D’après une étude récente du Groupe Informel des Ecologistes Consternés (GIEC), ce qui menace actuellement la petite planète verte et la grande planète bleue, c'est un dérèglement bien autant culturel que climatique. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le plus grave danger n'est pas uniquement l’étendue croissante des dégâts environnementaux engendrés par la négligence, la cupidité et un modèle économique qui surexploite les ressources naturelles et humaines jusqu’à épuisement. La racine du mal, la clef qui ouvre les cœurs à la corruption, livre les institutions à l’entropie et mène les civilisations à leur perte, c’est également et peut-être surtout le goût du pouvoir.
Pas le pouvoir en tant que tel. Ni même l’ambition d’y accéder. Celle-ci n'a rien rien d’immoral, à condition de refuser d’y sacrifier ce qui est précieux, ce qui est sacré, ce qui est vivant. Contre le superflu et l’alimentation permanente des désirs par le système productif, André Gorz s’était fait le chantre de l’autolimitation et de la maîtrise du désir. Ce qui est valable pour le règne de la quantité l’est aussi pour le désir de pouvoir et la volonté de puissance.
On peut dénoncer « la Firme » d'EELV, on peut s’amuser avec un brin de mauvaise foi des luttes fratricides au sein de l’UMP, on peut rire jaune devant le cirque médiatisé des calculs présidentiels des unEs et des autres, au gouvernement ou dans l’opposition – chacun à la tête d’un petit plan quinquennal ultra personnalisé, ce qu'il faut avoir à l'esprit est que notre démocratie souffre d'une « maladie » institutionnelle, le présidentialisme, et tout ce qui en découle. Un célébre rouquin siégeant au Parlement européen, entré dans l'histoire pour avoir remis en cause à coup de pavés parisiens les certitudes du pouvoir établi en 1968, avait justement estimé qu’il fallait être complètement « malade » pour vouloir devenir Président de la république… voire ministre. Cette maladie, c'est tout simplement le goût du pouvoir, des ors de la république et des grosses berlines à chauffeur.
L’enfer, c’est peut être les autres, mais les autres, c’est nous. Nous avons toutes et tous au fond de nous cette folie. Qui ne demande qu’à s’éveiller, s’épanouir, s’installer au cœur de notre raison pour tout y soumettre. Pour faire un sort rapide à l’agitation de ces dernières semaines qui a secoué les fondements d’un mouvement politique que nous connaissons bien de l’intérieur : la Firme, ce n’est pas seulement Cécile Duflot, Jean-Vincent Placé et leur conseiller spécial de l’ombre. La Firme, c’est nous toutes et tous. La Firme, c’est l’organisation du pouvoir pour le conquérir et le garder à tout prix. La Firme, c’est l’instrumentalisation et l’organisation du vote pour justifier démocratiquement une prise de contrôle oligarchique. Le vote placé comme unique mode de régulation des conflits finit par tuer la démocratie.
La Firme, c’est le goût de tout un chacun pour l’entre-soi confortable du clan – que ce soit au nom de la pureté idéologique ou des intérêts d’un groupe plus ou moins large. C’est en fin de compte la volonté de puissance qui brouille la perception du réel et amène les intoxiqués du pouvoir à ne plus pouvoir distinguer leur destinée personnelle de celle du monde qui les entoure. L’esprit de la Firme se retrouve aussi chez ceux qui la combattent. Les révolutionnaires qui remplacent les méfaits de leurs prédécesseurs par leurs propres excès. Ou la révolution dévorant ses propres enfants.
Au cœur de cette logique, il y a bien sûr le narcissisme conquérant des capitaines de tout poil, politiques, industriels, culturels, religieux… mais il y a surtout la reddition, la résignation, l’acceptation par les autres des rapports de force imposés. Laisser le pouvoir à ceux qui en abusent, c’est s’en rendre complice. Bien sûr, il y a bien des manières de s’opposer, et on peut lutter autrement que les armes à la main. Mais le culte du vote n’est qu’un dérivatif, une justification souvent hypocrite du rapport de force culturel. Le vrai pouvoir est intérieur, c’est la capacité à se changer soi-même avant d’imposer quelque changement que ce soit au reste du monde. La capacité à l’autolimitation, à la construction collective et au partage des responsabilités est le meilleur antidote au goût du pouvoir.
On peut légitimement garder un fort scepticisme sur les formes des partis contemporains, gangrénés par une culture politique française absolutiste, mais il faut porter au cœur de ces machines uniquement tournées vers la fabrication de candidatures notre idée alternative de la politique. La « politique autrement », dont se réclament un peu trop souvent les écologistes, ne peut se limiter à la revendication d'une hypothétique supériorité morale sur les autres. La « politique autrement », c’est celle qui fait de l’engagement politique le chemin vers l'émancipation du besoin de politique et du besoin d'avoir des maîtres, mêmes démocratiquement choisis.
Edouard Gaudot et Benjamin Joyeux, militants écologistes