1) La politique du quinquennat de François Hollande
Si on peut reconnaître qu'il y a eu quelques avancées, notamment sur le plan sociétal avec le mariage pour tous et l'adoption plénière pour tous les couples, on constate qu'il y a eu bien peu de mesures qu'on pourrait attendre de la gauche durant ce quinquennat.
Par ailleurs, bon nombre de mesures économiques aurait également pu être mené par la droite : on peut notamment citer l'augmentation de la TVA à 20 % au 1er janvier 2014 (même si c'est moindre et retardé que la hausse à 21,2 % prévue par Sarkozy à compter du 1er octobre 2012), le pacte de responsabilité avec l'allégement des cotisations sociales patronales sur les bas salaires qui a pour effet une trappe à bas salaires, la loi El-Khomri avec l'inversion de la hiérarchie des normes, la baisse des majorations sur les heures supplémentaires, etc.
De plus, ce quinquennat n'a pas rompu avec la logique sécuritaire. On peut notamment citer l'abandon du récépissé de contrôle d'identité, le temps mis pour abroger les peines planchers, un état d'urgence prolongé et surtout la proposition de déchéance de la nationalité.
En résumé, ce quinquennat aura permis de dégoûter bon nombre d'électeurs de gauche et aura fait perdre du terrain à la gauche dans la bataille idéologique.
2) Le fonctionnement interne du Parti Socialiste
La ligne officielle du PS est définie lors des congrès par un vote des motions des adhérents depuis au moins 6 mois. Il en est de même pour les investitures à la plupart des élections exceptées pour les présidentielles où le candidat est désigné par une primaire ouverte.
La politique du quinquennat de François Hollande ayant dégoûté bon nombre de militants, beaucoup d'entre eux ont quitté le parti bien avant le congrès de Poitiers en 2015. La motion A, soutenant la politique gouvernementale, a certes dépassé 60 % des voix mais n'a eu que 42 713 voix, à comparer avec les 37 941 voix et 29,08 % de la motion E au congrès au congrès de Reims en 2008. Le nombre de votants total entre ces deux congrès a chuté d'environ 60 000 : cela en dit long sur la situation catastrophique de ce parti. La victoire de la ligne gouvernementale au dernier congrès est donc due au départ de militants dégoûtés du quinquennat. Le vote des militants sur les investitures aux législatives de 2017 a désigné une grande majorité de candidats dans la même ligne que le quinquennat qui s'est écoulé.
3) Situation à la gauche du Parti Socialiste
À la gauche du parti socialiste, la situation n'est guère meilleure. En effet, lors des élections intermédiaires, les partis à la gauche du PS n'ont pas réussi à capter les électeurs de gauche dégoûtés par la politique du quinquennat ; les scores respectifs d'EELV et du Front de Gauche sont restés relativement faibles notamment aux élections européennes 2014 et aux élections régionales 2015.
4) La campagne présidentielle de 2017
4.1 La primaire citoyenne de janvier 2017
Début 2016, des appels étaient lancés pour la tenue d'une primaire de toute la gauche en vue des élections présidentielles de 2017. La question qui se posait à ce moment était de savoir s'il fallait intégrer un représentant du quinquennat lors de cette éventuelle primaire ou non. Cependant, cette primaire de toute la gauche n'a pas pu se faire en raison à la fois des réticences du PS qui a évoqué ne vouloir qu'un candidat issu de ses rangs, et du refus de Mélenchon qui ne voulait pas devoir appeler à voter Hollande dans le cas où il gagnait cette primaire.
Au départ, les instances du PS ne voulaient pas organiser de primaire étant donné que François Hollande était normalement censé se représenter et être soutenu par le parti. Toutefois, étant inscrite dans les statuts du PS et étant demandée par l'aile gauche, elle a finalement eu lieu en janvier 2017. Elle a abouti à la victoire de Benoît Hamon, tenant d'une ligne nettement plus à gauche que celle du quinquennat. Cela s'explique par le fait que cette primaire a concerné un nombre beaucoup plus important d'électeurs que celui des adhérents actuels du PS, et qui ne sont pas soumis aux logiques d'appareil.
4.2 La campagne de Benoît Hamon
À la suite de la primaire, Benoît Hamon a bénéficié d'une dynamique et à chercher à réaliser l'unité de la gauche fort de ses 1,2 millions de voix obtenues à la primaire citoyenne. Il a réussi à obtenir le ralliement de Yannick Jadot mais a en revanche échoué avec Jean-Luc Mélenchon. Mélenchon a semblé être ouvert à un rapprochement sous certaines conditions. Dans ces conditions, il y avait notamment le retrait des investitures aux législatives attribuées notamment à Myriam El-Khomri et à Manuel Valls, mais cette condition était impossible à remplir car les investitures aux législatives avaient déjà été décidées avant la primaire. Cet argument sur les investitures de ces personnalités ont été de nature à enrayer la dynamique post-primaire. Un pacte de non-agression aurait toutefois été soi-disant conclu entre les deux candidats, et il y a eu très peu de critiques envers Mélenchon de la part de Hamon et de ses équipes en février et en mars.
Par la suite, des mi-mars les défections se sont accumulées au PS avec notamment de nombreuses personnalités socialistes qui ont médiatisé leur vote en faveur d'Emmanuel Macron dès le premier tour. Cela a réussi à décrédibiliser encore davantage la candidature de Hamon. Ces personnalités ne souhaitant d'ailleurs pas sa victoire n'avaient d'ailleurs aucun intérêt à rester sur la réserve.
Par la suite, la performance de Mélenchon au premier débat à cinq lui a permis de prendre des voix à Hamon. À partir de là, la candidature Hamon a littéralement dévissé et c'est seulement après ce premier débat que Benoît Hamon et ses équipes ont concentré leurs critiques envers Mélenchon. Mais à ce moment-là, il était déjà trop tard.
Inversement, les critiques envers Emmanuel Macron ont démarré dès le début de la campagne. Or, beaucoup d'électeurs d'Emmanuel Macron auraient préféré voter Hamon s'il n'y avait pas de risque de duel entre François Fillon et Marine Le Pen.
4.3 La campagne de Jean-Luc Mélenchon
La victoire de Benoît Hamon à la primaire de la gauche a fait perdre quelques points à Jean-Luc Mélenchon de manière temporaire. Ceci dit, il a semblé montrer quelques signes d'ouverture histoire de ne pas passer pour quelqu'un de fermer ou de sectaire à toute alliance alors qu'il voulait maintenir sa candidature quoi qu'il arrive. Il a donc posé certaines conditions impossibles à remplir par Benoît Hamon pour une alliance telles que le retrait des investitures de Myriam El-Khomri et de Manuel Valls par exemple, alors que les investitures socialistes avaient d'ores et déjà été décidé par vote des militants du PS le 8 décembre 2016. Il a donc réussi à ne pas porter le chapeau de l'échec de la candidature commune et à donner l'impression que l'application de son programme était réellement garantie contrairement à Benoît Hamon qui serait contrarié par sa propre majorité pour appliquer son programme.
Par ailleurs, il a fait preuve d'une certaine originalité dans sa campagne :
- en utilisant habilement les réseaux sociaux et Internet : on peut citer notamment sa chaîne YouTube, le jeu Fiscal Kombat...
avec les meetings en hologramme ;
les nombreux meetings en plein air et en particulier la marche pour la sixième république…
On doit également souligner sa performance lors des 2 débats télévisés.
Cela lui a permis d'avoir une bonne dynamique en fin de campagne. Toutefois, son score n'était pas suffisant pour arriver au second tour. Ses positions en matière de politique internationale ainsi que sur l'Europe, mais aussi sa personnalité, lui ont fait perdre les précieuses voix qui lui manquaient.
4.4 Le phénomène de vote utile
Le 21 avril 2002, les électeurs de gauche ont le plus souvent voté pour les candidats les plus proches de leurs convictions plutôt que pour Lionel Jospin ; cela a conduit à l'éparpillement des voix de gauche et a participé à l'échec de Lionel Jospin dès le premier tour. Cela a montré qu'il est nécessaire qu'une grande majorité des électeurs de gauche se rassemble derrière une même candidature pour que la gauche soit au second tour. Depuis, le vote utile n'a cessé d'alimenter les débats.
Lors du premier tour de cette élection présidentielle 2017, le vote utile à gauche s'est divisé en 2 :
- une bonne partie s'est reportée sur Emmanuel Macron afin d'éviter le duel Fillon-Le Pen (presque 50 % des électeurs de François Hollande au premier tour en 2012 ont voté Emmanuel Macron dont une bonne partie n'était pas convaincue par son programme) et cela a fonctionné ;
une autre partie s'est reportée sur Jean-Luc Mélenchon car il semblait le mieux placé à gauche bien que beaucoup de ses électeurs n'étaient pas d'accord avec ses positions sur la politique internationale et sur l'Europe. Cela n'a toutefois pas été suffisant pour qu'il parvienne au second tour.
Cela nous montre que le vote utile est inhérent au mode de scrutin et qu'il persistera tant que ce mode de scrutin reste inchangé. Il est donc inutile de dire « Ne croyez pas aux sondages ! Votez pour vos convictions ! » lorsque les sondages nous mettent clairement hors course. On peut certes déplorer que les sondages fassent l'élection, mais cette réalité persistera si voter pour le candidat le plus proche de ses convictions permet plus facilement de faire passer un candidat qu'on veut absolument éviter.
5) Ce qu'il faut en retenir
Nous avons eu un quinquennat en décalage complet avec ce que voulait la plupart des électeurs de gauche. Cela s'est traduit également par de lourdes défaites aux élections intermédiaires et une perte de confiance envers ce parti. L'appareil du PS est tout aussi décalé avec son électorat naturel comme a pu le montrer le décalage entre le résultat du congrès de Poitiers est le résultat de la primaire citoyenne de 2017. Ce décalage a causé de grandes difficultés pour le candidat désigné par cette primaire : cela a ouvert la porte à des critiques sur cette incohérence venant notamment de la France insoumise et a également conduit à un faible soutien de l'appareil du parti à son candidat avec notamment le soutien affiché à Emmanuel Macron de la part de nombreuses personnalités du PS. On peut certes déplorer les trahisons envers le résultat de cette primaire, mais cela est inhérent à l'important fossé idéologique qui existe à l'intérieur de ce parti entre l'aile droite et l'aile gauche. En résumé, le PS sous sa forme actuelle est obsolète et une scission semble inéluctable. Il est donc illusoire de compter sur une refondation du PS à l'intérieur de ses murs.
Par ailleurs, il faut aussi souligner la faiblesse globale de la gauche lors de cette élection : cela montre tout le travail qu'il y a dans la bataille idéologique.
Enfin, la Ve République et les modes de scrutin étant ce qu'ils sont, et on ne pourra rien y changer sans être au pouvoir, il faut donc une recomposition de la gauche compatible avec ces données. Cela doit donc passer par un grand parti rassemblant l'essentiel de l'électorat de gauche. Toutefois, il pourra être intéressant de s'inspirer de ce qui a fonctionné lors de cette dernière campagne.