Cette pandémie, aperçu de « l’ère des pandémies » dans laquelle nous sommes entrés par la destruction de la biodiversité, a mis crûment à jour cette réalité : notre système de santé, qui nous était envié, est en danger. C’est ce qui ressort de la dernière Commission d’enquête sénatoriale sur l’état de l’hôpital public et du système de santé. En ce 7 avril, journée mondiale de la santé, réaffirmons la nécessité de sauver nos hôpitaux et plus largement notre système de santé, en passant d’une logique de soin basée sur une vision managériale et austéritaire dépassée à une logique globale de santé publique et environnementale.

De la logique austéritaire contraignant l’offre à la réponse aux besoins de santé
Contraintes par des politiques nationales de courte vue et le respect des critères européens, les budgets hospitaliers ont été constamment sous-évalués depuis 20 ans par rapport à l’évolution des besoins. Les injonctions de réaliser des milliards d’économies se sont traduites par des pressions insupportables sur le personnel (déflation salariale, baisse des ratios soignants…), une perte de sens de leur travail et des fermetures de services et de lits, au-delà de l’effet du virage ambulatoire.
Une politique absurde y compris économiquement : les déficits structurels qu’elle engendre font chuter les taux d’investissements, tant courants que structurants, et ont fait tripler la dette des hôpitaux publics en 10 ans. Il faut rompre d’urgence avec cette logique infernale en commençant par reprendre cette dette pour recouvrer des marges de manoeuvre financières de modernisation.
L’hôpital public est de plus le réceptacle des multiples crises du système de santé : ses services d’urgence sont débordés, puisqu’assurant quasiment seuls, la permanence des soins et la prise en soins des cas complexes (malades chroniques, âgés, en fragilité sociale).
En lieu et place, défendons une plus grande autonomie des équipes médicales et soignantes et la valorisation des missions spécifiques de l’hôpital public : continuité et permanence des soins, accueil sans tri des patients et des publics, coordination avec les acteurs de santé, etc.
Pour un Etat stratège en matière de santé
Un moratoire immédiat sur les restructurations avec fermetures d’hôpitaux, de lits et de services est nécessaire, en attente d’un plan pluriannuel de santé enfin à la hauteur des enjeux.
C’est à l’Etat de (re)devenir stratège et de définir les objectifs nationaux prioritaires de santé publique et de réduction des inégalités sociales et
territoriales, devant être déclinés et adaptés en fonction des besoins des territoires par les collectivités territoriales, en cohérence avec la redéfinition et le renforcement de leurs compétences.
La dette COVID doit être assumée par l’Etat, faute de quoi cette dette sociale à rembourser d’ici 2030 et l’austérité induite, empêcheront la mise en oeuvre des objectifs pluriannuels de santé et des objectifs prioritaires de santé publique.
Du soin à la santé globale
Il semble surtout urgent de changer de paradigme et de passer d’une logique de soin à une logique de santé globale
Car s’il faut améliorer l’accès aux offres de soins, il faut surtout maintenir la population en bonne santé, en intervenant avant la survenue de la maladie et son nécessaire traitement.
Selon l’Assurance maladie, en 2021, près de 21 millions de personnes ont recours à des soins liés à une pathologie chronique dont 1,5 à 4 millions de 0 à 20 ans. Et parmi eux 13 millions sont pris en charge par l’assurance maladie via la reconnaissance de leurs maladies comme Affection de Longue Durée – ALD.
Les pollutions de l’environnement y compris professionnelles jouent un rôle majeur dans le développement de ces maladies. Leur prévalence en hausse constante est un des principaux défis pour l’avenir de notre système de santé et pour la sauvegarde de ses principes d’égalité et de solidarité.
Il faut donc agir sur les déterminants environnementaux mais aussi sociaux de santé.
En effet, l’explosion des comorbidités corrélée à la pauvreté et l’extrême pauvreté, pose une question éminemment sociale : la distribution de l’état de santé suit celle de l’échelle des revenus, chaque décile supérieur en revenu est supérieur en état de santé.
Les très fortes inégalités sociales face à la maladie et à l’espérance de vie en bonne santé sont inacceptables.
Le système de santé doit donc faire place aux objectifs de réductions des gradients sociaux de santé, notamment des maladies chroniques et des comorbidités (dont l’obésité à prendre en charge en ALD) par un effort inédit de promotion et de prévention individuelle et collective. Sur ce point, la tarification à l’activité (T2A) devenue l’outil d’une politique de rigueur, par son lien univoque avec l’activité justement, n’est pas pertinente pour le suivi des parcours de santé des malades chroniques et encore moins pour les missions de santé publique, de prévention et de promotion de la santé. Il faut renforcer une dotation populationnelle dans chaque
région autour d’objectifs contractualisés de santé publique et de réduction des inégalités de santé.
Refonder la formation
Pour basculer d’un système de soins à un système de santé globale, l’embauche de dizaines de milliers de professionnels de toutes disciplines sera nécessaire. Elle devra s’accompagner d’une politique ambitieuse d’attractivité des métiers du Prendre soin. Il faut supprimer Parcoursup et « libérer » les capacités d’accueil en faculté des étudiants de médecine, en planifiant la démographie médicale nécessaire en partant des besoins de santé.
Les dépenses consacrées à la prévention pour prévenir les maladies chroniques, promouvoir les parcours coordonnés de santé pluri-professionnels et former les professionnels à l’Education Thérapeutique du Patient seront aussi nécessaires.
Mais avant de basculer dans ce nouveau paradigme, il faut marquer une pause dans le mille-feuille des réformes incessantes qui ont fatigué nos soignants en attente d’un véritable débat national avec tous les acteurs de la santé, bien au-delà d’un énième Ségur. Pour que notre système de santé redevienne ce qu’Ambroise Croizat, le père de la Sécurité sociale, qualifiait « d’affirmation d’une solidarité nationale indiscutable ».
Nous, élu.e.s écologistes continuons à nous saisir de ces enjeux et à porter des solutions.
* Commission d’enquête sénatoriale : la contribution de Raymonde Poncet-Monge au nom du Groupe écologiste, solidarités et territoires http://www.senat.fr/rap/r21-587-1/r21-587-139.html#toc592
Raymonde Poncet-Monge, sénatrice EELV du Rhône, Vice-Présidente de la commission des affaires sociales ;
Benjamin Joyeux, conseiller régional écologiste AuRA et référent de la commission santé
Michèle Rivasi, eurodéputée EELV, membre de la commission ENVI
Anne Souyris, Adjointe Santé (Paris), Déléguée Santé pour la campagne de Yannick Jadot;
Céline de Laurens, Adjointe Santé, Prévention, Santé environnementale (Lyon) ;
Docteur Alexandre Feltz, Adjoint Santé publique et environnementale (Strasbourg) ;
Damien Fremont, Conseiller départemental (Collectivité européenne d’Alsace, Canton Strasbourg-2)
Astrid Gaugain, Conseillère municipale, ex Responsable RH dans une clinique privée (Bénodet,Finistère);
Sylvie Justome, Adjointe Santé, Sécurité sanitaire, Seniors, déléguée au développement de l’habitat inclusif, intergénérationnel (Bordeaux);
Annie Lahmer, Conseillère Régionale d'Ile-de-France;
Julie Nicolas, conseillère municipale (Lille);
Michèle Rubirola, Adjointe Santé publique, Promotion de la santé, Sport santé, Conseil communal de santé, Affaires internationales, Coopération, Action municipale pour une ville plus juste, plus verte et plus démocratique (Marseille);
Rachel Savin Puget, co responsable de la Commission Santé EELV
Frédéric Supiot, Délégué consulaire des Français de Belgique, Neurologue à l'hôpital.
Paul Vo Van, Conseiller départemental (Lot-et-Garonne)