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Texte tiré d'une chronique lue sur le plateau de l'Émission Populaire le 18 avril 2023.
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Quelques lignes aujourd'hui sur la désormais célèbre “Team Ouin-Ouin”, c’est-à-dire de l’extrême-droite. Vous l’aurez peut-être vu passer mais la semaine dernière, lors d’une soirée organisée par le magazine Valeurs Actuelles, alias “le torchon préféré des fachos”, Jordan Bardella s’est lancé dans un exercice de communication avec un objectif clair : endosser le costume d’un représentant politique conscient et tourné vers les enjeux écologiques.
Il faut dire que le RN n’a jamais été très audible sur la question, qu’il a toujours plus ou moins traitée comme un levier d’implantation locale et récupéré comme un élément de son story-telling identitaire bien connu : “la France rurale, la vraie” contre “la France urbaines des bobos woke”.
Climatoscepticisme, déclarations ciblant les militants... Le Pen, anti-écolo
Il y a tout juste un an, le média écolo “Reporterre” qualifiait d’ailleurs Marine Le Pen de candidate “à l’extrême opposé de l’écologie” et fustigeait un programme “destructeur pour le vivant”, rapportant les propos de Stéphane François, professeur de Sciences Politique à l’université de Mons, qui qualifiait le rapport à l’écologie de la fille Le Pen de “quasi-inexistant”.
Tout ça pour dire qu’en matière d’écologie, l’extrême-droite ne parle pas vraiment en experte. Rappelons qu’en 2012, la même Le Pen expliquait que “les travaux du GIEC ne peuvent pas établir avec certitude que l’homme est la cause du changement climatique”. La cheffe de file du RN niait donc à la fois une évidence, frôlant le climatoscepticisme cher à son ami Trump, mais aussi la base même de toute réflexion écologique un peu sérieuse, c’est-à-dire l’impact de l’activité humaine sur le climat et la nécessité de revoir nos modes de production et de consommation, bref, de mettre en place une rupture écologique grâce à la planification.
Rappelons aussi que la candidate du RN à l’élection présidentielle ne manque jamais une occasion de taper sur les militants écologistes, taxant en 2021 les écolos “d’idéologues anti-tout” ou de “crasseux marginaux”.
Bref, jeudi dernier, Jordan Bardella a donc pensé qu’il lui suffirait d’un exercice de communication pour faire oublier que le RN n’avait jamais travaillé sérieusement la question écologique…
Le discours vert de l'extrême-droite
Il faut dire que d’autres groupuscules d’extrême-droite tentent de s’emparer de la question écologique pour verdir leurs discours identitaires depuis plusieurs années maintenant. C’est notamment le cas de Génération Identitaire, très proche de la campagne d’Éric Zemmour, qui parle de “reconquérir nos campagnes et d’en faire des ZID : zones identitaires à défendre”. Un discours fondé non pas sur la préoccupation écologique, mais bien sur l’obsession identitaire et xénophobe de l’extrême-droite considérant que les grandes villes n’appartiendraient déjà plus aux Français, qui seraient alors poussés à l’exode à la campagne pour préserver leur idéal et leur mode de vie.
Un discours qui n’est d’ailleurs pas nouveau dans l’histoire politique française puisque le Maréchal Pétain l’utilisait déjà à son époque dorée, celle où l’extrême-droite gouvernait le pays dans la collaboration avec l’Allemagne nazie et opposait la France rurale à celle des traîtres : la gauche, la IIIème République et bien sûr les juifs.
Comme c’est original ! En 2023, certes, le judéo-bolchevisme a été remplacé par l’islamogauchisme et la gauche est de plus en plus ciblée comme woke. Mais, si les mots de l’extrême-droite ont changé, on voit bien que le schéma et la stratégie politique restent les mêmes : utiliser l’écologie pour parler de ruralité, et parler de ruralité pour cibler ses ennemis et passer son discours identitaire et xénophobe.
Bref, en vérité, jeudi dernier, Jordan Bardella n’a rien fait de bien nouveau. Il a simplement renoué avec une vieille stratégie ancrée dans l’ADN de l’extrême-droite en France. Et m’est d’avis que si les prétendus “journalistes politiques” faisaient toutes et tous leur travail convenablement et travaillaient un peu l’Histoire politique du pays plutôt que de se contenter d’éternels commentaires sur le dernier buzz, la dernière actu ou le dernier plan de communication déroulé par l’un ou par l’autre, le traitement médiatique de ce coup de Bardella aurait été différent.
Hugo Clément... attention au piège !
Je conclus par un mot pour Hugo Clément, journaliste spécialiste des questions écolos ayant accepté de participer à cette soirée Valeurs Actuelles : ce qui t’est reproché, Hugo, n’est pas d’avoir voulu débattre avec le RN. Nous sommes d’ailleurs les premiers à dire qu’il faut le faire. Ce qui t’est reproché, c’est d’avoir accepté de participer à un débat fantoche, à un exercice de communication monté de toutes pièces par l’extrême-droite. Tu aurais pu inviter Bardella et le questionner sur le fond, pourquoi pas ? Ce serait d’ailleurs précisément ton rôle de journaliste. Mais au lieu de ça, tu as choisi de jouer sur son terrain et de crédibiliser son événement, en apportant la caution d’un homme dont le travail écologiste est largement reconnu... et avec qui Bardella fut assez habile pour tomber parfois d’accord.
Bien sûr que non, Hugo, l’idée n’est pas de parler uniquement aux convaincus, comme tu le reproches dans La Dépêche. L’idée est simplement d’utiliser les espaces de débats pour débattre, et de ne surtout pas tomber dans le piège consistant à devenir la courroie de transmission d’un storytelling visant à verdir le discours nationaliste… que personne ne s’y trompe : la peinture peut être aussi verte que possible, le programme, lui, reste brun.
Bastien PARISOT
(Sur Twitter : @BastienParisot)