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Parlons un peu de Mélenchon.
Mais d'abord, parlons des législatives. Les deux sont liés, bien sûr, et il faut bien dire qu'elle est étrange, cette campagne. Démarrée sur un coup de tête (ou de poker) d'un Macron à la ramasse après 7 ans d'échec à l'Élysée, elle ouvre un moment politique inédit. Chaque jour son lot de rebondissements : de l'annonce du rapprochement (attendu, certes, observé, certes, mais jamais déclaré) de la droite et de l'extrême droite, à la création du Nouveau Front Populaire à gauche (que Macron pensait pourtant liquidée pour de bon), en passant par le retour de François Hollande pour porter un programme dont il n'a rien défendu lorsqu'il était au pouvoir, l'effondrement du feu de paille Zemmour trahi par la nièce Le Pen, Ciotti qui s'enferme dans un bureau vide, les frondeurs insoumis ayant craché sur le mouvement pendant 2 ans (en critiquant la stratégie électorale, politique, parlementaire, les prises de décisions majeures et en négociant un atterrissage dans un autre parti) venant réclamer leur part de soupe au moment des investiture pour porter la voix de ce même mouvement (chercher l'erreur)... rien ne semble vraiment habituel et tout s'enchaîne à une vitesse folle.
À gauche, bien sûr, la création du Nouveau Front Populaire porte des espoirs quasi-inespérés. Divisées aux européennes (malgré les multiples relances des insoumis pour une liste commune au début de la campagne), voici les forces de gauche rassemblée et déterminée à prendre le pouvoir en barrant la route à l'extrême droite. Macron misait pourtant sûrement sur une gauche en lambeaux pour s'imposer comme l'unique barrage à Bardella... Caramba ! Cette fois, c'est raté. Les 30 juin et 7 juillet, le vote de la survie républicaine s'appelle Nouveau Front Populaire. Et la gauche pourrait bien tout changer dans le pays.
Le Nouveau Front Populaire... du peuple
Il faut bien dire que cette nouvelle formule politique a vu le jour, avant tout, grâce à la pression populaire. Comment penser un seul instant que les directions de 3 partis ayant refusé l'union 6 mois plus tôt, changent complètement d'avis en quelques heures ? Il faut voir ici la prise en considération de ce que le "peuple de gauche" (passez moi la formule bancale) réclamait avec force dès l'annonce de la dissolution : l'union pour ne pas être balayés dans les urnes. Les militants et sympathisants l'ont ainsi clamé partout, de Bastille à République, du siège des Verts aux manifs sauvages... le message était clair : "ne nous trahissez pas, unissez-vous !".
Bien sûr, le danger d'une arrivée de l'extrême droite au pouvoir est l'autre grande explication de cette union impensable il y a encore quelques jours. Car dans son ADN, la gauche est l'ennemi radical de l'extrême droite et des fascistes en tout genre. Et dans l'histoire de notre pays, elle a toujours choisi de s'unir et de travailler unie pour lui barrer la route. Au diable les nuances. Les rancunes à la rivière. L'heure est à la lutte pour l'idéal républicain et pour les idées des Lumières. En 2024, c'est donc chose faite une nouvelle fois. Le Nouveau Front Populaire est né !
La victoire est possible
Bien sûr, le surgissement d'une force politique de gauche capable de prendre le pouvoir en rassemblant largement n'était pas attendu. Pourtant, les récents sondages du premier tour place le Nouveau Front Populaire dans la roue de la liste menée par Jordan Bardella, et certaines projections le place également assez proche en nombre de sièges après le second tour.
Dans cette période d'instabilité politique absolue, tout est donc possible. Comment prévoir avec certitude l'attitude des électeurs devant une situation jamais vécue sous la Vème République ? Comment anticiper ce que les électeurs supposés ou habituels des forces politiques traditionnelles ou centristes, balayées dans les urnes, choisiront dans l'isoloir ? Pourquoi écarter tout vote de barrage à l'extrême droite ? Comment évaluer le rejet du Rassemblement National par des électeurs jusqu'alors macronistes... mais sans grande conviction ? Après tout, Macron a commencé en siphonnant une partie des électeurs PS ! Et comment anticiper la participation dans des quartiers populaires jamais sondés correctement, jamais captés par les enquêtes menées, mais cette fois directement menacés par une force politique au porte du pouvoir, ouvertement raciste, ouvertement xénophobe, ouvertement violente et ouvertement identitaire ?
La réponse est simple : rien ne le permet. Si bien que nul n'est en mesure aujourd'hui de prédire le choix d'une grande partie des électeurs placés dans une situation inédite et grave. Tout au plus les sondages permettent-ils de mesurer les dynamiques des deux blocs en concurrence, l'extrême droite et la gauche. Et encore, limité à certaines classes sociales uniquement. Les variables sont trop nombreuses, les inconnues trop multiples.
Et dans ce flou, dans cette instabilité inédite, la victoire du Nouveau Front Populaire est possible. L'histoire des révolutions et des basculements politiques en témoigne. Et la société française toute entière est aujourd'hui traversée par le souffle provoqué par l'apparition de cette force inattendue. Ainsi les soutiens publics au Nouveau Front Populaire se multiplient, des streamers à la CGT, en passant par de nombreux artistes et par des journalistes conscients de l'urgence, des milieux bobos aux quartiers populaires, des syndicats étudiants aux associations écologistes, antiracistes, féministes... Comment penser qu'une mobilisation si vaste, si massive, n'est pas en mesure de tout renverser et de changer la vie ?
Et Mélenchon alors ?
Allez, ça va, on y arrive. Parlons de Jean-Luc Mélenchon.
Il faut d'abord bien le dire : que le veuille ou non, il avait vu juste. Il y a déjà plus de 10 ans, le leader de la France insoumise annonçait : "À la fin, ça se terminera entre Le Pen, et nous". Certes, Le Pen est aujourd'hui remplacée par Bardella, mais l'opposition entre l'extrême droite et la gauche sur une ligne de rupture avec le capitalisme est bien en place. Quant au "Front Populaire", Ruffin peut en clamer la paternité autant qu'il le souhaite (*soupir*), il faut être amnésique ou malhonnête pour ne pas mentionner que Jean-Luc Mélenchon proposait cette formule dès 2018 pour que la gauche puisse conquérir le pouvoir... avant de lancer un "appel pour la création d'une Fédération Populaire" en 2019, de mener campagne avec l'Union Populaire à la présidentielle de 2022, de fonder la NUPES aux législatives quelques mois plus tard et de proposer enfin une liste commune aux dernières européennes.
On résume : une analyse de la situation politique juste avec 10 ans d'avance, une perspicacité indiscutable dans la méthode à utiliser pour mener la bataille électorale, et une ténacité sans borne pour arriver à l'objectif... on viendrait presque à soupirer : "que de temps perdu par ce qui nous voulaient pas y croire !".
Alors, Mélenchon ? Considérant la hauteur prise par l'homme depuis des années, sa domination sur la situation politique à gauche pendant 15 ans, la réussite de sa stratégie pour la construction d'un bloc populaire important dans le pays, ses résultats électoraux élevés et en progression constante de 2012 à 2022, et la victoire idéologique et politique de la ligne de rupture qu'il a construite patiemment et défendue à gauche face à la ligne sociale-démocrate (pourtant largement majoritaire jusqu'au fiasco Hollande)... tout semble bien réuni pour donner le point au leader le la France insoumise et ne contester en rien son rôle central dans la situation actuelle.
Oui... mais. Évidemment, les éternels fantômes du passé de la gauche s'offusquent ! Tournant la manivelle du trouillomètre à plein régime, les voilà gémissant sur l'inefficacité d'un personnage trop clivant, sur la peur de certains électeurs à voter pour une ligne de rupture. Les voici assurant qu'un électeur de gauche pourrait choisir de s'abstenir si Mélenchon a pris la parole dans les médias... plutôt que de se mobiliser face au RN. Sérieusement ? On en est sérieusement à ce niveau d'argument ? Non. Non, personne n'y croit. Aucun électeur de gauche sincère, conscient et concerné ne peut décemment préférer une victoire de Bardella, à la victoire d'une ligne de gauche n'ayant pas sa préférence. C'est absurde. C'est débile. C'est ignoble. Et ça n'est donc pas pensable.
Par contre... par contre, on connait les tambouilles partisanes. On connait les cadres mal avisés, se pensant grands stratèges en diffusant ici et là les arguments grotesques qu'ils pensent être ceux leur assurant des négociations réussies avec les insoumis, en cas de victoire le 7 juillet. "Éteindre le soleil pour essayer de briller soi-même". Bien sûr, je ne doute ni de l'efficacité du procédé, ni de la sincérité de certains militants qui répètent l'argument qu'on leur a donné. D'autant que la télé le dit. La radio le dit. Le journal le dit. Tous appartiennent à Bolloré bien sûr (ou à un autre numéro semblable), mais enfin bon... ils le disent quand même ! Tout ça est performant. Tout ça est répété en boucle, présenté comme la vérité. Et alors la machine à broyer est actionnée.
Voici que le moindre mot de Mélenchon est analysé, que sa moindre phrase est tournée dans tous les sens pour trouver une chose à redire, un vice caché, LA preuve ultime de l'horrible vérité sur l'homme, qu'une vie politique toute entière n'avait pas suffit à révéler. Et voilà que les fantômes de la gauche et les cadres macronistes (qui en 2024 préfèrent Bardella comme leurs ancêtres politiques ont préféré la collaboration au vote Front Populaire) s'y mettent en coeur. Et voici que l'extrême droite entre dans la danse, pour distiller son venin sur un ennemi qu'elle a bien compris en mesure de la battre. Et bien sûr, tout ça avec la bienveillance de médias en ordre de bataille, alimentés pour les uns par leur ligne fascisée par Bolloré, pour les autres par leur haine petite-bourgeoise de tout ce qui ne les séduit pas et leur tient tête.
Revenons donc à Mélenchon. Tout aura été fait à cet homme. Des attaques les plus odieuses aux calomnies les plus grotesques. Nul besoin de les énumérer ici, chacun d'entre vous les ayant forcément vu passer dans les oeuvres du bashing permanent contre lui.
Alors quoi ? Mélenchon fait peur ? D'accord, mais peur à qui ? Aux milliardaires qui se gavent ? Tant mieux ! À la droite ? Tant mieux ! Ces gens ne votent pas pour nous. Peur à qui ? Aux bourgeois de gauche ? Rien ne dit que les fachos ne leur font pas plus peur encore. C'est d'ailleurs ce que je pense. Alors ? Peur à qui ? Peur à des gens qui n'ont jamais voté pour le Front Populaire et ne voteront pas pour le Nouveau ? On s'en fout.
Et surtout, pourquoi ? Parce qu'il n'a jamais abandonné la lutte pour partager les richesses ? Pour aider les plus précaires ? Pour abattre le capitalisme ? Pour penser l'écologie ? Pour aller vers l'égalité, sous toutes ses formes ? Pour fixer l'émancipation comme objectif de notre société, plutôt que le fric à gogo pour quelques-uns gavés quand tout le reste s'effondre ? Tant mieux, c'est l'objectif du Nouveau Front Populaire.
Des (centaines de) milliers de soutiens
Revenons au bashing. Samedi, la machine à broyer s'est brisée... et l'effet s'est inversé. En allant trop loin dans la charge contre lui (osant minimiser par exemple la gravité des agressions physiques ou des menaces de mort qu'il a pu subir, répétant bêtement les arguments de l'extrême droite à son encontre), les journalistes de "C l'Hebdo" ont exposé clairement, peut-être plus que jamais, la violence et l'injustice du traitement réservé à Jean-Luc Mélenchon.
Ce dimanche, en réaction, plus de 70 000 messages de soutiens ont été publiés sur Twitter pour soutenir l'Insoumis, avec un hashtag on ne peut plus clair : #JeSoutiensMélenchon.
"Il m'a fait aimer la politique, la philo". "Pas touche au Vieux". "Toujours avec lui !". "Le seul capable de sauver la gauche". "Le seul qui n'a jamais baissé les yeux". "Pas un jour sans le salir". "C'est lui qu'on veut !"... Des dizaines de milliers de messages, anonymes ou non, rédigés par des dizaines de milliers de personnes apportant leur soutien à l'homme politique le plus attaqué, le plus calomnié en France depuis une décennie au moins. Ajoutez plus de 9 000 messages avec le hashtag #MerciJeanLuc, et vous aurez la mesure de l'immense vague de soutien, le jour-même où Mélenchon était acclamé par plus de 1000 personnes lors de son discours à Montpellier. Après Toulouse. Après Paris. Après Lyon. Après Nantes. Après Marseille... où partout, les salles sont pleines pour venir l'écouter et lui apporter un soutien populaire massif.
Plus encore qu'une longue série de messages personnels, c'est l'affirmation d'une ligne politique de rupture à gauche, d'un Nouveau Front Populaire clair sur ses objectifs avec un Mélenchon central dans l'affaire, qui ressort de la lecture des nombreux messages publiés sur #JeSoutiensMélenchon. Il s'agit donc d'un fait politique important qui donne la température sur l'état de la gauche dans notre pays.
Qui peut oser dire, après cela, que Jean-Luc Mélenchon et ses milliers de soutiens ne sont pas directement au coeur de la dynamique du Nouveau Front Populaire ? Qui peut tenir ce discours absurde visant à le discréditer à tout prix ? Qui peut parler sérieusement de l'absence d'un soutien populaire derrière cet homme ?
Bon courage à ceux qui essayent. Le ridicule ne vous tuera pas, certes, mais souvenez-vous : il pourrait tuer la gauche.
Bastien PARISOT
@BastienParisot