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Billet de blog 2 avril 2023

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Pourquoi la définition officielle de l'autisme pose problème

Il y a beaucoup d'ignorance au sujet de l'autisme, et la plupart des citoyen.ne.s pensent qu'il s'agit d'un trouble grave. Il y a aussi beaucoup de charlatan.e.s qui cherchent à guérir l'autisme et les associations qui ont cette visée sont celles qui sont le plus entendues à ce sujet. Il est donc nécessaire de modifier la définition officielle de manière à la rendre neutre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

1) Ce que dit le DSM

Le DSM-5 définit les « troubles du spectre autistiques » (TSA) par une dyade caractérisé par :

- des déficits de la communication et des interactions sociales :

  • déficit de la réciprocité sociale ou émotionnelle : c'est là qu'on retrouve le déficit de « théorie de l'esprit » et notamment la difficulté de lire les états mentaux, les représentations et les sentiments des personnes non autistes (allistes) ;
  • déficit des comportements non verbaux : il s'agit des comportements non verbaux et notamment du fait de « ne pas regarder assez bien dans les yeux » ;
  • déficit du développement, du maintien et de la compréhension des relations : il s'agit notamment de la compréhension des codes sociaux implicites notamment sur la manière de saluer quelqu'un, ou de savoir quand envoyer ou ne pas envoyer de message ;

- caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités :

  • mouvements répétitifs ou stéréotypés : il s'agit des gestes d’auto-stimulation qui sont généralement la manipulation d'un objet de manière répétitive ou l'alignement d'objets ;
  • intolérance aux changements, adhésion inflexible à des routines : il s'agit notamment ici des difficultés avec les imprévus, notamment les changements de dernière minute ;
  • intérêts restreints ou fixes, anormaux dans leur intensité ou dans leur but : il s'agit ici des passions ou intérêts spécifiques, particulièrement intenses au point de pouvoir y passer beaucoup de temps ;
  • hyper ou hyposensibilité aux stimulis sensoriels.

2) En quoi est-ce problématique ?

2.1 Une formulation très péjorative, qui perpétue des clichés qui nuisent aux personnes autistes

La notion de TSA est à la fois péjorative et floue. En effet, la notion de trouble sous-entend qu'il existe un spectre autistique « normal », sans trouble.

Le premier point de la dyade est hautement problématique car il présente les caractéristiques de communication des personnes autistes comme des déficits et montre que c'est le comportement des personnes autistes qui est problématique et donc que les autistes doivent faire des efforts pour s'intégrer. Par contre, cette définition ne remet pas en question le comportement des neurotypiques et notamment la pertinence d'avoir ce genre d'attentes sociales vis-à-vis de toute personne. On pourrait par exemple définir l'allisme (le fait d'être non autiste) comme un trouble poussant notamment à chercher des implicites là où il n'y en a pas forcément, à être choqué par des comportements inhabituels mais ne nuisant pas à autrui, à attendre qu'autrui comprenne des messages passés de manière implicite... Ce premier point est donc à reformuler entièrement de manière à ne pas considérer les particularités de communication comme des déficits.

Sur le second point, il y a aussi beaucoup de reformulations à faire car cette formulation donne l'impression que les personnes autistes sont ennuyeuses, ce qui n'est absolument pas le cas. En particulier, je déteste la notion d'intérêts restreints qui donne l'impression que les personnes autistes s'intéressent à très peu de choses, ce qui n'est pas le cas, même s'il est vrai que des centres d'intérêts peuvent devenir obsessionnels pendant un temps. Concernant l'intolérance aux changements, cela mérite d'être nuancé et reformulé car cela donne l'impression que les autistes n'acceptent jamais le moindre changement dans leur vie et sous-entend alors par exemple que les autistes n'aiment pas voyager, ce qui n'est vrai que pour certains autistes. En revanche, c'est bien avec les imprévus que nous avons des difficultés, surtout quand ils surviennent au tout dernier moment, qu'ils ne sont pas anticipables et qu'ils génèrent une situation difficile.

2.2 Beaucoup d'autistes risquent de ne pas vouloir se reconnaître comme tel ou avoir une mauvaise estime d'eux ou d'elles-mêmes

Personnellement, je n'accepte pas qu'on définisse ma caractéristique neurodéveloppementale comme une accumulation de déficits dans la communication et les interactions sociales, d'autant plus que cela ne pose difficulté qu'avec des personnes neurotypiques, et qu'il n'y aurait strictement aucun problème si la majorité des humains était autiste. Je préférerai qu'on définisse l'autisme de manière neutre sans utiliser de mot à connotation négative.

Par ailleurs, beaucoup d'autistes s'intéressent à beaucoup de choses et ne vont pas se reconnaître dans les « intérêts restreints ».

De mon expérience personnelle, lorsqu'on m'a parlé pour la première fois du fait que je sois autiste en juin 2016, j'ai tout de suite pensé qu'il fallait que je fasse un gros travail sur moi pour faire attention à ne pas faire de gaffe sociale, que je fasse attention à mes gestes d'autostimulation pour ne pas paraître bizarre, que j'apprenne à mieux gérer les imprévus... bref à camoufler mes traits autistiques. Il m'a fallu 6 mois (jusqu'à fin 2016) pour me dire que je n'ai rien à ne me reprocher pour mon fonctionnement neurologique et pour mes comportements autistiques, et que par contre je devais en parler autour de moi.

2.3 Cette définition favorise diverses sortes de malveillance institutionnelle

La définition fait état de nombreux déficits et incite beaucoup de professionnels à penser que l'autisme est un trouble grave et donc que l'avenir des personnes autistes est forcément sombre (c'est ce qu'on a dit à mes parents). Cela pousse à penser que les autistes doivent travailler sur eux afin de ne plus paraître autiste et c'est là que la méthode ABA est utilisée de manière à effacer la visibilité des traits autistiques.

Par ailleurs, beaucoup d'enseignants considèrent que tou.te.s les autistes doivent avoir un AVS en classe, ce qui conduit à la déscolarisation d'enfants autistes, y compris de celles et ceux n'ayant pas nécessairement besoin d'AVS

3) Proposition de reformulation

Tout d'abord, je tiens à préciser qu'il ne s'agit que d'un avis personnel, qui ne représente en aucun cas l'opinion de la communauté autiste.

Concernant les TSA, la solution la plus simple serait de tout simplement parler d'autisme sans sigle. Si néanmoins, on souhaite garder un sigle ou la notion de spectre, on pourrait parler de « particularités du spectre autistique » (PSA) ou de « caractéristiques du spectre autistique » (CSA). Cela permettait d'enfin décrire l'autisme de façon plus neutre.

Concernant le premier point de la dyade, les difficultés ne s'observent qu'avec des personnes allistes. Si néanmoins la proportion d'autistes/allistes était inversée, je suis persuadé qu'on parlerait de déficits de la communication et des interactions sociales pour les personnes allistes. Je propose ainsi la formulation suivante :

- particularités de la communication et des interactions sociales :

  • lecture des états mentaux et des sentiments des personnes allistes intellectualisée (et non instinctive), absente ou non prise en compte ;
  • communication essentiellement verbale (écrite ou orale) sans implicites ;
  • prise en compte uniquement des conventions sociales explicites ou apprentissage intellectualisé des conventions sociales implicites.

Concernant le second point de la dyade, il convient de reformuler de manière à ce qu'on ne s'imagine pas les personnes autistes comme étant ennuyeuses. Je propose ainsi la formulation suivante :

  • comportements d'auto-stimulation pouvant se traduire par exemple des gestes répétitifs, des écholalies (répétition de mots ou de phrases) ou encore des alignements d'objets ;
  • difficultés avec les imprévus, surtout quand ils ne sont pas anticipables, et adhésion peu flexible à certaines routines ;
  • présence d'intérêts spécifiques, inhabituels dans leur intensité ou dans leur contenu ;
  • hyper ou hyposensibilité aux stimulis sensoriels.

Je profite de cet article pour vous partager l'excellente vidéo sur les mots qu'il convient d'utiliser pour parler de l'autisme ou des autistes : https://www.youtube.com/watch?v=Pe3OTaL7rts

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