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Billet de blog 22 mai 2023

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Extrême droite : la faute grave de Jean-François Kahn

Sur le plateau de France 5, Jean-François Kahn a affirmé que la gauche était responsable de l'arrivée au pouvoir de l'extrême-droite en Amérique du Sud. Une inquiétude réécriture de l'histoire à laquelle il faut répondre.

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Quelques lignes aujourd'hui sur une récente sortie médiatique qui m’a profondément choqué. Je parle de l'œuvre de Jean-François Kahn, qui sur le plateau de “C ce soir” expliquait qu’en Amérique latine, “c’est une certaine gauche radicale qui a favorisé l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite”. Le journaliste a ensuite précisé qu’il craignait de vivre la même chose en France aujourd’hui. J’ai tenu à lui répondre.

Kahn réécrit l'Histoire

D’abord, lui rappeler que dans l’Histoire et partout dans le monde, les prises de pouvoir de l’extrême droite ont toujours reposé sur deux types d’événements : soit sur une situation économique et sociale difficile, entraînant une explosion de la misère et de la pauvreté, une impression de déconnexion entre la classe dirigeante et le peuple, et donc un terrain propice aux discours ciblant des ennemis de l’intérieur, traîtres à la nation et responsables de tous les maux, qui est le discours typique de l’extrême droite, soit sur le soutien de puissances extérieures, comme ce fut notamment le cas… au Chili, en 1973, où l’extrême droite de Pinochet fut largement soutenu par les États-Unis d’Amérique, qui servaient ici leurs intérêts géopolitiques.

Ensuite, lui rappeler que la vérité, sur le Chili par exemple, mais la situation est comparable partout où l’extrême droite est passée, est que des milliers de militants associatifs et politiques de gauche ont été assassinés, que des centaines de milliers d’autres ont été emprisonnés et torturés par le régime fasciste, dont le coup d’État avait d’ailleurs entraîné la mort du président socialiste démocratiquement élu, Salvador Allende. Lui rappeler aussi que d’autres, par centaines de milliers également, ont dû fuir le pays dans des conditions terribles, pour sauver leur peau et / ou garder leur liberté.

En prononçant sa terrible phrase, Jean-François Kahn salit donc avant tout la mémoire de ces centaines de milliers de victimes de l’extrême droite et de la dictature de Pinochet, dont une partie s’était d’ailleurs réfugiée en France. Ces paroles sont donc inconscientes face à l’Histoire, mais elles sont aussi abjectes.

Inversion de la charge

En réalité, Jean-François Kahn se livre ici à une inversion de la charge : voilà que les premières victimes de l’extrême droite deviennent, selon lui, responsables de son arrivée au pouvoir.

Imaginez un instant, un seul instant, que ce discours soit appliqué à l’Histoire de France. Cette analyse de Jean-François Kahn en devient absurde, puisqu’il faudrait alors comprendre que c’est la gauche du Front Populaire, celle des congés payés, de la réduction du temps de travail ou encore du droit syndical, qui serait responsable de l’accession au pouvoir de l’extrême droite de Pétain. Rendez-vous compte également des dérives gravissimes vers lesquelles ce genre d’inversion de la charge peut conduire, si l’on devait considérer que les victimes du nazisme deviennent les responsables. C’est affreux, c’est sidérant, c’est glacial.

Le vieux monde et ses passions tristes

Non décidément, rien ne va dans cette déclaration ahurissante de Jean-François Khan. Le vieux monde tarde à tourner sa page, à emporter avec lui ses certitudes et ses carcans dont nous ne voulons plus. Et se faisant, le voilà ré-écrivant l’histoire, s’arrangeant avec la vérité pour servir ses dessins et ses passions tristes.

La vérité, bien sûr, est qu’en France comme ailleurs, l’extrême droite a toujours fini par être la roue de secours des puissants et du système en place, qui voyaient en elle le recours idéal pour ne pas laisser la gauche humaniste les priver de leurs privilèges, et qui ont donc fini par accepter son accession au pouvoir, voire à la soutenir et à la financer… acceptant ainsi toutes ses horreurs. D’où le célèbre adage, d’ailleurs, dans les années 30 : “plutôt Hitler que le Front Populaire”.

À Jean-François Kahn, à Jean-Michel Aphatie, à Elisabeth Borne et à toutes celles et tous ceux tentés, d’une façon ou d’une autre, d'atténuer les dangers de l’extrême droite, de la comparer à la gauche ou de trouver de supposés responsables de sa progression parmi celles et ceux qui la combattent, je leur dis qu'ils jouent à un jeu dangereux et qu'il est temps d'arrêter : cessez ou partez, mais de grâce, de grâce, surtout ne continuez pas.

Bastien PARISOT

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