
Texte tiré d'une chronique lue sur le plateau de l'Émission Populaire le 8 novembre dernier.
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Chaque mardi, je présente un édito dans l'Émission Populaire, présentée par mon amie l'excellente Julie Maury et diffusée à 19h sur les réseaux sociaux de la France insoumise. Cette semaine, j'ai essayé d’écrire comme d'habitude, mais n’y suis pas parvenu, bloqué, incapable d’articuler mon texte, incapable de structurer ma pensée. Lassé, déçu, énervé, j’ai fini par me demander pourquoi… et me suis dit que j’étais, quand même, sacrément en colère.
Il faut dire que j’ai de bonnes raisons… et qu’elles ne concernent pas que moi. Je te propose un petit tour d’horizon :
- des chefs d’État qui se réunissent en Égypte pour un sommet censé sauver le climat, sponsorisé notamment par Coca-Cola, entreprise dont on sait qu'elle est la plus polluante au monde niveau plastique. Sommet dont les éditions précédentes ont accouché de mesures insuffisantes, et pourtant même pas respectés par ceux qui se sont engagés, la main sur le coeur et la fierté dans le regard, à sauver la planète que le capitalisme détruit
- le pays organisateur de la Coupe du monde de football la moins suivie, la moins populaire, la plus anti-écolo et symbole de la toute puissance de l’argent dans le foot, qui a besoin de payer des faux supporters pour donner une illusion d’effervescence à une semaine du début du tournoi, alors que les vrais supporters, eux, ne s’y rendent pas soit parce que tout ça les dégoûte, à juste titre, soit parce que c’était de toute façon beaucoup trop cher
- un animateur télé qui insulte un député sur son plateau, puis tente pendant toute une émission de se faire passer pour une victime, bien aidé par ceux dont la rhétorique tourne autour de “c’est vous qui vous faites insulter, mais c’est quand même de votre faute”
- un des plus grands groupes d’Ehpad, ou maison de retraite, du pays, perquisitionné aujourd’hui suite à des soupçons de maltraitance, ce que l’on peut traduire par “des salopards sans scrupules se seraient faits gauler en train de retirer leur dignité à des petits vieux qui ne peuvent pas se défendre, tout ça pour se faire un max de blé sur le dos de cette terrible détresse et de celle des proches qui n’ont d’autres choix que de payer des milliers d’euros pour qu’on s’occupe de leurs aînés”
- Alors que les inégalités n’ont jamais été aussi fortes dans le pays, le gouvernement annonce des mesures toujours plus drastiques et il se murmure que Macron pourrait passer en force au sujet de la retraite dès ce mois de novembre pour la reculer à 64 ans. 10 millions de pauvres dans le pays, des étudiants qui crèvent la dalle, l'hôpital, l’école, la justice qui s’effondrent sous les restrictions budgétaires… mais voilà que l’urgence est de demander à ceux qui subissent déjà tout ça de travailler plus dur, plus longtemps chaque jour, plus longtemps chaque semaine et au final plus longtemps dans leur vie ! Les voilà devant accepter d’être moins bien rémunérés, accepter que l'ascenseur social est en panne, accepter que tout coûte plus cher, et accepter donc de s’entendre dire que c’est de leur faute et que ce sont eux qui doivent se saigner pour sortir le pays de là.
- Pendant ce temps, on a appris hier que les dividendes ont atteint des niveaux records en France en 2021 : on parle de plus de 57 milliards d’euros ! 57 milliards, bordel ! Les ultra-riches se gavent, sans limite et sans scrupule et vous, bande de gueux, baissez le chauffage et travaillez plus longtemps !
On va s'arrêter là sur les aberrations, car la liste est longue… mais franchement, comment ne pas comprendre la colère ?
Car voici ce que tout cela traduit : les puissants de ce monde ne nous respectent pas, ne nous considèrent pas et se moquent ouvertement de nous, droit dans les yeux, en nous lançant leurs injonctions autoritaires. Travaillez plus, consommez, écoutez, respectez, acceptez, comprenez ! Le tout dans un storytelling immonde, grotesque et cynique, pensé par des communicants surpayés pour raconter ce monde horrible comme un monde vertueux.
Alors oui, je suis en colère. Mais la colère est parfois saine.
Saine, parce qu'elle traduit ce moment de basculement, parfois très court, où la prise de conscience arrive à son paroxysme et où l’on accepte plus rien. Non, le fric ne peut pas être l’alpha et l’oméga de notre société toute entière. Non, le buzz et la course à l’audience ne justifient pas toutes les outrances, tous les excès. Non, la dignité ne se marchande pas au prétexte de la rentabilité. Non, l’enrichissement sans limite de quelques-uns pendant que le reste de la société s’effrite n’est pas moral, pas normal et pas acceptable. Non, non et non.
La colère est parfois saine, parce qu’elle porte en elle la dignité bafouée, l’espoir d’un avenir meilleur que l’on avait cru perdu jusqu’alors. Cette colère saine rallume la flamme des valeurs trop longtemps ignorées et de la fierté disparue, les portent jusqu’au centre de notre esprit et de notre monde dans lequel elles reprennent toute leur place.
Enfin, la colère est parfois saine parce qu’elle pousse à l’action. C’est là l’ultime étape du processus. On se lève et tout d’un coup, parfois sans même en avoir conscience, on se met à résister à toutes ces folies que l’on a trop longtemps supportées. Voilà que plus rien n’est acquis mais que tout est à faire. Voilà que tout n’est pas perdu, mais que tout est à construire. Voilà que l’on veut que tout change, sans compromission, sans crainte, sans hésiter un seul instant, et avec la ferme intention de faire partie de ce souffle nouveau, de contribuer, chacun à son échelle, à bâtir la nouvelle route que notre monde doit emprunter.
Alors oui, je suis en colère. Et nous sommes nombreux à l'être.
Au final, cette colère saine est l’ennemie de la résignation… Alors, me voilà presque à espérer qu’il y ait plus de colère dans ce bas monde. Ironie pour finir : ce sont sûrement les abus répétés de ceux qui gouvernent qui pousseront ce monde déjà trop vieux dans l’abîme et permettront de tourner la page, enfin, de toutes ces aberrations.
Bastien PARISOT
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