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Billet de blog 29 janvier 2015

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ENTRETIEN / Julie Duclos, metteur en scène de "Nos Serments", présenté à La Colline-théâtre national du 15/01 au 14/02/15

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A l'occasion de la Ciné-Rencontre « Utopies amoureuses d'hier et d'aujourd'hui » autour du spectacle Nos Serments, Belleville en vues a rencontré Julie Duclos pour échanger sur sa façon de faire exister le cinéma au théâtre et sur l'un des films-références du spectacle, Le Bonheur de Agnès Varda.

Projection du film Le Bonheur d’Agnès Varda, suivie d'une rencontre avec l'équipe du spectacle Nos Serments, samedi 31 janvier, à 16h au Bar-restaurant Le Lieu-Dit. En savoir plus. 


Belleville en vues : Pouvez-vous nous expliquer les relations que vous cherchez à tisser entre l'image scénique et l'image filmée ?

Julie Duclos : Pour moi, faire de la vidéo, cela signifie faire du montage et aussi une manière de penser la dramaturgie. J'adore faire du montage et voir comment deux images qui se rencontrent, que ce soit une image de plateau ou de cinéma, peuvent créer du sens, une émotion. 
Cela suggère aussi des expériences différentes pour le spectateur. Qu’on soit au cinéma ou au théâtre, la perception n’est évidemment pas la même. Au cinéma, nous sommes physiquement en retrait, devant un écran, plongés dans le noir, alors qu’au théâtre j’ai l’impression que nous sommes plutôt dans une position avancée, plus active. 
Je n’avais pas pensé à ça en amont de la création. Mais Nos Serments mobilise différemment le regard du spectateur en lui proposant une expérience de cinéma à travers la projection dans le noir d'une vidéo qui dure 10 minutes ; ou en le confrontant simultanément au cinéma et au théâtre, ce qui crée des jeux de perception qui m'intéressent.

Belleville en vues : Comment concevez-vous le jeu des acteurs à l'écran et sur scène ?

Julie Duclos : Je cherche à ce qu’il n’y ait pas de différence entre ce que les acteurs peuvent faire à l’écran et ce qu’ils produisent sur scène. Nous avons travaillé par improvisations. L’objectif était que les comédiens soient capables d'être sur le plateau sans se poser la question du public, en étant simplement là, entre eux en amoureux, en train de régler leur compte. 

Belleville en vues : Pourquoi avoir pensé le rapport intérieur/extérieur comme un dialogue entre le plateau et la vidéo ?

Julie Duclos : C'est vraiment la question que pose le film de Jean Eustache La Maman et la Putain, le point de départ de la pièce. Le film alterne les scènes d’intérieur et d’extérieur. On est soit dans un café, soit dans un appartement. Je ne pouvais pas envisager de créer un décor de café sur la scène. Cela n'avait pas du tout de sens. Très vite s’est imposée l’idée de représenter l’intérieur d’un appartement.
Mais en même temps, j'avais besoin des extérieurs, d'une respiration afin de ne pas être juste dans un huis clos d'appartement. C'est par la vidéo que j’ai trouvé la possibilité d’intégrer l'extérieur dans le spectacle. Dès le début, c'était la chose la plus évidente pour moi avant même d'entamer le projet.

Belleville en vues : Vous aviez déjà inséré de la vidéo dans vos précédents spectacles ?

Julie Duclos : Oui effectivement, mais Nos Serments est le premier spectacle où il existe une continuité dramatique. Le spectacle est plus classique car moins fragmenté. Il y a des situations, des personnages et une histoire. La vidéo s'insère dans cet ensemble comme une continuité. Parfois il y a des ellipses mais le tout est pris dans un enchainement dramatique. Pour mon premier spectacle, Fragments d'un discoursamoureux - adapté du livre de Roland Barthes, j'utilisais la vidéo, mais il s'agissait de fragments qui s'inscrivaient au sein d'une construction moins linéaire.

Belleville en vues : Quelle a été l'influence de Philippe Garrel sur votre conception du jeu d'acteur ?

Julie Duclos : Lorsque j'ai suivi les cours de Philippe Garrel, professeur au Conservatoire à Paris, j'avais déjà une expérience de tournage mais c'était la première fois qu'on me proposait une nouvelle façon de penser le travail du comédien. Phillipe Garrel cherche à ce que le jeu de l’acteur soit « vrai », «actuel». C'est très rare, on ne joue pas souvent comme ça au cinéma. Il nous disait : « Je voudrais qu'on tourne dehors, que vous ne tourniez pas au Conservatoire mais au café pour dé-théâtraliser le jeu. » « Dé-théâtraliser le jeu » implique pour l’acteur tout un travail sur l’état de présence. L'idée est de « rester tout le temps dans les pensées de sa vie », de laisser un espace pour que cohabitent les pensées du personnage et les siennes propres du quotidien. Il faut que le film « soit un documentaire sur toi », me disait-il. Cette façon de travailler m’est apparue comme un outil merveilleux pour aborder avec les acteurs Nos Serments.

Belleville en vues : Comment avez-vous pensé la création des vidéos et leur articulation avec le plateau ?

Julie Duclos : Le spectateur doit être complètement en immersion dans les images scéniques et filmiques. C’est là toute la difficulté pour les acteurs. Par exemple, au moment de l'interview en vidéo d'Esther à la Gare de Lyon, nous sommes complètement avec elle. Et lorsqu'elle revient sur le plateau avec sa valise, elle doit être parfaitement raccord avec ce moment filmé, parce qu’on est complètement dans la réalité par le cinéma. La vidéo permet de créer des ramifications. Chaque partie filmée a une fonction singulière. Par moment, la vidéo prolonge un imaginaire, une pensée, parfois en rajoutant une voix off, elle crée des effets d'ellipses… On ne sait plus dans quel temps on se trouve. Ça a été très intuitif d'imaginer ces passages filmés.

Belleville en vues : Comment le film Le Bonheur d’Agnès Varda vous a accompagné pendant la création du spectacle ?
Rappel du pitch du film « Le bonheur » : Un menuisier aime sa femme, ses enfants et la nature. Ensuite, il rencontre une autre femme, une postière, qui ajoute du bonheur à son bonheur. 

Julie Duclos : La source du film La Maman et la Putain de Jean Eustache renvoie à beaucoup de références et notamment à ce film d'Agnès Varda réalisé en 1965. J'ai vu Le Bonheur pendant le travail de création du spectacle et je l'ai trouvé très subversif, notamment sur la question des utopies privées. Tout l’objet du film est d’essayer de voir comment ce nouveau mode de vie amoureux peut se maintenir. Comment est-ce possible ? Si le bonheur peut s'additionner, c'est que tout va bien et que ça peut marcher. Mais on pressent le moment où le personnage du mari va faire basculer la situation. Il est vraiment intéressant de voir comment le film se déplie. C'est comme une théorie qu'on essaierait de mettre en pratique pour voir jusqu'où elle peut tenir.
On peut penser que le mari est très égoïste, comme beaucoup l'ont dit à l'époque de la sortie du film. Mais si on ne juge pas, on peut se dire que c'est intéressant. C'est la question du rapport à l'autre, de ce que je m'autorise, du bonheur qui s'additionne au bonheur. Enfin, il y a le moment où on le partage avec l'autre : est-ce qu'on peut l'entendre ou pas ? Est-ce possible ou non ?
A travers Nos Serments, c'est ce qu'on essaie de développer. Quand on essaie de vivre ce nouveau mode de vie amoureux, se pose inéluctablement la question de l'autre, de ce qu'on accepte, de la manière dont cela se négocie. Qu'est-ce qu'on cache à l'autre ? Comment on essaie de vivre cette utopie ? A l'opposé, dans Le Bonheur, le personnage du mari se l'autorise seul pendant tout une partie du film. Ce serait la différence avec Nos Serments.
Mais on pourrait dire que le personnage de François de « Nos Serments » véhicule en quelque sorte l'utopie du film Le Bonheur. Lorsqu’Agnès Varda s'exprime dans une interview où elle est attaquée sur son film, elle s’esclaffe : « Mais enfin, on ne peut tout de même pas tuer les gens qu'on rencontre ! » Le personnage central rencontre une jeune femme « il ne l'a pas cherchée ! Il la voit, elle arrive dans sa vie. Qu'est-ce que vous voulez faire ? ». C'est très beau la façon dont Agnès Varda en parle : non pas comme quelque chose de volontairement subversif, mais comme une évidence de vie.

Comment s'aimer autrement ? C'est une question qui se pose déjà par exemple dans La Dispute de Marivaux (1744). Les personnages y sont libres comme l'air, livrés sans honte à leur désir. Et puis à un moment, l'un de personnages dit : « Celle-là, c'est la mienne » et la jeune fille est malheureuse, car elle ne supporte pas l'idée d'appartenir à quelqu'un. J'ai l'impression que c'est une question éternelle qui a été brassée d'une manière brûlante dans les années 1970 autour du mouvement de libération sexuelle. Mais je pense que l'on aura toujours affaire à ce type de questionnement.

Entretien réalisé le 22 janvier 2015 par Sandra Davené. 


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