Suite à l'utilisation quasi certaine d'armes chimiques par le régime syrien de Bachar Al-Assad dans la banlieue de Damas contre son propre peuple le 21 août dernier, les Etats-Unis s'apprêtent à attaquer la Syrie. Le Président américain Barack Obama ne peut en effet laisser passer un antécédent offrant aux dictateurs à travers la planète la possibilité de « gazer » leurs opposants sans crainte de représailles de la communauté internationale. Or cette « communauté internationale », expression de plus en plus vide de sens, est paralysée depuis plus de deux ans maintenant face à la tragédie syrienne à cause du soutien indéfectible de Moscou et de Pékin au régime Al-Assad et de leur véto au conseil de sécurité de l'ONU. Résultat, le « plus jamais ça » est encore possible et le bilan macabre syrien dépasse aujourd'hui les 100 000 morts.
Alors faut-il intervenir en Syrie ? Quelles que soient les motivations des uns et autres sur le sujet, il se trouve que les Britanniques ont démocratiquement refusé l'intervention et que les Etats-Unis attendent désormais le vote de leur Congrès le 9 septembre prochain. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont donc confié à leurs parlementaires respectifs l'immense responsabilité de la décision finale d'intervenir à l'extérieur de leurs frontières. Quels que soient les jeux politiciens à l'oeuvre et les intentions cachées des différents acteurs, c'est une belle leçon de démocratie lancée à la face du monde, même si Bachar Al-Assad se frotte sans doute actuellement les mains, bien content de pouvoir continuer à narguer la « communauté internationale ».
La bonne question à se poser dans ce contexte est donc peut-être et avant tout « dans quelles conditions décidons-nous d'intervenir ? » François Hollande a fourni au nom de la France il y a maintenant une dizaine de jours son soutien indéfectible à l'Oncle Sam pour une intervention armée. Le Président français lui, a en effet la « chance », grâce aux règles de la Ve république, de ne pas avoir à s'encombrer d'un vote du Parlement avant de décider d'une intervention extérieure. En effet, selon l'article 35 de la Constitution de 1958, le gouvernement est tenu « d'informer le Parlement au plus tard trois jours après le début de l'intervention ». Et « cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote. » Cette bonne vieille « monarchie républicaine » fleurant bon l'Ancien régime procure une sensation étrange après le vote britannique et la décision d'un vote du Congrès américain. N'y aurait-il pas comme une anomalie démocratique dans notre vieux pays ?
Au Parti Socialiste, les avis sont partagés quant à la nécessité d'un vote du Parlement. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault convoque ce lundi les responsables des groupes parlementaires et une session extraordinaire consacrée à la Syrie se tiendra mercredi de cette semaine au Sénat et à l'Assemblée nationale. Certes le Parlement est consulté et respecté. Mais il n'est nullement décideur en la matière. Et la droite française, totalement à contre emploi de sa tradition gaulliste, a beau jeu de crier aujourd'hui au scandale démocratique, elle qui soyons-en sûrs au vu des pratiques sous Nicolas Sarkozy, ne se serait guère non plus encombrée de « détails démocratiques » en pareilles circonstances. La majeure partie de la classe politique française se contente très bien finalement des règles de la Cinquième, à l'instar de notre très médiatique Ministre de l'Intérieur Manuel Valls ayant déclaré ce dimanche sur Europe 1 :
« On ne change pas la Constitution en fonction des humeurs des uns et des autres, ou des événements dans le monde. L'esprit et la lettre de la Constitution doivent être respectés. »
Certes, mais si cette Constitution paraît anachronique, si une majorité de Françaises et de Français rejettent une intervention armée extérieure impliquant Paris (64% d'après un sondage) et veulent un débat et un vote réel au sein du Parlement, si enfin la France est la risée de la communauté internationale parce qu'elle se retrouve finalement seule suiviste des Etats-Unis, suspendue de plus au vote du congrès américain, n'est-il pas temps de revoir ces règles constitutionnelles d'un autre âge ? Voilà un vrai débat qui mérite d'être posé. Comme l'a très bien dit Daniel Cohn-Bendit, suite aux propos polémiques du Premier Secrétaire du PS Harlem Désir à propos de la position de la droite, ayant parlé d' « esprit munichois » :
« La question n'est pas Munich ou pas Munich ! La question est : comment une démocratie décide d'entrer en guerre ? »
Les écologistes sont aujourd'hui confrontés à une très difficile contradiction : malgré une majorité de sympathisants et d'adhérents écologistes pacifistes parmi les plus farouches opposants à tout type de guerre, la majorité des leaders d'Europe Ecologie Les Verts ont appelé à soutenir le Président de la République François Hollande dans sa volonté de punir le régime Al-Assad après son utilisation d'armes chimiques. Ce qui fait légèrement trembler aujourd'hui le navire écolo, de la base au sommet. Ardents défenseurs de la légalité internationale, les écologistes ne pouvaient pas se contenter d'une position pacifiste face à un régime sanguinaire s'étant affranchi de toutes les règles.
Alors entre deux mauvais choix, la guerre ou l'inaction, il convient peut être surtout de jouer le poil à gratter de la majorité concernant la nécessaire évolution institutionnelle de notre pays vers plus de démocratie. La France paraît aujourd'hui être une démocratie diminuée. Sortons au moins par le haut de l'impasse syrienne en donnant de réelles prérogatives au Parlement en matière d'intervention extérieure. Si ça ne contribue malheureusement pas à atténuer les souffrances du peuple syrien, cela permettra au moins de remettre sur la table la question fondamentale de la démocratie française.
Et du côté de l'Europe, l'Union apparaît encore un fois être un « nain politique » face au conflit syrien. La chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton a fait preuve récemment de sa « profonde inquiétude » face à l'accumulation de preuves de l'utilisation d'agents chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. Cela nous fait une « belle jambe » ! Alors que ces tragiques évènements constituent l'occasion pour l'UE de tenter de parler d'une seule voix et d'une voie claire, on ne voit toujours rien venir du côté de Bruxelles. La session plénière de Strasbourg la semaine prochaine permettra sans doute de mener au moins le débat au sein du Parlement européen, et les écologistes y feront entendre la nécessité d'une Europe plus ambitieuse. Mais quand doterons-nous enfin l'Europe d'une personnalité incarnant avec force la voix européenne dans le monde ? A quand un Kofi Annan ou une Leïla Shahid Haut Représentant de l'UE pour les affaires étrangères ? Les états-membres, jaloux de leur souveraineté, se contentent très bien d'une personnalité aphone en la matière. Aux écologistes de réclamer là aussi une évolution, voire une révolution. Si la France vient de se montrer sur le dossier syrien soutien indéfectible de Washington, elle n'a même pas été citée par Obama dans sa dernière conférence de presse. C'est dire l'importance qu'elle revêt aux yeux des stratèges américains. Si une Europe unie parlait d'une seule voix, incarnée par une forte personnalité, il en serait peut-être autrement.
Voici donc ce que doivent surtout continuer de marteler les écologistes : ni « va t'en guerre », ni « pacifistes irresponsables », avant tout démocrates et défenseurs des droits humains, attachés au respect du droit international, nous souhaitons que la tragédie syrienne et la probable intervention armée « occidentale » inéluctable soient au moins l'occasion d'essayer de rendre la France plus démocratique dans une Europe plus politique. A défaut de sauver le peuple syrien, nous commencerons au moins par nous sauver nous-mêmes.
Benjamin Joyeux
responsable de la commission Transnationale d'Europe Ecologie Les Verts