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Billet de blog 7 octobre 2022

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Bayou contre Rousseau : l’impensé, le déni et la faute politique

Le lundi 26 septembre à 7h23 du matin, comme tou·tes adhérent·es d’Europe Écologie Les Verts, je reçois un mail avec en objet : « Démission du secrétariat national ». Le mail signé de Julien Bayou lui-même contient déjà l’ensemble des éléments constitutifs de la défense qu’il adoptera dans les jours qui suivent.

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Le lundi 26 septembre à 7h23 du matin, comme tout·es adhérent·es d’Europe Écologie Les Verts, je reçois un mail avec en objet : « Démission du secrétariat national ». Le mail est signé de Julien Bayou lui-même et contient déjà l’ensemble des éléments constitutifs de la défense qu’il adoptera dans les jours qui suivent. Notre désormais ex-secrétaire national s’y présente comme la victime d’une cabale qui n’a rien à voir avec le féminisme, dont par ailleurs il rappelle être un fervent défenseur, menée par des personnes qui ont perdu tout discernement et nient ses droits à se défendre. 

Il écrit à propos de la situation où il se trouve plongé malgré lui, reprenant à son compte la dichotomie qui dans les représentations dominantes oppose la rationalité des hommes sensés à l’hystérie des femmes gouvernées par leurs humeurs, que « le contexte délétère semble empêcher tout discernement ». Motif que son avocate, Maître Marie Dosé, usera jusqu’à la corde lors de sa conférence de presse du 26 septembre exposant au public les contradictions et l’inconstance de l’ex-compagne de son client qui un jour l’assure de son soutien et quelques semaines plus tard le voue aux gémonies. A contrario, Julien Bayou est présenté comme extérieur au drame qui se noue. D’un côté, il déclare ignorer tout de ce dont on l’accuse : « je suis accusé de faits qui ne me sont pas présentés », de l’autre « il est délibérément tenu dans l’ignorance ». Aussi, rien ne peut expliquer l’attitude de son ex-compagne sinon ses propres faiblesses. Comme souvent, les multiples oppressions que les femmes subissent, économiques, politiques, familiales, sont niées et leurs réactions, renvoyées à une différence de nature.

Et notre ex-secrétaire national d’enfoncer le clou en nous mettant collectivement en garde contre le risque de désordre que ses accusatrices font courir à la société tout entière au moment même où elle « cherche le point d'équilibre pour cette si nécessaire révolution féministe ». L’opposition qu’il dessine entre les féministes dangereuses pour l’ordre social et les féministes raisonnables, auxquel·les il appartient, rejoue un autre des leitmotivs les plus communément employés pour attaquer la légitimité des luttes féministes au prétexte qu’elles iraient trop fort, trop loin. Une accusation qu’il réitère dans l’entretien qu’il accorde au Monde quelques jours plus tard « [Sandrine Rousseau] est allée trop loin » où il n’hésite pas à comparer l’engagement féministe de la députée de Paris au maccarthysme qui persécuta dans les années 1950 aux Etats-Unis des milliers de personnes soupçonnées de sympathie communiste. Cette charge virulente est reprise en coeur sur les réseaux sociaux par nombre de responsables politiques qui reprochent à la cellule de vigilance contre les violences sexuelles et sexistes, interne à EELV, des « méthodes dignes de la Stasi » ou la qualifient « d’inquisition ». Dès lors, celleux qui menacent l’ordre social ne sont plus situés du côté de celles et ceux qui exercent les violences sexistes et sexuelles mais du côté de celleux qui les dénoncent et les combattent.

Ainsi Julien Bayou qui prétend lutter pour l’égalité femme-homme, se défend par sa voix ou celle de son conseil, des accusations de sexisme à son encontre à travers les mêmes catégories de perception et de pensées (absence de discernement, inconstance, outrance des femmes) qui servent communément à dissimuler l’action de la société dans la reproduction de la relation hiérarchique entre les hommes et les femmes en prétextant sa naturalité ou sa nécessité face au désordre que nous promettent les féministes.

La charge est d’autant plus facile à porter que les faits reprochés à Julien Bayou ne sont, ainsi qu’il l’écrit dans son communiqué, « pas pénalement répréhensibles ». Il précise d’emblée et le répètera au Monde quelques jours plus tard : « Mes accusatrices disent elles-mêmes qu’il n’y a rien de répréhensible ». Lors de sa conférence de presse, son avocate précisera de son côté que Sandrine Rousseau elle-même a reconnu « avoir mené son enquête et n’avoir rien trouvé d’illégale ». Or ce que la loi reconnait et punit comme une violence faites aux femmes s’inscrit dans un continuum de comportements incorporés dont les femmes et les hommes sont le plus souvent prisonniers et qui, réitérés quotidiennement forment la domination masculine. Dans ce continuum, les comportements sexistes n’ont pas toujours la matérialité brutale du « harcèlement, des menaces, de l’intimidation ou des moqueries ». Ce qui ne signifie pas, contrairement à ce qu’affirme Julien Bayou, qu’ils n’existent pas ou qu’ils seraient inoffensifs. Toutes les femmes ont éprouvé dans leur chair la violence symbolique que représente le fait de se découvrir l’objet du désir d’un homme qui, jouissant en général d’une assurance d’autant plus affirmée qu’il détient toutes sortes de capital, multiplie les conquêtes comme autant de manière de réassurer son pouvoir. Dès lors, interroger publiquement quand on est une femme politique « des comportements qui en effet sont de nature à briser la santé morale des femmes » revient à mettre en débat dans l’espace public ce continuum qui de la répartition des tâches domestiques au comportement prédateur, de la violence symbolique à la violence physique, forment les conditions de reproduction du système que nous combattons.

Dans toute l’histoire du mouvement féministe, la publicisation des violences subies par les femmes fut un moyen pour les femmes de rompre avec leur injonction au silence et défier le spectre de la violence ultime qui ne manque jamais de s’abattre sur celles qui parlent. Ce qui expliquent que les femmes soient si nombreuses à avoir peur de parler. Là encore la condescende du ton « Sandrine Rousseau pleure. Ce n’est pas grand-chose, juste une larme qui coule le long de sa joue » (Le Monde du 5/10/22), les mises en cause répétées de sa sincérité « feint-elle de s’étonner » (Le Monde, toujours), « Elle n’a pas pu résister. Toutes ces caméras… » (Le Canard Enchainé, 5/10/22), ou les insinuations de complot, mensonge, irrationalité parachèvent le portrait d’une femme prête à tout pour faire tomber les hommes « Elle a eu la peau de Julien Bayou, elle veut celle d’Adrien Quatennens » (Le Carnard, encore). De ce point de vue la déferlante misogyne qui frappe Sandrine Rousseau, qu’elle vienne des réseaux sociaux ou des médias, s’inscrit dans la droite ligne de toutes les vindictes collectives qui ont accompagné, pour la brimer, la prise de parole des femmes et va bien au delà de l’épisode particulier dont il est question ici. Depuis plusieurs semaines sa parole féministe et radicale l’oblige à cheminer sur une crête où chaque pas l’expose aux jugements de celleux qui, confortablement installés dans des relations inégalitaires, influencent l’opinion publique au bénéfice de l’ordre qui leur garantit la place qu’iels occupent.

Si Julien Bayou reproche à Sandrine Rousseau d’avoir prémédité sa sortie dans l’émission C à Vous pour l’affaiblir en prévision du congrès d’Europe Écologie Les Verts, il faut bien reconnaitre que sa défense, en plus de chevaucher les pires stéréotypes naturalistes sur les femmes, mobilise à son profit la tolérance sociale au sexisme et aux comportements machistes. De ce point de vue, ce qu’il convient d’appeler l’affaire Bayou devient l’occasion d’un grand moment réactionnaire où celui à qui il est reproché des comportements sexistes vis à vis des femmes est constitué en victime d’un féminisme dévoyé et dangereux pour la société. De la part de l’ex-secrétaire national du premier parti écologiste de France, cette stratégie ressemble au chant d’un cygne désespéré de découvrir, sans avoir ni la maturité ni la formation politique pour le reconnaitre, que certains de ses comportements vis-à-vis des femmes participent de « cet inconscient misogyne incorporé » (Pierre Bourdieu), produit d’une relation de pouvoir séculaire des hommes sur les femmes. 

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