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Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

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Billet de blog 6 septembre 2016

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Quand on tire même sur les ambulances

En cette rentrée, voici une histoire qui illustre sans doute bien mieux ce que vit une bonne partie de la France réelle, bien loin des débats estivaux idiots autour du burkini de la France virtuelle, celle du milieu politico-médiatique parisien qui adore polémiquer sur rien. Cela se passe à Poitiers, dans le petit milieu du transport ambulancier.

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Illustration 1

L'entreprise Augeron, société à responsabilité limitée installée précisément à Neuville-de-Poitou, est spécialisée dans le secteur d'activité des ambulances. Créée par Monsieur et Madame Augeron avec au départ cinq salariés, elle en compte 26 ans plus tard environ 35, pour un chiffre d'affaires en 2015 de 1 404 600,00 €. Petite PME dynamique, la SARL est revendue en décembre 2015 par les Augeron, prenant une retraite bien méritée, au groupe Integral.

Le groupe Integral, se présentant comme « la holding numéro 1 du transport sanitaire en France », a une stratégie parfaitement bien rodée, et résumée succinctement dans la presse par son fondateur Renaud Chaumet-Lagrange comme la nécessité de « continuer à croître pour devenir incontournables. » Integral, c'est en effet en 2015 plus de 400 personnes et un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros, ce qui en fait un poids lourd du secteur du transport sanitaire en France, qui compte plus de 5000 entités. Diplômé de l'INSEEC de Bordeaux, Renaud Chaumet-Lagrange a fondé en 2004 la SA Integral après avoir travaillé au sein du groupe TSC, société de transport régulier de petits colis. Composée au départ de deux sociétés de transports sanitaires sur Bordeaux, la société Integral acquière en quelques années douze autres entités, jusqu'à son entrée en bourse en 2015. Et Renaud Chaumet-Lagrange ne compte pas en rester là, souhaitant que son entreprise double de taille d'ici 2019. D'où entre autre l'acquisition de la petite SARL Augeron dans la Vienne, cible parmi tant d'autres de ce nouveau tycoon des ambulances dans les départements limitrophes.

Dans la presse économique nationale, sur le papier, la stratégie d'Integral et de son PDG est parfaitement logique: dans le secteur du transport sanitaire en France, très réglementé et extrêmement atomisé, quoi de mieux pour sa « rationalisation », son « efficacité » et sa « simplification » que l'apparition d'un gros acteur avec un bon gros chiffre d'affaires et désormais incontournable?

Mais plutôt que de se contenter de regarder les chiffres sur le papier, selon le réflexe pavlovien de notre époque régie par un économisme des plus étriqués, si on s'intéressait aux détails, comme le facteur humain? Car comme chacun sait, « le diable se cache dans les détails ». Et dans le détail, pour les salariés de la SARL Augeron, la stratégie du groupe Integral et de son « dynamique » PDG s'est semble-t-il, d'après leurs témoignages, résumée ces derniers mois à quelques mots on ne peut plus simple : opacité des décisions, dégradations des conditions de travail, mises au placard, harcèlements, humiliations, etc.

Quand Intégral reprend Augeron en décembre 2015, le discours de monsieur Chaumet-Lagrange auprès de ses nouveaux salariés poitevins se veut des plus rassurants: tout le monde conserverait son emploi, « l'esprit Augeron », synonyme d'une petite entreprise familiale professionnelle et à taille humaine, serait conservé, le savoir-faire des salariés reconnu et soutenu, etc. Quelques semaines plus tard, le résultat est sans appel: les salariés de la SARL Augeron, du moins celles et ceux qui restent encore, ont saisi l'Inspection et la Médecine du travail pour divers problèmes constatés depuis la reprise de l'entreprise par Integral tels que: de multiples arrêts de travail pour épuisement professionnel et troubles anxio-dépressifs réactionnels, divers accidents du travail, un non respect de l'échéance régulière du paiement des salaires, des heures supplémentaires non payées pour certains salariés, une absence de transparence de l'organigramme de l'entreprise, etc. La liste de dysfonctionnements soulevés par les salariés dans leur saisine de l'inspection du travail est encore plus longue que la liste des candidats à la primaire des Républicains. Sans bien entendu oublier les principaux intéressés, celles et ceux sans qui l'activité même de transport en ambulance n'existerait pas, les patients. Nombreux parmi ceux qui faisaient appel aux ambulances Augeron se plaignent désormais visiblement de retards dans leur prise en charge.

Salariés en souffrance, patients insatisfaits? Peu importe, puisque pour Renaud Chaumet-Lagrange, la vérité est ailleurs. Comme il l'explique aux Echos à propos du groupe Integral: « Nous avons considérablement réduit notre dette qui n'est plus que de 1 million d'euros. Le recours au marché nous permettra toutefois d'aller beaucoup plus vite. » Principal objectif d'Integral dans les quatre ans qui viennent? Réaliser 15 millions d'investissement, d'où son entrée en bourse afin de permettre son augmentation de capital.

Il faut savoir que le secteur du transport sanitaire en France est très réglementé: toute personne physique ou morale qui effectue des transports sanitaires doit être titulaire d’un agrément délivré par le Directeur Général de l’ARS (Agence régionale de santé), et ces agréments font l’objet d’un numerus clausus. Attaché à chaque véhicule, le prix moyen d'un agrément se situe autour de 130 000 euros, et les entreprises ambulancières font ainsi l'objet de fortes valorisations financières. La France compte un peu plus de 5000 sociétés de transport sanitaire, avec une taille moyenne de 2,5 agréments chacune. Integral, qui possédait déjà l'année dernière quelques 160 agréments, fait donc figure d'exception et de « mastodonte ambulancier ».

Il faut savoir également que le transport sanitaire correspond à deux types d’activités : le transport assis (VSL - Véhicule Sanitaire Léger – pour les intimes, ou Taxi Sanitaire) et le transport couché (en Ambulance, catégorie A pour les transports d’urgence et catégorie C pour les autres). En France, l’activité se répartit moitié-moitié entre le VSL et l’Ambulance, mais alors que l'activité VSL est peu ou pas rentable, celle-ci est compensé par la rentabilité de l’Ambulance. Ainsi par exemple du groupe Integral, dont 80% du chiffre d'affaires est réalisé grâce à l'activité Ambulance.

Tout va donc pour le mieux dans le monde merveilleux du capitalisme, même si au final il reste quelques victimes sur le bord de la route, comme les salariés et les patients. A se demander finalement s'il ne faudrait pas que les ambulances tournent à vide en conduite automatique.

Il faudrait donc commencer par expliquer simplement à Monsieur Chaumet-Lagrange, diplômé d'une école de commerce ayant fait ses classes professionnelles dans le monde du colis, qu'un patient n'est pas un colis, une marchandise comme les autres. Lorsqu'une personne est amenée à prendre un VSL ou une ambulance, c'est plutôt rarement pour son confort personnel mais bel et bien parce qu'elle n'a pas le choix: accident, maladie, accouchement, invalidité, on ne monte pas dans une ambulance comme on entre dans un magasin de téléphones portables mais parce que notre état physique nous empêche de pourvoir nous-même à notre déplacement. En ce sens, cette entrée en bourse et cet étalement de chiffres et d'objectifs économiques à propos d'un secteur où la loi de la concurrence devrait disparaître au profit de la gratuité, de la qualité et de l'efficacité de la prise en charge sont proprement indécents. Les tenants du capitalisme sauvage dans le secteur de la santé en général et du transport sanitaire en particulier devraient faire comme moi l'expérience de la maladie grave pour comprendre enfin que ce secteur n'est pas comme les autres, que l'ambulancier n'est pas un chauffeur routier mais bien souvent le premier maillon d'une chaîne de prise en charge du patient vitale pour ce dernier. Mais comme à la fin, c'est la Sécurité sociale qui paye, ici comme ailleurs, les capitalistes français peuvent pratiquer leur sport préféré, socialisation des pertes et privatisation des bénéfices. Surtout qu'en plus, les ambulanciers étant exonérés de TVA pour une partie de leurs activités, finalement dans le cas d'Integral, l'Etat subventionne une société cotée avec de l'argent public.

Ce qui est étrange, c'est que lorsque l'on entre dans un moteur de recherches les mots « Integral » ou « Renaud Chaumet-Lagrange », on ne tombe que sur des articles économiques élogieux à la gloire de cette société et de son « dynamique » PDG, alors que visiblement des dizaines de salariés ont d'ores et déjà fait les frais des méthodes Integral. A contrario de ses ambulances, ses services juridiques et de communication doivent donc être pour le moins efficaces. Pas sûr que cela ne procure un quelconque avantage aux patients, mais du moment que Louis Thannberger, le banquier d'affaire parisien ayant facilité l'entrée en bourse d'Integral, est content...

En attendant, bon courage à tous les salariés mis sur la touche par ce Bernard Tapie des ambulances, et juste un conseil pour les pouvoirs publics, collectivités et gouvernement: ce secteur du transport sanitaire, de par sa nature et son objet, ne devrait pas être laissé entre les mains du marché et de capitalistes à la petite semaine. A bon entendeur...

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