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Billet de blog 28 janvier 2025

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Palestine : Shaftesbury , Balfour , la S.D.N. et Churchil ( Partie 2)

« Dieu n’existe pas, mais il nous a promis cette terre », Amnon Raz-Krakotzkin, Mitaam, 3, 2005, p.71-76.

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Immigré en Angleterre, Haïm Weizmann, jeune Lecteur en chimie (Prof. assistant), prit résolument la succession de Herzl et son idée maîtresse : le mix de colonie britannique en Palestine matinée de foyer national juif, émise par Palmerston et Shaftesbury.Encore illustre inconnu dans le monde de la chimie, Weizmann se fit remarquer par ses talents de communication et d’organisation ; c’est ainsi qu’il grimpa rapidement dans la hiérarchie du sionisme de la communauté juive anglaise dirigée par Lionel Walter Rothschild. Le binôme Lionel Walter Rothschild / Haïm Weizmann excellait dans l’art du lobbying. Le premier, banquier de son état, toujours en retrait, évitait de s’exposer directement et laissait faire son talentueux protégé. Dès 1905(un an après la mort de Théodor Herzl), Weizmann rencontra Arthur James Balfour, Premier Ministre de Grande- Bretagne, qu’il amena à ses vues quant au sionisme. En 1914, Weizmann était le vice-président de la Fédération sioniste britannique ; en 1920, il en devint son président. Il joua crânement la carte de l’influence juive réelle ou supposée (cf. sur l’antisémitisme Hannah Arendt) [3]. De nombreuses personnalités britanniques tombèrent sous le charme du brillant chimiste et néanmoins héraut du sionisme. C’est ainsi qu’il trouva l’oreille de beaucoup : de Balfour à Lloyd George, la liste est longue.Notons toutefois que les intentions de lord Balfour ne sont pas des plus philosémites. À preuve : « Premier ministre en 1905, il s’était employé énergiquement à faire adopter une législation sévère contre l’immigration étrangère, visant essentiellement à empêcher l’arrivée en Grande Bretagne de réfugiés juifs d’Europe orientale qui fuyaient les pogroms et les persécutions ». [4] Shlomo Sand, (Comment la Terre d’Israël fut inventée, champs histoire, p.30) citant Brian Klug, Being Jewish and Doing Justice, Londres, Valentine Mitchell, 2011 p.199-221.Il y a eu convergence d’intérêts mue par des sentiments diamétralement opposés : Arthur James Balfour voulait contenir voire inverser le flux des immigrés juifs en Grande -Bretagne et le binôme Lionel Walter Rothschild / Haïm Weizmann s’attelait à faire converger les juifs européens vers la Palestine. Par ailleurs, l’Angleterre qui avait laissé miroiter un foyer juif en Palestine, avait également promis à Hussein ,Shérif de la Mecque , l’indépendance du territoire arabe (Palestine comprise) s’il acceptait de s’impliquer dans la guerre que l’Angleterre menait à la Turquie dans le cadre de la 1ère guerre mondiale .Lawrence Thomas Edward ( dit Lawrence d’Arabie) qui a dirigé les troupes arabes avec Fayçal , fils de Hussein Ibn Hachem , a déclaré quelque temps avant sa mort accidentelle que la cause arabe était trahie ,pour ainsi dire, dès le départ.« My country first! » est le pôle indiqué par la boussole anglaise; et l’intérêt des Arabes n’était pas sur le chemin le plus court pour l’atteindre. Dans son Mémorandum du 11 août 1919, Lord Arthur Balfour , désormais responsable du Foreign Office, écrivait :« (…) Car en Palestine, nous ne proposons pas de recourir à une forme de recueil des souhaits des habitants actuels du pays(…) .Le Sionisme, qu’il ait raison ou tort (…) est enraciné dans de vieilles traditions , dans des nécessités présentes , dans des espoirs futurs d’une beaucoup plus profonde importance que les désirs et les préjudices des sept cent mille Arabes qui habitent maintenant sur cette terre ancienne ». Les « nécessités présentes » dont il est question sont les conséquences directes de la montée de l’antisémitisme. Non content de se débarrasser à bon compte de la responsabilité du problème juif, et de son pendant, l’antisémitisme - un chancre exclusivement européen- sur le dos d’un peuple qui en est totalement innocent, Lord Arthur Balfour oubliait déjà le mandat octroyé par la SDN qui consistait à guider les peuples libérés du joug turc dans la voie de la construction d’un Etat : les accords Sykes/Picot allaient secrètement leur chemin.Notons que Lloyd George, premier Ministre, d’extraction galloise, s’était fait une réputation de « progressiste ». Soucieux de l’auto-détermination des peuples, il défendit, tour à tour, la liberté de conscience en matière de religion et le nationalisme gallois ; il prit en outre position contre l’impérialisme et le capitalisme durant la Guerre contre les Boers ; il reconnut, en 1921 l’indépendance de L’Eire (Irlande) .Quid de la promesse faite aux Arabes ?L’Angleterre est pragmatique, tant pis pour les Arabes.Une occasion à ne pas rater. 1916, l’arsenal anglais était aux abois : la fabrication de poudre à canon, tributaire de l’acétone, une exclusivité de l’industrie chimique allemande, était en difficulté.C’est alors qu’en tant que chimiste, l’Universitaire Haïm Weizmann sortit de l’anonymat : il venait de mettre au point un procédé de fabrication de l’acétone par fermentation bactérienne. Il fut aussitôt l’objet de toutes les attentions du Vice-amiral Churchill qui le fit entrer au laboratoire de l’amirauté en 1916.Le président et le vice-président de la fédération sioniste d’Angleterre (respectivement Lionel Walter Rothschild et Haïm Weizmann) s’abouchèrent avec les autorités britanniques. « Dès les premiers mois de la guerre, il [Haïm Weizmann] rencontre Herbert Samuel, Ministre, lui-même juif et pro-sioniste. L’idée que la Grande Bretagne pourrait tirer avantage de la création d’un état juif en Palestine est évoquée dès le début 1915. (…) » [5] Charles Enderlin, les juifs de France entre République et Sionisme. Ed. Seuil.2020, p.69. Le 2 nov. 1917, Lord Balfour, le secrétaire au Foreign Office, écrit au Baron Lionel Walter Rothschild, président de la fédération sioniste britannique, une lettre - une simple lettre de courtoisie – qui devint aussitôt, sous la lumière polarisée sioniste, un traité - pas moins. Il ne manquait pas une occasion de le rappeler. ‘’ Le gouvernement de sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les juifs jouissent dans tout autre pays. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération Sioniste’’». [5] Charles Enderlin, les juifs de France entre République et Sionisme. Ed. Seuil.2020, p.69. Dans cette lettre, Lord Balfour disposait à son gré de la Palestine en violation flagrante du mandat donné à l’Angleterre par la SDN ; il trahissait, dans le même geste, le pacte que son gouvernement avait scellé avec Hussein Ibn Hachem, Shérif de la Mecque et son fils Fayçal qui avaient libéré la Palestine de l’occupation turque.Du lobbying pro sioniste étatsunien. L’idée vint au successeur de Herzl de faire jouer l’appui du lobby juif américain afin de forcer la main au président Woodrow Wilson pour que l’Amérique entrât en guerre aux côtés des alliés. « Nul ne peut ignorer l’influence et le rôle du judaïsme américain auprès du président Woodrow Wilson, fervent partisan de l’autodétermination des peuples » [5] Charles Enderlin, les juifs de France entre République et Sionisme. Ed. Seuil.2020, p.68. Henri Laurens [6] aboutit à cette même conclusion dans son ouvrage, La question de Palestine, t.1, L’invention de la terre sainte (1799-1922), Paris Fayard. 1999, p.349. Woodrow Wilson était en outre grand lecteur de l’ancien testament et, de ce fait, déjà familiarisé avec « ‘’la terre promise ‘’ par l’Eternel à ‘’ Israël, le peuple juif’’ ». 1917, l’Amérique entra en guerre contre l’Allemagne, aux côté des alliés. L’idée de la « Palestine terre sans habitants » refit surface pour le plus grand bien du très british « my country first » et de l’étatsunien « America first ». L’Empire US était déjà dans le « starting block » pour conquérir l’hégémonie du monde (au grand dam de notre Georges Clémenceau national). Du lobbying pro sioniste français. Pour ce qui concerne la France, Charles Enderlin écrit [5]: « (…) Pour lutter contre les visées britanniques sur la Palestine, le Quai d’Orsay amorce des négociations avec Nahum Sokolow, membre de l’exécutif sioniste. Cinq mois avant la déclaration Balfour, le 4 juin 1917, Jules Cambon, secrétaire général des affaires étrangères, lui avait écrit :’’ (…) Je suis heureux de vous en donner ici l’assurance. Vous considérez que, si les circonstances le permettent et si l’indépendance des lieux saints est sauvegardée, ce serait un acte de justice et de réparation d’assister, avec la protection des puissances alliées, à la naissance d’une nationalité juive sur la terre dont le peuple d’Israël a été exilé’’ » [6] Henri Laurens, La question de Palestine, t.1, L’invention de la terre sainte (1799-1922), Paris Fayard. 1999, p.349. Winston Churchill.Pour Winston Churchill « (…) Il est juste que les juifs éparpillés dans le monde aient un centre national et un foyer national (…) nous pensons que ce serait bon pour le monde, pour les juifs et pour l’Empire Britannique ; nous pensons que ce serait bon également pour les arabes... » . Winston Churchill était intrépide : il ne craignait aucunement de pousser l’humour anglais jusqu’à l’asymptote du cynisme, ni ne lésinait sur les moyens pour parvenir à ses fins. À l’occasion de son discours (commission Peel de 1936), l’orgueil encore ulcéré par le soulèvement des Palestiniens, il les compara incontinent aux aborigènes d’Australie et aux indiens d’Amérique. Son racisme, désormais sans voile, vit cette révolte comme une preuve d’inconséquence et alla jusqu’à qualifier ces arabes, (que la SDN avait confiés aux bons soins de l’Angleterre, rappelons-le, encore une fois!) de « chiens dans une mangeoire ». Dans ce même discours, il déniait aux arabes palestiniens un quelconque Droit sur la terre de leurs ancêtres : « je ne suis pas d’accord que celui qui est dans la crèche décide du sort final de la crèche, même s’il y est resté très longtemps (…) ». Winston Churchill donnait dans le troisième degré de l’humour, avec délectation ; l’homme n’était définitivement pas pour l’autodétermination des peuples…Mais c’est bien sûr, où avais-je la tête ? C’est au colonialisme britannique d’en décider : « tout, et tout de suite, pour l’Angleterre ; les autres doivent demander la permission et attendre ». Les Irlandais sont bien placés pour le savoir, les Palestiniens aussi…Du reste, si la sollicitude de l’Angleterre à l’endroit du « peuple juif » prévaut dans la lutte contre la menace bolchevique et contre la concurrence française au Moyen-Orient, elle n’entre aucunement en considération quand les intérêts de l’Angleterre sont contrariés. Rappelons qu’après la Shoa, les Juifs affluèrent en Palestine. Certains rejoignirent les différentes forces armées sionistes in situ .L’Angleterre fut montrée du doigt : elle aurait tu et, partant, facilité la Shoa . C’était bien la preuve que les juifs ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Basta d’attendre l’hypothétique Etat juif ; l’Amérique est pour nous ; l’URSS est pour nous ; la France est pour nous. C’est le moment ou jamais d’imposer nos aspirations. Ils déclenchèrent alors ce qu’ils allaient appeler « guerre de libération » contre l’Angleterre, durant 3 années (1946/1947/1948).Après l’attentat du groupe extrémiste sioniste Stern (du nom de son chef) contre L’hôtel King David, siège des autorités militaires britanniques, Winston Churchill l’avait mauvaise : nous leur avons donné un foyer et les avons protégés contre les arabes, voilà comment ils nous remercient … La rupture avec le sionisme sembla un moment inéluctable, mais il s’en tint à la déclaration Balfour.Le Foyer National juif avait pris le pas sur la colonie anglaise censée le protéger ; il devenait un boulet pour l’Angleterre qui ne pouvait - surtout une fois la Shoa connue de tous- le réprimer comme elle avait réprimé les Palestiniens en 1936 (l’Angleterre avait mis, alors, tous les moyens disponibles : il y avait eu plus de soldats anglais pour contraindre les deux millions d’habitants palestiniens au silence que pour tenir en respect les millions de colonisés de l’Inde). La cause de la Palestine, colonie anglaise, fut abandonnée ; le Foyer National juif, suivant l’exemple des Boers d’Afrique du Sud, avait gagné son droit à l’autonomie. L’Angleterre rendit « son tablier » à L’ONU et considéra, par ce geste, que sa « face était sauve » …Le nettoyage ethnique de la Palestine.« (…) Aux attentats [des organisations militaires sionistes] les Britanniques ont réagi avec modération – notamment par comparaison avec le traitement brutal infligé aux rebelles palestiniens des années 30 ». Ils ont riposté par une campagne de désarmement des soldats juifs qu’ils avaient souvent recrutés et armés eux-mêmes, pour combattre la révolte palestinienne de 1937 d’abord (…) » [7] Ilan Pappe, le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008, p. 49. « En 1937, quand les Britanniques offrirent à la communauté juive un Etat, mais sur une fraction de la Palestine bien plus réduite que ce qu’avaient à l’esprit les sionistes, Ben Gourion accepta leur proposition comme un début » » [7] Ilan Pappe, le Nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008, p. 47. Rappelons à ce stade que la Grande Bretagne était mandatée par la SDN pour accompagner l’émancipation du peuple palestinien, libéré du joug turc, jusqu’à la création d’un Etat fonctionnel. Or, elle en était, 27 ans après, à offrir à une partie tierce, un territoire qu’on avait placé sous sa sauvegarde : étonnant, non ?« Je suis pour le transfert forcé [des Palestiniens]. Je ne vois rien là d’immoral » David Ben Gourion à l’Exécutif de l’Agence juive, Juin 1938. [8]. Ménahem Ussishkin, un des principaux dirigeants des premiers sionistes, en proie à une surenchère verbale déclara : « En vivant pacifiquement et fraternellement avec les juifs, ces arabes reconnaissent le droit historique des fils d’Israël sur cette terre » [9] Ménahem Ussishkin. C’est de la rhétorique assurément mais l’hypocrisie et le cynisme qui la sous-tendent tiennent de l’abyssal. « À la fin de 1947, la Palestine comptait près de deux millions d’habitants : un tiers de juifs, deux tiers d’Arabes. La Résolution 181 des Nations Unies décida sa partition en deux Etats : l’un doit être presque exclusivement peuplé d’Arabes ; dans l’autre, les juifs seraient légèrement majoritaires. Un an après, c’est un Etat à très forte majorité juive, Israël, qui occupe 78% de la Palestine : plus de 500 villages ont été rasés, de nombreuses villes ont presque entièrement perdu leur population arabe ; 800000 arabes palestiniens ont fui leur pays, durant la Nakba, la Catastrophe. Les camps de réfugiés créés à cette époque sont toujours présents au Liban, en Syrie, et en Jordanie ». « Le plan Daleth israélien de1948 (…) contient un répertoire de méthodes de nettoyage qui correspondent point par point aux moyens décrits par les Nations Unies dans leur définition du nettoyage ethnique, et constitue l’arrière-plan des massacres qui ont accompagné l’expulsion massive » [7] Ilan Pappe, le Nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008, p. 21. L’Angleterre est pragmatique…Ainsi va le monde. [4] Shlomo Sand, (Comment la Terre d’Israël fut inventée, champs histoire, p.30) citant Brian Klug, Being Jewish and Doing Justice, Londres, Valentine Mitchell, 2011 p.199-221.[5] Charles Enderlin, les juifs de France entre République et Sionisme. Ed. Seuil.2020, p.68, 69. »[6] Henri Laurens, La question de Palestine, t.1, L’invention de la terre sainte (1799-1922), Paris Fayard. 1999, p.349. [7] Ilan Pappe, le Nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008.[8] Archives sionistes centrales, minutes de la réunion de l’Exécutif de l’Agence juive, 12 juin 1938, In Ilan Pappe, Nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2008, p. 9[9] Shlomo Sand, (Comment la Terre d’Israël fut inventée, champs histoire, p.299) citant Ménahem Ussishkin, in Shmuel Almog, Sionisme et histoire, Jérusalem, Magnes, 1982, p.184. .

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