Benjamin Joyeux (avatar)

Benjamin Joyeux

Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

Abonné·e de Mediapart

138 Billets

1 Éditions

Billet de blog 6 novembre 2024

Benjamin Joyeux (avatar)

Benjamin Joyeux

Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

Abonné·e de Mediapart

Leçons américaines : pour une joyeuse rupture écologique et sociale

La victoire de Trump est évidemment cataclysmique, une catastrophe supplémentaire dans la longue liste de ces derniers temps. Mais c’est avant tout une défaite démocrate qui doit être l’occasion d’une rupture écologique et sociale clairement assumée face au capitalisme du désastre.

Benjamin Joyeux (avatar)

Benjamin Joyeux

Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ça y est, c’est désormais certain, Donald Trump va retrouver le fauteuil du Bureau ovale à la Maison Blanche après l’avoir quitté quatre ans plus tôt. Et sa victoire à la présidentielle américaine est incontestable, étant largement en avance sur Kamala Harris tant en termes de grands électeurs qu’en nombre de voix, ce que l’on nomme le « vote populaire ». En ce mercredi 6 novembre 2024, une petite moitié des Etats-Unis et des millions de gens à travers le monde ont la gueule de bois.

Illustration 1
De promised land à beauf land © Benjamin Joyeux

Make America beauf again ! 

Comment un milliardaire beauf, raciste, machiste, climato-sceptique, multi-condamné et sans aucune réelle qualité personnelle autre qu’un bagou hors norme, peut devenir à nouveau Président de la première puissance militaire, économique et culturelle mondiale ? Qui plus est après un premier mandat précédemment accompli entre 2016 et 2020 se résumant à des éructations sur Twitter, des baisses d’impôts pour les grandes entreprises, une chasse permanente aux migrants et une régression politique et judiciaire sans précédent du droit des femmes américaines[1] ? Sans parler de la sortie des Etats-Unis de l’accord de Paris sur le climat comme autre décision inconséquente et stupide. 

Son électorat ne peut pas en effet faire valoir « n’avoir jamais essayé » Donald Trump au pouvoir, comme le font souvent remarquer dans notre pays des électrices et électeurs de Marine Le Pen. Il s’agit bien d’un vote assumé, en toute connaissance de cause. Alors faut-il y voir finalement une victoire du milliardaire excentrique et néofasciste ou plutôt une cinglante défaite de Kamala Harris et du camp démocrate ?

Si nous voulons réellement tirer des leçons de cette élection américaine apocalyptique, pour nous ici, en France et en Europe, la seconde hypothèse apparaît bien plus porteuse de sens : la campagne de Kamala Harris, basée essentiellement sur la personnalité de la candidate plutôt que sur un projet politique ambitieux, n’a pas su mobiliser suffisamment les foules. Sur le terrain du match entre personnalités, bien évidemment que le plus charismatique en termes d’outrance, de vulgarité et de provocations finit par gagner la partie, à l’heure de l’hystérisation des débats par les réseaux sociaux, les chaînes d’info en continu et la fabrication industrielle de fake news sous IA et ingérence étrangère.

Sur le terrain politique par contre, c’est l’incapacité des démocrates à porter un vrai projet de rupture, d’écologie et de justice sociale au profit de l’ensemble du peuple américain, et en particulier les millions d’exclu-es de l’American dream, qui est à mettre en priorité sur la table. Sans parler de la géopolitique désastreuse du camp Biden ces derniers mois, ayant laissé le Premier ministre israélien d’extrême droite Benyamin Netanyahou perpétrer un génocide à Gaza et mettre tout le Proche-Orient à feu et à sang en continuant même de lui fournir cyniquement des armes. Sachant également que le bilan économique des quatre années de mandat de Joe Biden, vu bien entendu à travers un prisme libéral[2], était plutôt bon et aurait dû être mis au crédit de Kamala Harris. Non décidément, les démocrates n’ont pas d’excuse, et les prises de position tant du couple Obama[3] que de Bernie Sanders[4] de ces derniers jours, aussi justes furent-elles, n’auront pas suffi à inverser la donne. Et qu’on ne vienne pas mettre sur le dos de Jill Stein[5], l’éternelle candidate écolo ultra-minoritaire (elle rassemble à l’heure qu’il est à peine plus de 600 000 voix, soit 0,4% de l’électorat), la responsabilité de la défaite démocrate.

Non, il est urgent de regarder la vérité en face : en n’assumant pas une véritable rupture avec le statut quo néolibéral actuel pour ne privilégier que le sociétal, oubliant au passage les principales préoccupations des classes populaires, le camp du progrès se condamne à la défaite perpétuelle.

C’est bien là qu’il faut en tirer d’urgence des leçons pour le camp de la gauche, de l’écologie et de la justice sociale en France et en Europe. Alors que la droite n’a plus aucun complexe ni frein pour se montrer radicale, extrémiste et dangereuse, à l’image de Trump et d’ici d’une von der Leyen ou d’un Macron finissant par s’aligner piteusement sur Orbán, Le Pen, Meloni et consorts, dans le camp d’en face il faudrait s’excuser en permanence pour tout : s’excuser de défendre l’égalité pour toutes et tous, pour les femmes, pour les migrant-es, pour les minorités, s’excuser de vouloir taxer les plus riches et en finir avec l’évasion fiscale, s’excuser de chercher à réguler enfin l’économie et rétablir des services publics dignes de ce nom plutôt que d’offrir en pâture à des multinationales toujours plus voraces des pans entiers de notre vie, santé, éducation, transports, etc. S’excuser de vouloir en priorité sauver la planète plutôt que le capitalisme. S’excuser de vouloir faire appliquer le droit international en boycottant clairement des Etats génocidaires. S’excuser de vouloir en finir avec le massacre animal quotidien totalement ubuesque en boycottant l’industrie de la viande et son monde ignoble et morbide…

La rupture, c’est maintenant !

Alors non, plus d’excuse ! L’heure est à la bataille culturelle au sens gramscien du terme. La sociale démocratie et ses timides tentatives de régulation d’un capitalisme apocalyptique de la destruction est une impasse totale. Pour le dire clairement, en France, Cazeneuve ou le retour de Hollande, c’est la quasi-certitude de Le Pen et Bardella au pouvoir en 2027. Il n’y a d’espoir que dans le rassemblement de l’ensemble du camp du progrès humain sur un projet ambitieux de rupture écologique et sociale autour d’un Nouveau Front Populaire, sans aucun complexe idéologique face à tous ces « ingénieurs du chaos » qui pullulent désormais partout.

Et ici, en Haute Savoie, ça se traduit très concrètement par le refus limpide et assumé du monde chaotique de fric et de bétons que l’on continue de nous imposer. Ce n’est pas d’une « nouvelle » autoroute dans le Chablais, d’un collisionneur géant enterré, de canons à neige par milliers, de stations de ski perfusées et de JO d’hiver 2030 fantasmés dont nous avons besoin, mais de logements bon marché, de profs et d’infirmières bien payés, de transports publics bien organisés, de terres agricoles et de montagnes protégées. Bref d’un nouveau projet de société favorable à tous et non au portefeuille de quelques-uns.

Finalement la victoire de Trump, aussi terrible soit-elle, peut aussi être envisagée comme une belle occasion d’en finir avec la crainte de la rupture et de la révolution écologique et sociale nécessaire face à un monde qui s’effondre de toutes parts. Je sais que pour une féministe américaine, un soldat ukrainien ou une famille gazaouïe plus seule que jamais, c’est particulièrement difficile à avaler là, tout de suite, mais avons-nous le choix ?

Comme le disait Churchill (qui était bien de droite) : « Le succès c'est d'aller d'échec en échec sans perdre son enthousiasme. » Alors ne perdons pas notre enthousiasme face à cette longue nuit américaine et relisons les neuf principes gagnants de Popovic dans Comment faire tomber un dictateur quand on est seul, tout petit et sans armes[6]. Peut-être que Trump a gagné, mais l’avenir est à nous.

Benjamin Joyeux

Illustration 2
Dernier passage aux Etats-Unis, New York, janvier 2014 © K. Joyeux

[1] Pour un bilan de son premier mandat, lire par exemple : https://www.lecho.be/dossier/electionsusa/les-annees-trump-bilan-d-un-mandat-hors-norme/10255560.html

[2] Lire par exemple https://www.economist.com/leaders/2024/10/17/americas-economy-is-bigger-and-better-than-ever

[3] Notamment l’excellent discours de Michelle Obama sur la santé des femmes : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/10/30/michelle-obama-le-26-octobre-dans-le-michigan-je-vous-demande-a-vous-les-hommes-de-prendre-la-vie-des-femmes-au-serieux_6367580_3210.html

[4] Voir notamment sur Gaza : https://www.youtube.com/watch?v=Vf5MThSniiY

[5] Lire https://www.francetvinfo.fr/elle-ressent-la-douleur-des-gens-jill-stein-candidate-ecologiste-qui-pourrait-faire-de-l-ombre-a-kamala-harris_6879002.html

[6] Lire https://www.archipel-confluences.org/WikiAdC/?SurLes9PrincipesGagnantsDePopovic

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.