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Ça y est ! Après deux mois de confinement qui nous ont donnés l’occasion d’observer in vivo l’arrêt global de la méga machine techno-industrielle, l’humanité semble repartir de plus belle dans sa course vers l’abîme. Finalement, nous n’aurons offert que quelques semaines de répit à la nature, et le risque est bien aujourd’hui d’accentuer encore davantage qu’avant la crise sanitaire notre pression mortifère sur la biosphère au nom de la lutte contre la crise économique. Oui, vous comprenez bien ma bonne dame, cet arrêt subit de la course à la croissance, à la compétitivité, à la concurrence libre et non faussée, ce coup de frein brutal du système néolibéral global va entraîner une crise économique sans précédent, avec son lot de chômeurs et de fermetures d’usines. Fidèles à la « stratégie du choc » si bien décrite par Naomi Klein, il s’agit de déréguler encore davantage, de supprimer le peu qu’il reste de droits acquis, de services publics, de biens communs, au nom de la croissance et de l’argent, les uniques et derniers dieux de notre civilisation malade. Et les sinistres augures managériales et patronales de nous expliquer la bouche en cœur qu’il allait falloir sans doute désormais renoncer à nos congés payés, à notre temps de travail diminué, à nos droits à penser et à flâner, pour nous enfoncer toujours plus avant tels des Shadocks en état d’ébriété, dans l’idéologie de la croissance infinie sur notre planète aux ressources finies.
Sauf que, nous l’avons vu, les masques sont tombés ! Nous avons vu cette possibilité, inimaginable hier, d’arrêter brutalement la machine infernale, et pour un virus de quelques nanomètres. Nous avons vu que le pouvoir politique pouvait très bien se montrer capable du jour au lendemain d’intervenir massivement dans l’économie en arrêtant des secteurs entiers et en intervenant sur les marchés, à l’écoute des experts de la santé. Nous avons vu que le TINA (« There is no alternative » de Margareth Thatcher) était une fable pour enfant, tout comme le trickle down effect (la théorie fumeuse de « l’effet de ruissellement » nous expliquant que l’enrichissement des riches finit par profiter à tout le monde, jusqu’aux plus pauvres). Nous avons vu que pendant le confinement, les inégalités, déjà insupportables hier, explosaient. Que les « premiers de cordée » continuaient de s’éloigner du commun des mortels pendant que les « premiers de corvée » morflaient encore davantage, que le 16e se réfugiait dans ses maisons côtières tandis que le 93 se tapait un taux de morbidité trois fois plus élevé. Alors ça suffit ! Enough is enough comme dirait un Marcheur à propos des droits sociaux qu’il nous reste encore !
Nous sommes véritablement à la croisée des chemins en cette sortie de confinement, et nous ne pouvons plus nous offrir le luxe de l’attentisme et de la naïveté, tant tous les voyants sont au rouge sombre, ceux du climat, de la biodiversité, des pollutions multiples, des inégalités…
Rosa Luxembourg disait : « L'acte le plus révolutionnaire est une vision claire du monde tel qu'il est réellement.» Et plus près de nous, Jean-Marc Gancille nous invitait à « ne plus se mentir » tandis qu’Aurélien Barrau insistait sur l’urgence d’« être sérieux ».
Et ne plus se mentir, pour un écologiste, c’est de voir et de dire clairement qu’ils savent depuis longtemps. Oui ils savent, les dirigeants de la planète, les chefs de gouvernements, les patrons de multinationales, les traders à haute fréquence, les gens de l’argent, ils savent que nous vivons sous l’ère du capitalisme du désastre et que la planète se meurt, et continuent pourtant d’accentuer l’emprise de l’économie sur nos vies. Ils savent les Trump, les Bolsonaro, les Erdogan, les Poutine… mais également les Macron, Trudeau ou encore Merkel. Car malgré la fable médiatique entretenue de leur féroce opposition, ils continuent tous de promouvoir un même modèle et un imaginaire obsolète basé sur la croissance, la compétition et le règne de l’argent. Certes la forme change, et la sophistication très « aristocratie d’Etat » (comme dirait Bourdieu) d’Emmanuel Macron contraste par exemple avec les éructations vulgaires de Donald Trump. Mais sur le fond, lorsque l’on gratte le vernis des beaux discours et que l’on analyse froidement toutes les lois qui ont été adoptées par la majorité de l’actuel locataire de l’Elysée, on ne voit rien, absolument rien, en faveur des services publics, des communs, des plus précaires, des soignants, rien en faveur de l’écologie, rien en faveur de l’intérêt général, si ce n’est des bons mots pour bercer la populace. Par contre, de la suppression de l’ISF à la flat-tax, des privatisations d’ADP ou de la Française des jeux à la réduction des droits des salariés, de la réforme des retraites à celle de l’assurance chômage, beaucoup est fait pour faciliter la « vie » des grandes entreprises du CAC 40, dans lesquelles, n’ayons pas de doute à ce sujet, une bonne partie des Marcheurs actuels retourneront pantoufler une fois qu’ils se seront pris un retour d’urne dans le nez.
Alors en temps qu’écologistes, ayons enfin une vision claire et passons à l’action : une vision claire consiste tout d’abord à ne pas reproduire l’erreur des socialistes qui, une fois le mur de Berlin tombé, ont pris le chemin de la sociale démocratie et se sont lovés dans les pantoufles du capitalisme mondialisé, le rendant d’autant plus acceptable pour le plus grand monde qu’ils en atténuaient la soudaineté des effets. Cette « tentation de la gestion », appelons-là comme ceci pour rester polis, est traversée aujourd’hui par beaucoup d’écologistes en France et en Europe. Cela a même amené les Verts autrichiens à pactiser avec la droite dure pour être au gouvernement. Face à l’urgence, à la destruction planétaire en court, bien entendu que la volonté d’être enfin aux affaires est plus que légitime. Mais pour quoi faire si ce n’est qu’intervenir à la marge d’un système ? Pour le peindre en vert et donc là encore risquer d’en accentuer l’emprise sur le long terme, en augmentant son degré d’acceptabilité pour les masses ?
Non, définitivement non, si alliances il doit y avoir, car la convergence est urgente et nécessaire, celles-ci ne peuvent se faire que dans le cadre d’un imaginaire totalement renouvelé, et avec le plus grand nombre, avec tout ce que la société civile compte de forces vives ne voulant plus de ce « système » : associations, ONG, syndicats, mouvements sociaux… Des Gilets Jaunes aux personnels soignants en lutte, d’Extinction Rebellion à L214, d’ATTAC aux Coquelicots, d’ATD Quart Monde aux marches de la jeunesse pour le climat. Sans compter tous les individus qui, loin des projecteurs, tissent le monde de demain, dans les écoles, dans les entreprises, dans les AMAP, dans leur jardin … Ces alliances sont beaucoup plus urgentes, nécessaires et porteuses d’espoir que les habituelles alliances d’appareils ne représentant plus grand monde.
Si nous avons été capables d’écouter les experts de l’OMS face au Coronavirus, il est également temps d’écouter ceux du GIEC et de l’IPBES sur le climat et la biodiversité. En février dernier, dans le monde d’avant le confinement, 1000 scientifiques nous enjoignaient déjà de désobéir face à l’urgence climatique. Alors écoutons-les : boycottons les grandes surfaces, la consommation à outrance, les industries extractives, l’agro-alimentaire, l’agrochimie, les nouvelles technologies qui surveillent et qui punissent, la pub ou la télé quand elles nous vendent un imaginaire périmé, refusons la concurrence libre et non faussée, la compétitivité, et les vacances à l’autre bout du monde pour oublier le temps d’un été une vie sans autre projet que celui de la payer.
Oui il est venu le temps de la sobriété, heureuse, solidaire, harmonieuse, retissant la trame de notre vie au sein du vivant plutôt que derrière un écran. Attention, il ne s’agit pas de refuser les progrès de la science et des nouvelles technologies, pour un « retour à la bougie » comme aiment le caricaturer les doxosophes du vieux monde. Bien au contraire, il s’agit de prendre enfin la science au sérieux : arrêter la croissance infinie sur une planète aux ressources finies, arrêter la viande en prenant en compte les derniers travaux en éthologie nous prouvant que la conscience, et donc la souffrance actuelle, sont bien la norme au sein du règne animal, privilégier les outils numériques de partage et de gratuité plutôt que la course à la 5, 6 et bientôt 7G, assurer et faciliter le savoir pour tous en s’appuyant sur les réseaux virtuels plutôt que la généralisation de l’Internet des objets (d’ailleurs quand on nous vend des objets « intelligents », c’est souvent qu’on nous prend pour des cons)... L’observation scientifique de la nature peut tellement nous aider à élaborer le monde de demain, avec le biomimétisme notamment, qu’il s’agit bien d’un nouvel imaginaire, certainement pas d’un retour en arrière. Une nouvelle ère qui nous ferait sortir de l’anthropocène, où les activités humaines sont une force tellurique destructrice nous barrant notre horizon d’espérance en l’avenir, pour entrer dans le « symbiocène » décrit par le philosophe australien Glenn Albrecht : une ère dans laquelle l’humain retrouverait sa juste place au sein de la chaîne du vivant, selon une éthique non de toute puissance mais de responsabilité vis-à-vis de l’ensemble des autres espèces et plus largement de la biosphère.
Pour consolider l’imaginaire de cette nouvelle ère (qui existe déjà partout, mais est encore trop clairsemée sur le territoire), nous avons vraiment besoin d’une écologie de rupture et d’émancipation. Nous n’avons plus le luxe de perdre du temps en des alliances improbables avec quelques-uns des 1% pour obtenir de petites avancées à la marge. Appuyons-nous plutôt sur les 99% qui dans leur très grande majorité arrivent à saturation face au capitalisme de la destruction (il est utile de rappeler qu’avant le confinement des révoltes populaires avaient lieu un peu partout sur la planète).
Alors « le temps est venu » comme le dit Nicolas Hulot, mais « en même temps », le temps est vraiment venu, oui, « de leur botter le cul », comme le précise François Ruffin dans son dernier livre. Il ne s’agit pas de choisir la violence, certainement pas. On ne répond pas par la violence aux violences policières par exemple. La stratégie doit être celle de la non-violence, mais pas celle de refuser la colère, qui est une énergie saine et renouvelable lorsqu’elle est légitime face aux injustices. Non-violence ne veut pas dire refus de nommer ses adversaires, Gandhi, Mandela ou Luther King n’ont jamais émis de doutes à ce sujet. Non-violence signifie stratégie politique amenant son adversaire à renoncer ou à changer face à la légitimité incontestable d’une cause.
Nous connaissons désormais parfaitement nos adversaires et nos alliés potentiels, le coronavirus aura été un révélateur supplémentaire très utile à ce sujet. Nous disposons d’un constat implacable sur l’état de la planète, d’une kyrielle de catalogues de solutions pour y répondre et d’une multiplicité des acteurs qui agissent déjà concrètement sur les territoires pour la transition et le changement d’imaginaire. Alors convergeons et agissons dès à présent là où nous sommes sans attendre les prochaines échéances électorales ou des accords d'appareil ! Il est passé le temps des gestionnaires, il est venu le temps des révolutionnaires de l’imaginaire.