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Billet de blog 27 octobre 2011

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Tragédie newarkienne

Publié il y a maintenant un an, Nemesis de Philip Roth est son trente-et-unième roman. Il s'agit de l'opus final de sa série de courts romans appelés « Nemeses », comprenant Everyman [Un homme] (2006), Indignation (2008) et The Humbling [Le Rabaissement] (2009), qui ont été tous les trois traduits en français aux éditions Gallimard. Nemesis a remporté le Man Booker International Prize (Grande-Bretagne) en 2011.

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Publié il y a maintenant un an, Nemesis de Philip Roth est son trente-et-unième roman. Il s'agit de l'opus final de sa série de courts romans appelés « Nemeses », comprenant Everyman [Un homme] (2006), Indignation (2008) et The Humbling [Le Rabaissement] (2009), qui ont été tous les trois traduits en français aux éditions Gallimard. Nemesis a remporté le Man Booker International Prize (Grande-Bretagne) en 2011.

Nemesis a pour cadre le Newark de l'enfance de Philip Roth, tout comme Le complot contre l'Amérique. À la différence de ce dernier, ce n'est pas le petit Philip qui est le narrateur, mais l'un des élèves de Bucky Cantor, un professeur d'éducation physique en charge d'un centre aéré de la ville de Newark durant l'été 1944. Pendant que les GI combattent pour la libération de l'Europe, Bucky Cantor, frustré de ne pas avoir pu être envoyé sur le front à cause de sa mauvaise vue, prend en charge les activités sportives de jeunes adolescents alors qu'une épidémie de polio, ayant commencé dans les quartiers italiens de la ville se propage au sein de la communauté juive.

Petit à petit, les enfants qui sont sous la responsabilité de Bucky tombent malades, finissent paralysés ou trépassent. La panique gagne rapidement le quartier, entraînant le développement de peurs irrationnelles puisque les mécanismes de transmission de la polio sont mal connus. D'abord héros d'une communauté en manque d'hommes, Bucky est remis en cause par certains parents qui voient en lui l'un des responsables la propagation de la maladie car il encourage les enfants à continuer de vivre et de jouer en dépit de la menace de contagion. Tiraillé entre ses responsabilités et le désir de rejoindre sa future fiancée dans un camp de vacances – épargné par la polio – à la montagne, Bucky Cantor doit faire face à une série de dilemmes moraux qui finiront par le ronger.

C'est une véritable tragédie que Philip Roth livre avec Nemesis. Le bon héros est condamné à subir son destin, impuissant, en dépit de la meilleure volonté du monde et d'une remise en cause constante. Le livre reprend des thèmes chers à Roth : la judéité (et la volonté de masculiniser les juifs), la mort bien-sûr, mais aussi la peur (voir le très beau passage p. 106) et l'injustice, qui plus que les deux autres sujets, dominent le livre de bout en bout. Peur de ne pas être à la hauteur de ses responsabilités, de sacrifier sa communauté pour son bonheur personnel, de laisser tomber ceux dont a la charge, que cela soit les enfants du centre que sa grand-mère qui l'a élevé avec son défunt grand-père. L'injustice, qui est aussi centrale dans des livres comme La Tâche ou Indignation, est durement ressentie par Bucky, qui en vient à questionner ses convictions religieuses à la lumière des tragédies individuelles qui touchent les enfants. Plus que la maladie en elle-même, c'est Dieu qui est jugé responsable de ces morts, ce qui n'est pas sans faire écho à la tragédie qui touche alors les juifs Outre-Atlantique.

Cette injustice se transforme en culpabilité pour Bucky (p. 176), redoublée par le fait qu'il n'a pas pu combattre en Europe alors que certains de ses meilleurs amis tombent sur le champ de bataille lors du débarquement.

Nemesis est encore une fois la démonstration que le Philip Roth dernière période a toujours autant à dire dans un style à la fois épuré et poignant. En partant du familier Newark, il nous conduit à la tragédie, jouant encore une fois sur les possibilités offertes par la littérature afin d'imaginer une autre histoire, évitée, mais néanmoins possible, soulignant ainsi le poids de la contingence, qui n'empêche pas l'homme de se considérer responsable de ce qui se passe autour de lui.

Philip Roth, Nemesis, Vintage Books, Londres, 2010, 280 p. [Le livre n'a pas encore été traduit en français, des extraits du premier chapitre sont disponibles à l'adresse suivante.]

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