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Billet de blog 1 mai 2024

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Myopie démographique : une aberration humaniste et écologique

Comment peut-on espérer préserver l'environnement, réaliser l'indispensable transition écologique, en négligeant cette dimension majeure de la société : la démographie ? Une politique écodémographique est la condition sine qua non pour édifier une société d'équilibre et de renaturation axée sur la sobriété, en adéquation avec la nature et la reconstruction des écosystèmes endommagés.

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Myopie démographique : une aberration humaniste et écologique

Qui fait le lien entre démographie et crise écologique ? Cette dernière, une écrasante majorité de politiques l’impute aux inégalités sociales et au capitalisme mondial. Ecologistes compris, cette majorité rejette l’idée de surpopulation pour la raison même que cette menace serait brandie par des comploteurs pour faire endosser aux peuples défavorisés, notamment africains, la responsabilité de la crise climatique. En 2024, les mêmes refusent encore d’admettre l’idée qu’un trop grand nombre d’humains puisse avoir un impact quelconque sur l’environnement. Un impact se limitant à des émissions massives de gaz à effet de serre (GES), dont la responsabilité reviendrait aux multinationales et aux pays riches (ce en quoi ils n’ont pas tort).

Pourtant :
1) sur le plan du dérèglement climatique, l’ « empreinte écologique » (conçue par l’ONG Global Footprint Network) permet de constater que la biocapacité planétaire se réduit d’année en année du seul fait de notre nombre. Plus nous sommes nombreux, moins nous avons d’ « hectares globaux » à notre disposition. Cela n’enlève rien au fait qu’une minorité de pays et une minorité de personnes très riches sont les plus gros consommateurs de ressources naturelles, les plus gros émetteurs de GES et les plus gros pollueurs. Mais ce sont là deux problèmes différents. Un Chinois, tout seul, a une empreinte écologique faible comparée à celle d’un Américain, mais la Chine prise dans son ensemble, avec son énorme population, est de loin le plus gros émetteur de GES de la planète. Le poids démographique a un impact délétère certain sur le climat.
2) l’environnement ne se résume pas qu’au climat, il englobe aussi la biodiversité. Dans ce domaine, il est difficile d’admettre que l’Europe n’est pas (au moins localement) surpeuplée, que l’explosion démographique de l’Afrique subsaharienne puisse être sans conséquences, au prétexte que les pauvres ont peu d’impacts ! Il faudrait ne pas oublier que l’augmentation incessante et rapide de la population subsaharienne cause sur le continent noir des préjudices considérables aux écosystèmes naturels. Ainsi, le deuxième plus grand massif forestier de la planète (après l’Amazonie), dans la cuvette congolaise, est rongé de l’intérieur par l’agriculture itinérante sur brûlis, dont la cause primaire n’est autre que l’accroissement du nombre des bouches à nourrir. Il est vrai que les sociétés forestières européennes et asiatiques, en exploitant de façon plus ou moins opaque la forêt dense, ouvrent des pistes forestières dans lesquelles, comme dans des voies d’eau, les agri-villageois et les braconniers s’engouffrent, métastasant les dernières grandes forêts primaires. Mais les coupes d’arbres informelles et souvent clandestines, qui n’ont rien à devoir aux multinationales du bois mais plutôt à l’avidité des villes, sont tout aussi dommageables au milieu forestier.

Plusieurs villes africaines sont devenues des mégapoles de millions, voire de dizaines de millions d’habitants (Lagos, Kinshasa, Abidjan, Luanda, Dar-es-Salaam ...). Leur consommation de bois, de charbon de bois (combustible principal des ménages) et de viande de gibier vide des territoires entiers. Quant aux terres cultivées, elles s’étendent de plus en plus au détriment des savanes et des forêts, jusque là parcourues par une exceptionnelle diversité animale. La destruction des habitats naturels et le braconnage cantonnent peu à peu la faune dans ses derniers refuges, parcs nationaux et réserves, que les gestionnaires essaient tant bien que mal de justifier et de protéger face aux pressions périphériques. Mais il est vrai également que l’accaparement des terres par des pays étrangers et des multinationales, est un phénomène qui a pris en Afrique des

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proportions inquiétantes. Le développement des cultures d’exportation au détriment des productions vivrières y aggrave de plus en plus l’insécurité alimentaire.

Comment ne pas voir que surnatalité et surpopulation sont antinomiques au bien-être humain ? Quelle femme africaine accepte de bon coeur d’engendrer un enfant tous les deux ans dès son adolescence ? De supporter le coût économique d’une famille nombreuse, qu’au moindre aléa elle verra sombrer dans la famine et la pauvreté ? Quelle jeune fille, avec des projets d’avenir, accepte de bon coeur de se voir retirer de l’école à 13 ans en vue d’être mariée ? Le vrai humanisme n’est-il pas de faire des enfants bien éduqués ? Comment les familles nombreuses et pauvres de l’Afrique subsaharienne pourraient-elles y parvenir ? Exemple bien connu de ces millions d’enfants, obligés pour survivre de fouiller à mains nues les immenses décharges urbaines, ou esclaves modernes, de travailler dans les mines pour l’industrie chinoise et le bien être de l’Occident...

Les prises de position démosceptiques (néologisme qui se comprend par rapport à la démographie et non à la démocratie) sont-elles humanistes ? Peu avant la décroissance démographique globale de la fin du siècle, nous risquons d’atteindre le seuil de 11 milliards d’individus sur terre. Il est vrai qu’aujourd’hui l’alimentation n’est plus un frein au développement démographique d’Homo sapiens ; machines superpuissantes,

techniques génétiques, protections chimiques et physiques des cultures, et surtout ce formidable irrespect que nous avons des autres espèces qui partagent notre Terre, notamment en volant leur biotope, autorisent les agronomes (et même certains écologistes) à dire que la planète sera en mesure de nourrir un tel nombre. En supposant qu’ils aient raison, quelle belle perspective offerte aux jeunes générations qu’une Terre bipolaire transformée en immense champ agricole, suppléé par des océans aquacoles pour nourrir ses centaines de mégapoles ! Comment l’humain pourrait-il rester humain dans un monde pareillement désenchanté, dénaturé, transformé en une machine exclusivement productive au service des besoins de son énorme population ? Si l’empathie ne nous quitte pas d’ici-là, nous continuerons de souhaiter que le monde entier puisse vivre dignement, confortablement, et en sécurité. Mais on sait bien qu’un tel espoir s’il est légitime sera forcément déçu, car il sera impossible d’assurer une qualité de vie décente aux 10 ou 11 milliards d’humains des années 2080. De nos jours, déjà, l’objectif est irréalisable, sauf à imaginer de façon utopique le retour vers la sobriété des plus gros consommateurs de ressources, l’aplanissement des inégalités, une gouvernance mondiale. La résilience alimentaire s’affaiblit partout de plus en plus, et il suffirait qu’une nouvelle crise survienne, sanitaire, ou sécuritaire, pour que la famine touche des centaines de millions de gens.

Comment l’homme pourrait-il vivre librement et sereinement sa condition humaine en continuant de se multiplier ? Car même si les projections de l’ONU montrent que la population mondiale se dirige vers le sommet démographique précédent avant de redescendre lentement, il n’en demeure pas moins que le continent africain risque de voir (sans changement de trajectoire) sa contribution augmenter jusqu’à 40% du total. Qu’aura l’Afrique à gagner d’un tel bilan ? Elle aura dilapidé la quasi-totalité de ses richesses naturelles renouvelables, sa population s’entassera dans des mégapoles surpeuplées aux gigantesques bidonvilles violents et malsains. Elle aura perdu sa résilience agricole et son autonomie nutritionnelle. Une grande partie du continent sera mise à mal par la dégradation des sols et aura perdu l’essentiel de sa biodiversité, d’immenses étendues seront devenues invivables. Scénario catastrophe ?

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Dénoncer la surnatalité et la surpopulation n’est pas consubstantiel de la thèse du « grand remplacement », dont parle certain courant de l’extrême droite française quand il envisage l’ampleur de l’immigration en France et en Europe. Ou cet autre quand il propose la « remigration » comme un palliatif à ce problème (similaire à la « loi Rwanda » votée récemment par le gouvernement britannique pour expulser avec un aller simple nombre d’étrangers vers ce pays — dont il a acheté la complaisance — sans voir qu’il est déjà surpeuplé avec un taux de natalité élevé). Il n’y a aucune honte à montrer de l’inquiétude face à cette dangereuse évolution démographique de l’espèce humaine. Le grand remplacement existe bien, mais pour décrire un tout autre phénomène : la confiscation par l’être humain de l’ensemble des niches écologiques à son profit exclusif. Un anthropocentrisme nuisant aux autres espèces du vivant que nous délogeons peu à peu, directement (consommation d’espaces) ou indirectement (pollutions, extractions...) de leur ancestrale place au sein de la biosphère. Oser parler de « mythe démographique » pour qualifier la menace du nombre, c’est dénigrer le biocentrisme en confortant l’idée judéo-chrétienne de placer l’homme au centre de tout.

Notre inquiétude ne concerne pas la seule Afrique et ses 1,3 milliard d’humains aujourd’hui. En Europe, aucun pays n’envisage de donner un coup de frein à la croissance de sa population. Le « vieux » continent ne se dépeuple pas, car l’immigration y compense largement son déficit de natalité. Or, cette immigration, perçue dans la présente tribune, uniquement comme un flux quantitatif de personnes, est directement dépendante du rapide accroissement démographique du grand voisin africain. Voulue ou pas, elle ne peut que s’amplifier étant donné les conditions de vie de plus en plus défavorables que connaissent et vont connaître (si rien ne change) les populations d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Les dérèglements climatiques, les destructions écologiques, les conflits internes, les fléaux sanitaires, et les pertes d’autonomie des pays subsahariens en sont et en seront les causes majeures.

En France, et sans doute aussi ailleurs en Europe, nous baignons dans les contradictions. D’un côté, un discours officiel qui prône la sobriété et la transition écologique doté de lois telles que « Climat et résilience », « Zéro Artificialisation Nette », « Accélération des énergies renouvelables » ..., de l’autre un discours tout aussi officiel de "réarmement démographique » avec une politique nataliste qui se renforce. Incohérence d’exiger de chacun plus de sobriété dans un pays dont ne veut pas stabiliser la population, encore moins la laisser décroître. Pourtant, il n’est là question ni de dirigisme ni d’autoritarisme, mais de simple bon sens : la surpopulation est déjà prégnante dans de nombreux territoires d’Europe, surtout dans les plus urbanisés et le long des côtes. Or, la surpopulation n’est pas, jusqu’à preuve du contraire, synonyme de bien-être ! L’espace (autour de soi) devient de plus en plus difficile à trouver dans les villes et les banlieues surpeuplées (transports en commun, musées, marchés, rues bondées...), développant la méfiance et la défiance. Et si les flux s’inversaient, qu’arriverait-il ? Ville en désaffection et retour massif vers les campagnes à la recherche d’un double bien-être : l’autarcie économique et l’espace. Mais les campagnes ne sont pas extensibles à l’infini. Pour peu qu’on veuille ralentir drastiquement, voire cesser, la fragmentation écologique et la consommation de terres, conserver le meilleur de notre patrimoine et de quoi se nourrir, quelles autres solutions que de limiter notre nombre ? Les espaces naturels (peu habités) sont, outre leurs fonctions biologiques et écologiques, de potentielles réserves foncières qui pourrait trouver la légitimité de leur non aménagement le jour où surviendrait une catastrophe (nucléaire ou autre) rendant inhabitable une partie du territoire.

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On se ferme des portes de sortie en ne territorialisant pas l’économie et en ne misant pas résolument sur la sobriété. Car c’est tout de suite qu’il faudrait développer une agriculture et une gestion forestière écologiques adaptées aux territoires, une gestion rationnelle et équitable de l’eau, des sources d’énergie locales, des circuits courts, des mobilités vertueuses, une meilleure efficacité des recyclages...

Mais revenons à l’Afrique. Il existe des leviers efficaces pour limiter la surnatalité subsaharienne et les surdensités d’occupation qu’elle génère localement. Trop peu de pays de ce continent paraissent réaliser le danger. L’Europe a les moyens de les aider à changer de trajectoire. La volonté politique est un préalable indispensable, hélas elle fait encore défaut. N’en déplaise aux démosceptiques, ce n’est pas du néocolonialisme, mais au contraire faire preuve d’humanisme que d’aider l’Afrique, sans ingérence, à adopter des normes familiales réduites, rehausser l’âge légal du mariage, décourager la polygamie, développer l’éducation (les besoins sont considérables : il manque actuellement 15 millions d’enseignants à l’Afrique !), l’autonomisation des femmes, les services socio-médicaux (dont le planning familial et la contraception qui ont prouvé leur efficacité). Le démographe H. Leridon (INED) a calculé qu’en agissant tout de suite, l’Afrique pourrait s’éviter 1,2 milliards d’habitants en 2100. Elle n’en compterait alors que 3,3 milliards, au lieu des 4,5 projetés qui formerait l’effrayant pourcentage de 40% de la population de la Terre. Cette économie représente l’équivalent de la population de quatre Nigeria, de centaines de milliers d’hectares de terres et de forêts économisés, et probablement de grandes quantités d’émissions de GES évitées. Car les émissions polluantes de l’Afrique ont été sous-estimées par le GIEC à l’horizon 2030, comme une étude du CNRS vient de le montrer récemment : « elles pourraient atteindre 20% des émissions globales anthropiques des polluants gazeux et particulaires ». D’une part, on oublie souvent de prendre en compte dans les calculs les pertes de carbone dues à la déforestation (feux de brousse, brûlis des défrichements, sols à nu), de l’autre, les scientifiques annoncent que le bilan carbone des grands massifs forestiers africains, de plus en plus fragmentés, se dégrade d’année en année. En clair, comme en Amazonie, ils risquent de basculer vers plus d’émission que de captage de CO2. La baisse de la croissance démographique subsaharienne aurait donc bien à terme , en sus de la biodiversité, un effet positif sur le climat.

Il ne s’agit pas d’établir des « contrôles démographiques », une expression utilisée par ceux-là mêmes qui s’opposent à toute régulation de population pour signifier le caractère répressif et privatif de cette politique, mais de mettre fin aux politiques pronatalistes en Europe, tout en favorisant en Afrique les actions de démographie raisonnée. La politique maoïste de l’enfant unique, le malthusianisme, ont laissé des traces profondes dans les imaginaires ! Les termes d’écodémographie et de société d’équilibre et de renaturation(voir : La sagesse de l’éléphante, éd. Libre & Solidaire, Paris 2023) seraient sans doute mieux appropriés. Au-delà de l’éthique (empathie et humanisme), les démosceptiques ne semblent pas s’apercevoir de l’incohérence qu’il y a à faire des enfants condamnés à vivre dans un monde abominable, ravagé par des calamités incessantes qu’auront provoquées le réchauffement climatique, les effondrements biologiques en chaîne, l’insécurité alimentaire, les conflits, guerres et tensions perpétuelles (voir à ce sujet : « Population and food systems : what does the future hold ? » De S. Becker et J. Fanzo, John Hopkins Univ., 2023). D’autant que l’augmentation continue des étendues inhabitables (élévation du niveau des mers, zones surchauffées, polluées...) va aggraver les problèmes d’occupation ailleurs, en y rompant l’équilibre « population-ressources ». De telle manière que dans les pandémonium du futur la notion de surdensité démographique risque d’avoir plus de sens que celle de nombre absolu d’humains.

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Comment éviter l’artificialisation continue des sols, comment mettre en oeuvre efficacement la loi ZAN en France, sans stabilisation démographique préalable ? Comment empêcher l’étalement urbain et les pollutions concomitantes (comme par exemple dans le bassin d’Arcachon) ? Les démosceptiques ignorent-ils que le logement est responsable à 60% du grignotage des espaces naturels et forestiers ? Ignore-t-ils que selon l’UICN, la France perd chaque année plus de 60 000 ha de terres (l’équivalent d’un département par décennie !) ? On sait que les méthodes vertueuses, telle que l’agro- écologie, qui prônent des agricultures à taille humaine diversifiées et territorialisées, ont des rendements moindre que l’agriculture et l’élevage intensifs. Comment les généraliser sans envisager au préalable une politique écodémographique ? De façon générale, comment prélever moins de ressources naturelles sans réguler notre nombre ? La sobriété perd son sens si à une situation de saturation démographique on greffe une politique de croissance de la population.

Il serait tout à l’honneur des écologistes politiques de revoir leur position en matière de démographie. Ils briseraient un tabou et décoïnceraient un débat qu’ils ont pour le moment refusé d’enrichir malgré les conseils de leurs prestigieux mentors (Dumont, Cousteau, Levi-Strauss...). En révélant où est le vrai humanisme et en se rapprochant de l’écologie efficace, ils ne courraient aucun risque de s’enliser sur les terres de l’extrême droite.

Bernard BOUSQUET Écologue-forestier

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