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Billet de blog 17 mars 2023

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Éloge de la radicalité

Sur le plateau d'une émission de France 5, Leila Slimani a récemment déclaré qu'il est “plus facile d’être radical” et qu’il est “plus facile de s’indigner que de penser”. Quelques lignes pour lui répondre brièvement.

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Texte tiré d'une chronique lue sur le plateau de l'Émission Populaire le 14 mars 2023.

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Quelques ligne aujourd'hui pour répondre à Leila Slimani dont une prise de parole récente m’a interpellé.

Sur le plateau de France 5, dans l’émission C politique, l'auteure s’est lancée dans une critique de notre société actuelle, qu’elle juge comme étant “la culture du clash” et dont elle dénonce le manque de nuance dans le débat public. Jusqu’ici, rien de bien choquant me direz-vous, mais c’est la suite qui m'a chagriné. Car la voici affirmant, je cite, qu’il est “plus facile d’être radical”, qu’il est “plus facile de s’indigner que de penser”, affirmant également que tous ceux qui, comme elle, pratique la “pensée complexe”, sont qualifiés de lâches ou de lisse, y compris dans les médias.

L'indignation, dénuée de pensée ?

D’abord bien sûr, ce qui m’a interpellé est la frontière que Leila Slimani met entre la pensée et l’indignation. Précisément parce que cela sous-entend que l’indignation serait dénuée de pensée. Elle est ainsi réduite à une vocifération bestiale, animale, et non d’un raisonnement logique et éclairé.

Ensuite, parce qu’affirmer qu’il est plus facile d’être radical que bien-pensant est une absurdité sans nom. Voyez comme les portes paroles de ceux qui résistent, de ceux qui refusent, de ceux qui ne se soumettent pas à l’ordre établi et à ses dogmes sont traités. Voyez comme Jean-Luc Mélenchon a tout lu, tout vu, tout entendu à son sujet. De toutes les horreurs, aucune ne lui aura été épargnée, du complotisme à l’antisémitisme, de la folie à la malhonnêteté,  comme à leur époque les Jaurès, Hugo, Blum ou Mitterrand ont vu les puissants les calomnier avec la même force, la même constance et la même arrongance. Voyez comme les gilets jaunes ont été ramenés à de vulgaires fachos violents, voyez comme les révolutionnaires de 1789 sont, aujourd’hui encore, décrits comme de dangereux sanguinaires par la bonne société et tous ses membres pomponnés. Voyez comme les militants écologistes sont raillés, moqués, caricaturés, voyez comme les féministes sont taxées d’hystériques et d'extrémistes, voyez comme les plus jeunes militants sont systématiquement considérés avec mépris. Bref, là s’arrête ma liste qui pourrait être longue mais vraiment, sauf à ne considérer “la radicalité” qu’à travers le prisme bourgeois qui l’enferme dans un rôle subversif, il est absurde de penser qu’il est facile d’être radical.

Et c’est sûrement là que le bât blesse. C’est sûrement là que Leila Slimani se trompe, qu’elle ne voit que ce que son prisme lui permet de voir, sans pas de côté, sans prise de recul, sans l’analyse nécessaire sur le monde qui nous entoure. Non, le monde n’est ni un salon feutré, ni un plateau média où tout Paris se presse pour se complaire dans une grille de pensée unique. Et, si Leila Slimani avait pris la peine de renverser sa grille de lecture, peut-être aurait-elle vu alors que c’est la société elle-même qui est extrême et sans nuance dans sa façon de traiter les individus. Que 10 millions de pauvres en France est une situation extrême. Que des milliers de jeunes à la distribution de nourriture en est une autre. Que le changement climatique l’est tout autant, bref, que le monde tout entier et les règles qui le dirigent sont extrêmes.

La lutte pour la dignité

Ainsi, l’indignation est le résultat nécessaire d’une pensée critique du monde qui nous entoure, une réponse à ses maux, ses injustices et sa violence. L’indignation, c’est la lutte pour garder la dignité dont les puissants vous privent, ceux qui vous demandent de travailler plus, de gagner moins, de profiter moins, ceux qui vous méprisent, ceux qui vous frappent en manifestation et ceux qui vous infantilisent, à longueur de temps, mentant à l’Assemblée, vociférant lorsqu’on leur tient tête mais arguant toujours, toujours !, qu’ils sont dépositaires de la seule vérité vraie et que leur façon de voir le monde et de le construire est la seule voie possible. L’indignation n’est pas un choix, elle est une obligation. Je cite ici Stéphane Hessel, qui disait que “quand quelque chose nous indigne, alors on devient militant, fort et engagé. On rejoint le courant de l’Histoire et le grand courant de l’Histoire doit se poursuivre grâce à chacun”.

Une fois ceci dit, comment penser alors que ceux qui s’opposent à cette société radicale et souhaitent proposer une alternative, pourraient proposer autre chose qu’une voie radicale ? La radicalité n’est pas un cri, elle n’est pas un réflexe primaire, elle n’est pas même un choix, mais la réponse et la solution à une situation extrême, une stratégie pour renverser la table et défendre l’intérêt général quand l’égoïsme et la cupidité gouvernent le monde.

Décidément non, la pensée et l’indignation ne s’opposent pas. C’est tout l’inverse : c’est l’une mène à l’autre. Et puisque Leila Slimani concluait en affirmant que le monde a besoin d’intelligence, je me permets de lui dire que celle-ci est sûrement plus dans l’indignation radicale que dans le conformisme inconscient.

Bastien PARISOT

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