- Quelle est la base légale commune pour le recrutement des agents titulaires de la fonction publique ?
La base légale est la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (dite « loi Le Pors »,) qui constitue le Titre I du Statut général des fonctionnaires » (SGF). Elle « s'applique aux fonctionnaires civils des administrations de l'Etat, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics » (art. 1) sauf quelques exceptions qui ne concernent pas les enseignants-chercheurs.
Son article 16 pose le principe selon lequel « les fonctionnaires sont recrutés par concours sauf dérogation prévue par la loi ».
La loi de 1983 est complétée par la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat (Titre II du SGF), qui s’applique aux enseignants-chercheurs car ils sont des fonctionnaires de l’Etat (et non des établissements dans lesquels ils sont affectés). Le Titre III concerne la fonction publique territoriale et le Titre IV, la fonction publique hospitalière. En outre, des dispositions statutaires propres aux enseignants-chercheurs figurent aux articles L 952-1et suivants du Code de l’éducation (C. éduc.).
Selon un mécanisme de « poupées russes », les règles législatives sont précisées dans les statuts particuliers adoptés par décret. Ainsi du décret n°84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences. Les différents types de concours de recrutement des maîtres de conférences sont prévus par les articles 22 et 25 à 28. Les différents types de concours de recrutement des professeurs sont prévus par les articles 42 et 46 à 49-3.
Il s’agit en principe de concours par établissement. Mais il peut aussi s’agir pour les professeurs, de concours nationaux d’agrégation dans les disciplines juridiques, politiques, économiques et de gestion. Les économistes n’organisent plus en pratique de concours d’agrégation.
2 - Cette base légale s’applique-t-elle ou y a t-il des textes dérogatoires quand il s’agit d'un concours non anonymé dés le début du concours comme les concours de recrutement des d'enseignants-chercheurs ?
Oui, elle s’applique. Aucun principe n’impose que les épreuves soient anonymes (il en va d’ailleurs de même des examens). Sans vraiment le savoir, je suppose que la grande majorité des concours de la fonction publique comporte, en tout ou partie, des épreuves non anonymes.
3- Le cas où de inimitiés, des collusions de personnes ou d'écoles de pensée pouvant faire naitre des inéquités est-il traité dans les textes juridiques ?
Il n’existe pas de texte spécifique concernant ces cas.
On leur applique les principes du droit de la fonction publique. Le texte le plus général est l’article L 100-2 du Code des relations entre le public et l’administration : « L'administration agit dans l'intérêt général et respecte le principe de légalité. Elle est tenue à l'obligation de neutralité et au respect du principe de laïcité. Elle se conforme au principe d'égalité et garantit à chacun un traitement impartial ».
Existent par ailleurs de nombreuses dispositions qui visent à prohiber les discriminations illicites et les conflits d’intérêts.
Il revient à chaque établissement de veiller au respect de ces principes lors de la composition des comités de sélection et lors des différentes étapes de la procédure de recrutement.
Exemple personnel : le jury d’agrégation de droit public que j’ai présidé en 2011-2012 avait été le premier non pas à avoir des critères d’incompatibilité, mais à les faire connaître aux candidats. Un membre du jury ne pouvait être rapporteur lorsque :
- il avait un lien de parenté ou d’alliance avec le candidat ;
- il avait dirigé la thèse d’un candidat ;
- la thèse avait été soutenue dans son université ;
- le candidat occupait une fonction dans son université ;
- le candidat appartenait ou avait appartenu à son équipe pédagogique ;
- il avait à quelque occasion que ce soit, exprimé son opinion sur le candidat ou sur ses travaux (jury de thèse, CNU, comité de spécialiste, rapport pour un prix de thèse, compte-rendu…) ;
- il estimait en conscience devoir se déporter (sans avoir à donner d’explication).
Les candidats avaient apprécié, je crois, et deux d’entre eux nous avaient fait observer que l’un de leurs rapporteurs était atteint d’une incompatibilité qui nous avait échappé. Nous avions corrigé. Ces règles étaient de bon sens mais leur application avait été difficile. Avec un critère de plus, nous aurions sans doute été dans l’impossibilité de trouver deux rapporteurs « compatibles » pour chaque candidat.
4 - Dans un tel cas, quelle serait la voie de recours d'un candidat qui s’estimerait lésé ?
Un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.
Sans être très abondants, ces recours sont de plus en plus nombreux. La jurisprudence du Conseil d’Etat est réaliste et nuancée : il apprécie les situations in concreto. Il analyse les faits dans chaque cas pour déterminer si la composition et le fonctionnement du jury ont porté atteinte à l’égalité et à l’impartialité, au détriment du candidat requérant. Il se demande notamment d’une part, si les particularités de la discipline permettaient- de composer le comité de sélection autrement, et d’autre part si le comportement et le poids d’un de ses membres ont pu fausser les résultats.
Voici, à titre d’exemple, ce qu’il a jugé le 12 juin 2019 (n° 409394), à propos d’un emploi de MCF au Muséum national d’histoire naturelle, profilé " entomologie intégrative (spéciation paléarctique) " : « Le respect du principe d'impartialité fait obstacle à ce qu'un comité de sélection constitué pour le recrutement d'un enseignant-chercheur puisse régulièrement siéger, en qualité de jury de concours, si l'un de ses membres a, avec l'un des candidats, des liens tenant aux activités professionnelles dont l'intensité est de nature à influer sur son appréciation. A ce titre toutefois, la nature hautement spécialisée du recrutement et le faible nombre de spécialistes de la discipline susceptibles de participer au comité de sélection doivent être pris en considération pour l'appréciation de l'intensité des liens faisant obstacle à une participation au comité de sélection ». Cependant, il a jugé illégale la délibération du comité de sélection car le directeur de thèse du candidat proposé en était membre. Mais cette seule considération n’aurait sans doute pas suffit à entraîner l’annulation : le Conseil d’Etat (démentant sur ce point la Cour administrative d’appel) prend soin de relever que la thèse avait été soutenue depuis moins de deux ans et que le candidat « avait, ensuite, poursuivi une collaboration scientifique avec son directeur de thèse en cosignant plusieurs articles avec lui ».
Cet exemple confirme le niveau de détail dans lequel le juge entre dans l’examen des circonstances, et aussi que ses décisions dépendent de ces dernières et se prêtent donc mal à une synthèse générale.
5- Les CO eS ( comités de sélection ) sont validés par le conseils académique de l'université . ce conseil pluridisciplinaire est souvent éloigné des enjeux de la discipline qui recrute. Afin quelle ne soit pas une simple chambre enregistrement, y a t-il des procédures de recours ?
L’article L 952-6, C. éduc. dispose : « Au vu de son avis [celui du comité de sélection] motivé, le conseil académique ou, pour les établissements qui n'en disposent pas, le conseil d'administration, siégeant en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et personnels assimilés de rang au moins égal à celui postulé, transmet au ministre compétent le nom du candidat dont il propose la nomination ou une liste de candidats classés par ordre de préférence ».
Le conseil académique vérifie si la procédure suivie par le comité de sélection a été régulière et apprécie si la (ou les) candidature(s) retenues par le comité sont adéquates au profil du poste et à la stratégie de l’établissement (ce que l’on nomme souvent « droit de veto »). Il n’est donc pas une simple chambre d’enregistrement.
Mais ses pouvoirs sont limités : il n’a le droit ni de remettre en cause l’appréciation des mérites des candidats à laquelle a procédé ce jury (donc « souverain ») qu’est le comité de sélection lors de la phase d’audition des candidats, ni de modifier l’ordre de classement.
Le candidat évincé peut demander au président d’université de reprendre la procédure. Il a tout intérêt à le faire dès qu’il a connaissance de la délibération du comité de sélection en précisant ses griefs, afin que le conseil académique soit informé à temps. Mais le président et le conseil ne sont pas tenus de lui donner satisfaction : il leur revient d’apprécier la pertinence et la solidité de la demande.
Le candidat peut aussi saisir le juge administratif. Il peut le faire même si il ne s’est pas adressé auparavant à l’établissement.;
6- Le label européen HRS 4R (« Human Resources Strategy for Researchers ») visant à améliorer les pratiques des organismes et établissements de recherche en matière de recrutement et de cadre d’exercice des chercheurs, impose des conditions d'ouverture des concours et d'équité des candidats à ces concours et notamment un code de conduite pour le recrutement des chercheurs dont l'article 14 indique "Les bailleurs de fonds ou les employeurs des chercheurs devraient être responsables, en tant que recruteurs, d’offrir aux chercheurs des procédures de sélection et de recrutement qui soient ouvertes, transparentes et comparables à l’échelle internationale" , avec notamment une recommandation Les États membres s’efforcent de prendre, selon les besoins, les mesures cruciales pour assurer que les employeurs ou bailleurs de fonds des chercheurs améliorent les méthodes de recrutement et les systèmes d’évaluation de carrière afin de créer un système de recrutement et de développement de carrière qui soit plus transparent, ouvert, équitable et reconnu au niveau international, en tant que condition préalable à un véritable marché européen du travail pour les chercheurs. Ce label conditionne l’obtention de financements-recherche de l’Union européenne, fonds dont les universités française ne peuvent se passer. Cela peut -il avoir des effets sur le droit national ?
Je ne connaissais pas ce label.
Il s’agit d’une recommandation, donc non obligatoire pour les Etats et sans effet immédiat sur le droit national. Cela n’interdit pas aux Etats de s’inspirer de cette recommandation pour modifier leur législation et leur réglementation.
Mais le texte est très général : les textes français ne me semblent pas le contredire.
7 Certaines Universités ont une position de principe consistant à refuser que les laboratoires recrutent leurs ex-doctorants pour limiter l'endo-recrutement . Cette pratique a t-elle un fondement légal ? Y a t-il une voie de recours pour un candidat docteur du laboratoire ?
Cette pratique n’est pas prévue par les textes, mais ceux-ci n’interdisent pas aux universités d’en user au nom de leur autonomie.
Elle pose une question délicate d’égalité d’accès aux emplois publics. A ma connaissance, elle n’a pas été posée au juge administratif qui pourrait être saisi par un candidat docteur du laboratoire.
Avec prudence, je pense qu’elle n’est pas illégale dans son principe (et à titre personnel, qu’elle devrait être la règle) mais le deviendrait si elle avait en réalité pour objet de nuire à un docteur du laboratoire.
8 A l'inverse, y a t-il des voies de recours pour les candidats non docteurs du laboratoire face à un candidat local qu'ils estimeraient privilégié ? une jurisprudence ?
Comme je l’ai écrit plus haut, ces candidats peuvent contester le recrutement devant le juge.
J’ajoute – et cette observation vaut aussi pour les cas qui précèdent- que le candidat évincé doit apporter la preuve qu’il l’a été pour des motifs illégaux, ce qui est toujours très difficile (sauf devant une situation extrême, où le comité de sélection aurait procédé de manière manifestement aberrante). Le seul constat que le candidat retenu serait le candidat local n’y suffirait pas (il peut aussi être le meilleur ou celui qui correspond le mieux au profil du poste).
Il faut savoir que le juge administratif s’abstient, par égard pour la souveraineté des jurys de remettre en cause l’appréciation par l’administration des mérites scientifiques des candidats. Comment en pratique pourrait-il le faire ? On ne l’imagine pas lire les travaux des candidats dans des disciplines « pointues » qui lui sont totalement étrangères. Tout au plus censure –t’il exceptionnellement des erreurs grossières telles que l’évidente inadéquation de la compétence du candidat retenu avec le profil du poste.
9- Les conseils académiques des universités peuvent invalider les classements des comités de sélection. y a t’il un fondement juridique ? y a t’il des voies de recours ?
Voir réponse à la question n° 5.
10- A votre avis, ce label européen HRS 4R peut-il améliorer l'équité des concours enseignants -chercheurs ? A cet égard quels seraient selon vous les amélioration à apporter au droit national ?
Pourquoi pas ? Mais j’en doute pour les raisons indiquées dans la réponse à la question n° 6.
La question du recrutement des enseignants-chercheurs est très sensible car il faut combiner des principes par nature contradictoires, dans un contexte de rareté des emplois et donc de compétition exacerbée entre les candidats : indépendance des enseignants-chercheurs (qui implique heureusement qu’ils s’auto-recrutent), autonomie des universités, impartialité, égalité des chances…
J’ajoute que des considérations liées à la personnalité des candidats ne sont pas forcément illégitimes lorsqu’elles s’ajoutent aux considérations purement scientifiques du dossier (et à l’obsession parfois excessive de l’impact factor) : devons-nous recruter des candidats dont le dossier scientifique est excellent, mais dont l’audition révèle qu’ils seront d’exécrables collègues, des enseignants inaptes ou que manifestement, ils ne participeront jamais à l’administration de leurs institutions ? La réponse dépend de l’ « âme et conscience » de chacun, étant bien sûr précisé qu’elle ne doit pas reposer sur raisons inadmissibles et discriminatoires.
Pour avoir siégé au CNU (quatre ans seulement), dans de nombreuses commissions de spécialistes puis des comités de sélection, dans deux jurys d’agrégation, ma religion est faite : les concours nationaux offrent des garanties d’équité et d’impartialité bien supérieures à la procédure de qualification par le CNU puis de recrutement pas des organes locaux, qui m’apparait bien critiquable. Mais ce sont des souvenirs anciens et je connais mal les pratiques actuelles ; en outre, les « agrégations du supérieur » sont mal vues par nombre d’universités.
Mais quelle que soit la procédure, elle doit donner aux candidats de bonne foi la conviction qu’ils ont été traités avec respect. Cela exige notamment une grande transparence des critères et des décisions. Il me semble plus important, par exemple, de recevoir les candidats évincés qui le demandent, pour leur expliquer les raisons de leur échec et le cas échéant, leur donner des conseils (ce que l’on fait à l’agrégation de droit) que de leur offrir des recours juridictionnels, si essentiel que soit le « droit au juge ».