L’ouvrage d’Asif Arif, avocat au barreau de Paris « Être musulman en France », préfacé par Bernard Godard, publié récemment aux éditions L’Harmattan est une opportunité pour penser non tant le fait musulman en France, que la manière dont la France essentialise ses minorités. L’auteur en appelle conformément au projet émancipateur des Lumières à considérer les Français de confession musulmane comme des Français à part entière. Son propos d’ensemble est clair et sa démonstration heuristique : il s’agit de penser la mise en question globale des musulmans que nous vivons en France aujourd’hui -de manière implicite sinon parfois explicite dans un contexte de tensions géopolitique autant que de panique morale pour fonder une laïcité d’inclusion.
Dans un pays où le projet républicain est fondé sur la laïcité, le refoulement de la diversité fait symptôme et la laïcité française est interpelée dans sa capacité opérationnelle à réguler une société pluriconfessionnelle dans un contexte de msie en tensions croissantes. Car c’est sous l’angle d’un problème posé par l’islam en France que l’on s’interroge, et non sous l’angle d’une incapacité de la république française à penser les mutations du vivre ensemble. Inverser les termes de la réflexion introduirait pourtant de nouvelles solutions. Se cristallisent alors le passif colonial, le projet émancipateur des Lumières, les formes de racisme ordinaires, la montée des terrorismes islamistes et l’essentialisation des identités. Les musulmans sont alors réduits à une pratique - supposée homogène - de la religion sans voir la pluralité des pratiques. L’idée que l’islam pose problème s’est imposée comme une sorte d’évidence sociale, massivement relayée dans les champs médiatique et politique, évidence dont l’enjeu fondamental est la légitimité présentielle des musulmans, notamment ceux issus de l’immigration post-coloniale sur le territoire national.
. Asif Arif parle d’ « extension de la laïcité » et d’ instrumentalisation de la laïcité là où il conviendrait simplement selon lui de solliciter le respect de la laïcité dans son intégralité. Après les débats récurrents sur le foulard islamique, le voile islamique, le nikab, la burka, ou le burkini, après les controverses toujours non résolues sur les femmes voilées qui accompagnent les sorties scolaires, les désaccords sur les nounous voilées dans les crèches, ou encore à propos des étudiantes/lycéennes pendant des stages professionnels hors école imposés par la scolarité, les débats sur la longueur des jupes portées par les lycéennes, les rumeurs qui se sont répandues sur Internet concernant la nourriture hallal imposée au sein de certaines enseignes célèbres de restauration rapide, véhiculant l’idée de l’invasion et de la contagion, les disputes sur les menus de substitution à l’école scolaires, sur les prières de rues, après les polémiques sur le financement des mosquées, dans un pays où plusieurs millions d’euros financent au titre de la protection du patrimoine culturel l’entretien des églises (90 % des édifices du culte catholique sont la propriété des communes), après les interrogations sur les piscines non mixtes, après les différends qui resurgissent sur le voile à l’université, après le débat délétère sur l’identité nationale ou sur la déchéance de nationalité, ou encore sur la compatibilité de l’islam avec la République, après les multiples unes de journaux sur les musulmans, le questionnement d’Asif Arif est légitime et nécessite un détour réflexif que l’ouvrage permet.
Déjà en 2002, Pierre Bourdieu écrivait que « la question patente – faut-il ou non accepter le port du voile dit islamique – occulte la question latente – faut-il ou non accepter en France les immigrés nord-africains ? ». Plus largement il s’agit d’une impossibilité à penser l’altérité en des termes autres que secte, islamisme, machisme, etc., qui en dit long sur l’impasse politique qui instrumentalise l’idée de laïcité. D’ailleurs, le lien immédiatement établi après les attentats de janvier 2015, entre lutte contre le terrorisme et laïcité, était-il aussi évident que nombre de médias ou d’acteurs politiques l’ont suggéré ? Cela a donné » lieu à une surenchère dans l’affichage d’une laïcité conçue plutôt comme une réponse défensive que comme un projet pour le vivre ensemble . Se développe une suspicion à l’encontre des religiosités minoritaires, et plus encore à l’encontre de l’islam en particulier. Dans un contexte global, a émergé un nationalisme de repli mono-identitaire, qui fait du musulman le nouvel Autre de l’Europe, une sorte d’ennemi de l’intérieur. Sous couvert d’universalisme, de neutralité et de laïcité, la logique d’assimilation entend mettre au pas les différences culturelles, sociales et politiques portées par les jeunes et moins jeunes issus de l’immigration. C’est donc l’assignation aux origines qui questionne Il est grand temps de relire l’article 18 de la déclaration des droits de l’homme et des citoyens « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. ». En appeler à l’unité ne suffit pas.
Déjà en 1999, le politologue, spécialiste de l’islam, Bruno Etienne écrivait dans « Une grenade entrouverte », « Le monisme existentiel, dans sa forme exacerbée est au principe des monothéismes – et peut-être aussi du républicanisme à la française- et paradoxalement, la laïcité à la française va produire le racisme à la française : L’autre doit impérativement devenir le même, universel mais tout bêtement radical cassoulet ! L’Autre refusant de devenir le même va alors faire retour à la religion du Père : c’est donc le laïcisme qui est l’une des causes du retour du religieux »[1]. Propos prémonitoires sur lesquels nous devrions méditer. Son analyse du vécu des musulmans en situation minoritaire débouchait alors sur une critique de l’Etat jacobin et de l’idéologie républicaine laïciste. « Il ne me paraît pas chimérique déclarait-il, de renégocier la séparation sur des bases plus égalitaires et doter ainsi toutes les Eglises d’un statut équivalent qui ferait que leur rencontre et leurs relations avec l’Etat seraient dialogiques, pacifiques, et profiteraient à la paix sociale, sans parler des économies que ferait l’Etat. ».
L’ouvrage d’Asif Arif dont nous conseillons la lecture, pose des questions sensibles , notamment « les musulmans de France sont-ils condamnés à ne jamais être des laïcs ? » et en appelle à penser une laïcité inclusive car écrit-il «l’ histoire de la France ne s’écrira pas sans les musulmans de France » et de fait, islamistes est islamophobes ont partie liée : ils construisent un monde d’exclusion de l’Autre qui ruine le vivre ensemble.
[1] Bruno Etienne, Une grenade ouverte, Paris, Editions de l’Aube, 1999, p. 63.