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Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

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Billet de blog 6 août 2012

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La Jan Satyagraha approche à grands pas

« Dans un monde globalisé, c’est facile de voyager. La technique et le capital se retrouvent à cette échelle pour exploiter toutes les ressources. Mais le profit ne revient pas aux peuples.

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« Dans un monde globalisé, c’est facile de voyager. La technique et le capital se retrouvent à cette échelle pour exploiter toutes les ressources. Mais le profit ne revient pas aux peuples. Il est gardé par une petite minorité et exporté. Résultat : plus de pauvreté, plus de migrations vers les villes et plus de violence. Ca se passe en Inde et ça se passe partout ailleurs. Les villes deviennent de plus en plus laides et les villages deviennent invivables. Alors comment renverser ce processus ? » Rajagopal P.V, Genève, septembre 2011

Le 2 octobre 2012 : c’est dans un peu moins de deux mois maintenant que débutera en Inde la phase finale de la « Jan Satyagraha », ou « action du peuple pour la vérité », grande marche non violente pour l’accès à la terre et la justice sociale, organisée par le mouvement indien Ekta Parishad. Cette marche, d’un peu plus de 350 km entre Gwalior et Delhi, a l’ambition de rassembler plus de 100 000 marcheurs, essentiellement des paysans sans terres indiens, mais également des militants venus du monde entier, durant près d’un mois afin de converger sur la capitale indienne. Il s’agit de demander au gouvernement de tenir enfin ses promesses en matière de réforme agraire pour les petits paysans, et plus globalement de mettre à l’agenda international la question fondamentale de l’accès à la terre et aux ressources naturelles. Car la question de l’accaparement des terres est en train de devenir un des enjeux majeurs du 21e siècle.

La « course à la terre » est en effet l'un des phénomènes les plus spectaculaires et les plus néfastes de la mondialisation. L’année dernière, la FAO a publié un rapport alarmant sur ce phénomène. Celui-ci n’est pas nouveau : des investisseurs internationaux (sociétés multinationales, grands agriculteurs, agro-industrie, institutions financières) achètent ou louent des terres agricoles dans d'autres pays afin d’externaliser leur production alimentaire ou de produire d’autres biens, tels que les biocarburants, nécessitant d’importantes surfaces. Cela se passe principalement dans les pays du Sud, où le droit foncier se montre plus souple face aux importantes sommes d’argent proposées par de grands investisseurs internationaux. Mais ce phénomène s’accélère, et inquiète à juste titre un certain nombre d’experts, dont ceux de la FAO, quant à la sécurité alimentaire des populations. Au cours des cinq dernières années, ce sont entre 50 à 80 millions d'hectares de terres agricoles dans les pays en développement qui ont fait l'objet de négociations avec les investisseurs internationaux. Beaucoup de firmes achètent notamment des terres pour produire des biocarburants. Elles nous expliquent alors qu’il s’agit de sortir de la dépendance aux hydrocarbures et de baisser nos émissions de gaz à effet de serre. Ce serait donc au final « bon pour la planète ». Mais il s’agit d’une escroquerie intellectuelle, une de plus dans le monde merveilleux du « capitalisme vert ». On estime qu’il faut environ un hectare de terre agricole pour produire une tonne de biocarburant. Le développement des biocarburants amène donc à réduire les surfaces destinées à la production alimentaire. Et d’après notamment d’après l’ONG Oxfam, en mobilisant des terres arables pour fournir de l’essence aux voitures, les biocarburants auraient déjà mis en danger la vie de plus de 100 millions de personnes dans le monde, créant des dommages majeurs sur le cours des matières premières et surtout sur les exploitations du Sud. Pour faire simple, on préfère nourrir des bagnoles plutôt que des êtres humains. N’importe quoi !

L’Inde est moins victime de ce phénomène que certains Etats subsahariens, mais à l’intérieur de l’Etat, certaines catégories de population sont touchées de plein fouet par l’accaparement des terres pour divers projets de « développement ». Il y a le phénomène des grands barrages par exemple, bien connu maintenant grâce notamment aux travaux de la NBA (Narmada Bachao Andolan), association de défense des populations riveraines du fleuve Narmada victimes d’expropriation sauvage de la part des autorités afin d’ériger d’immenses barrages sur le fleuve Narmadâ. Medha Patkar en est sa charismatique porte-parole, et son combat a été popularisé à travers la planète grâce aux reportages et livres de l’écrivain militante Arundathi Roy[1]. Il y a également de multiples projets miniers, le sous-sol indien étant extrêmement riche, comme ceux de l’entreprise indienne Jindal Steel & Power Ltd dans l’état du Chhattisgarh. Un membre d’Ekta Parishad a d’ailleurs étudié le phénomène de très près et son rapport est consultable en Français ici.

Après l’indépendance, les gouvernements fédéraux indiens successifs ont mis fin au système foncier semi féodal des grands propriétaires terriens (les fameux « Zamindars ») et ont initié des réformes agraires à travers le pays. Mais la distribution foncière est restée encore largement inégale et les droits fonciers des paysans très peu sécurisés. Parmi ces paysans, les Adivasis (indigènes) sont parmi les plus mal lotis. Ils se sont vu privés de leurs terres par l’État pendant des années, avant que celui-ci ne commence à leur reconnaître leurs droits légitimes, car bien que pauvres parmi les pauvres, ceux-ci restent des électeurs au même titre que leurs compatriotes des classes moyennes. La reconnaissance de leurs droits finit donc par progresser lentement, mais la mise en pratique est très très longue. En revanche, les différents gouvernements, dont l’actuel du Premier ministre Manmohan Singh (au pouvoir depuis 2004 avec le parti du Congrès) ont préféré donner la priorité au développement industriel du pays, considérant comme marginale la contribution du secteur agricole à l’économie indienne. Aucune politique volontariste de soutien à l’agriculture familiale n’a donc été mise en place, dans un pays comptant pourtant plus de 700 millions de petits agriculteurs travaillant encore à la main, c’est à dire l’immense majorité de la population.

C’est l’ensemble de ce modèle de développement absurde que s‘évertuent à dénoncer Ekta Parishad et son leader charismatique Rajagopal (photo) depuis 1992. 

En 2007 avec Janadesh, en faisant marcher entre Gwalior et Delhi durant 26 jours 25 000 paysans, accompagnés par des dizaines de militants de toute la planète, Ekta Parishad avait obtenu du gouvernement indien une réforme agraire et la mise en place d’une commission chargée d’attribuer des terres aux plus démunis, ceux exclus par les projets de développement concoctés par le pouvoir central en lien avec des multinationales intéressées par le sol et le sous-sol de l’Inde. En 2012, on change d’échelle : 100 000 personnes marcheront pendant près d’un mois entre Gwalior et Delhi, en même temps que partout ailleurs sur la planète se dérouleront des actions de solidarité. Cela afin que non seulement le gouvernement indien finisse par tenir ses promesses, mais surtout pour que soit mis sérieusement à l’agenda international la question de l’accès à la terre, aux terres qui sont de plus en plus accaparées un peu partout (Afrique, Asie, Amérique Latine, Europe de l’Est) par de grands groupes agro-industriels et des multinationales en recherche de matières premières au détriment des populations locales. 

Rajagopal marche déjà depuis octobre 2011 à travers l’Inde afin de mobiliser au maximum dans l’ensemble des campagnes indiennes. En France, en Europe et un peu partout sur la planète, de nombreux évènements de solidarité avec la Jan Satyagraha ont lieu jusqu’à fin octobre : quelques exemples parmi d’autres :

- En France, un périple à vélo entre Nancy et Paris aura lieu du 12 au 17 octobre 2012.

- Une marche Le Croisic-Paris se déroulera du 21 septembre au 17 octobre pour une arrivée sur le parvis du Trocadéro à Paris le 17 octobre, journée internationale du refus de la misère.

- Des repas solidaires de la marche, « the Meal », auront lieu le 15 septembre en divers lieux de la planète : Afghanistan, Allemagne, Angleterre, Belgique, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Espagne, France, Guinée, Mali, Mauritanie, Palestine, Suisse, Togo, etc.

Les écologistes du monde entier, et plus spécifiquement Europe Ecologie Les Verts en France, ont pleinement vocation à soutenir la Jan Satyagraha. EELV a d’ores et déjà participé à plusieurs actions et évènements d’Ekta Parishad et reçu officiellement Rajagopal tant au Sénat en octobre 2009[2] qu’au Parlement européen en juin 2010[3]. Certaines personnalités du mouvement devraient donc participer à la marche en Inde en octobre prochain, dont Karima Delli, eurodéputée EELV membre de la délégation Inde au Parlement européen, son collègue et célèbre figure altermondialiste José Bové ou encore Pascal Durand, le nouveau secrétaire national d’EELV. Car la question de l’accaparement des terres et de l’accès aux ressources est un enjeu majeur pour l’écologie politique, et on peut conclure avec les mots de Mira Kamdar, chercheuse à l’Asia Society de New York et auteure à succès, dans son livre Planet India : l’ascension turbulente d’un géant démocratique :

« L’Inde doit faire face à tous les problèmes essentiels de notre temps: extrême inégalité sociale, précarité de l’emploi, crise croissante de l’énergie, déficit sévère en eau, dégradation de l’environnement, réchauffement climatique, épidémie galopante de SIDA, attaques terroristes – le tout à une échelle qui défie l’imagination. […] Si l’Inde réussit […], elle nous aura montré comment sauvegarder notre environnement. Le pari de l’Inde est vraiment l’enjeu de ce siècle. »

Benjamin Joyeux

Pour tout savoir sur la Jan Satyagraha et sur les activités d’Ekta Parishad et de ses soutiens, voir notamment:

http://www.ektaparishad.com/

http://www.jan-ouest-2012.fr/ - /jan-satyagraha/3545531

http://www.gandhi2012.org/

http://ekta-geneve.blogspot.fr/

http://www.binjamin.info/article-tous-en-marche-en-2012-84448885.html

http://www.marchecontrelamisere.fr/article-la-marche-jan-satyagraha-2012-98865439.html


[1] Lire notamment Arundhati Roy, L’écrivain-militant, Essai Poche, octobre 2003

[2] Lire http://ecologie.blogs.liberation.fr/euro-ecolos/2009/10/rencontre-avec-le-nouveau-gandhi.html

[3] Lire http://www.binjamin.info/article-rajagopal-au-parlement-europeen-52520019.html

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