mort. Point. Démonstration faite : c'est ici la seule méthode pour mener une lutte de façon honnête pour celles et ceux qui la soutiennent. Et c'est la lourde responsabilité de celle ou celui qui porte le drapeau et décide de marcher devant : tout faire pour aller au bout.
Badinter, c’est aussi la fin des juridictions d’exception, la fin de la discrimination pénale des personnes homosexuelles, la réparation des victimes, l’ouverture du recours individuel à la CEDH... C'est augmenter la part d’humanité dans la justice. C'est défendre l'idée qu'une démocratie se juge à la manière dont elle traite celles et ceux qui n’ont plus rien. Badinter a exposé au monde ce que l'idée de justice doit être : pas un exutoire, encore moins une foire aux pulsions émotives. La Justice doit avant tout protéger, elle doit avant tout réparer. La Justice doit toujours chercher à élèver.
Aujourd'hui, l'hommage ne doit pas être une simple cérémonie. Soyons dignes devant l'Histoire. Ne laissons pas l’émotion du Panthéon se dissoudre en un exercice de communication minable. Rendre hommage à Badinter doit être un engagement : celui de ne pas légiférer au gré des peurs, de refuser la logique d’élimination et de toujours défendre l’État de droit. Y compris, et surtout, lorsqu'il devient impopulaire.
Badinter est un géant de l'Histoire. Il n'a jamais cessé, et ne cessera jamais, de parler au monde. Je conclus donc avec ses mots : "Grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue." (Assemblée nationale, 17 septembre 1981)
Bastien PARISOT
@BastienParisot