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Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

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Billet de blog 11 mai 2012

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Le changement en politique étrangère, c’est maintenant !

Quelques jours après la victoire du candidat socialiste François Hollande à l’élection présidentielle française, force est de constater, d’ailleurs comme en 2007, que le sujet des affaires étrangères a été très peu traité tout au long de la campagne. Résultat, les citoyennes et citoyens de notre pays ont peu d’informations sur la politique vis-à-vis du reste du monde que veut mener le nouveau locataire de l’Elysée.

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Quelques jours après la victoire du candidat socialiste François Hollande à l’élection présidentielle française, force est de constater, d’ailleurs comme en 2007, que le sujet des affaires étrangères a été très peu traité tout au long de la campagne. Résultat, les citoyennes et citoyens de notre pays ont peu d’informations sur la politique vis-à-vis du reste du monde que veut mener le nouveau locataire de l’Elysée. Or les premiers grands rendez-vous du nouveau Président Hollande sont justement internationaux : le G8 les 18 et 19 mai à Camp David, près de Washington, le sommet de l’Alliance atlantique à Chicago les 20 et 21 mai et le Conseil européen à Bruxelles juste après, le 23 mai. Réunions auxquelles il convient d’ajouter le très important sommet de la Terre à Rio de Janeiro, le fameux Rio + 20, du 20 au 22 juin prochain, qui sera l’occasion pour le nouveau Président français de rencontrer les dirigeants des pays émergents. Ce sommet fondamental pour l’avenir de la planète n’a d’ailleurs pas du tout été mis en avant durant la campagne présidentielle, excepté par la candidate des écologistes Eva Joly.

Le nouveau président de la République va être attendu au tournant sur ce sujet fondamental des affaires étrangères, part d’ombre du champ démocratique de la cinquième république. Et il ne pourra pas se permettre le luxe de décevoir, comme a pu malheureusement le faire en son temps François Mitterrand. Alors voici quelques éléments de réflexion à porter au débat:

Une nécessaire démocratisation de la politique étrangère française (dont la fin de la Françafrique)

Les affaires étrangères ont une place à part dans l’histoire de la Ve république, une place quelque peu « adémocratique », faite de « domaine réservé », de diplomatie parallèle, de Françafrique, bref de sujets pour lesquels le peuple français n’a que peu droit à la parole, laissant toute latitude à son « monarque républicain » pour le laisser seul (avec quelques conseillers plus ou moins influents bien sûr, telle la Cour à Versailles) décider de la voix de la France dans les affaires du monde. Parfois le monarque sait entendre ses concitoyens, tel Jacques Chirac refusant la guerre en Irak de l’Amérique de Georges W. Bush, soutenu par une immense majorité de l’opinion, parfois il n’en fait qu’à sa tête (par exemple le même Jacques Chirac reprenant les essais nucléaires en 1995 sous les critiques de l’opinion internationale). Côté socialiste, lorsque François Mitterrand est élu en 1981, il nomme Jean-Pierre Cot ministre délégué chargé de la Coopération et du Développement. Opposé à une vision de subventionnement corrupteur des pays africains par la France, celui-ci est partisan du codéveloppement. Il se voit alors très vite obligé de démissionner dès 1982, le président Mitterrand souhaitant perpétrer les très mauvaises habitudes prises depuis le Général de Gaulle de s’ingérer dans les politiques intérieures des anciennes colonies africaines de la France, ce dans le sens des seuls intérêts d’entreprises françaises comme Elf, quitte à soutenir des potentats locaux au détriment des droits des peuples. A ce propos, le 14 février dernier, Laurent Fabius, en pleine campagne de François Hollande, a été reçu à Libreville par le dictateur gabonais Ali Bongo, fils du despote Omar Bongo, imposé au pouvoir en 2009 par le biais d’un « coup d’État électoral ». Il a souligné les « excellentes » relations existant entre la France et le Gabon, souhaitant « qu’elles se développent dans le futur ». Sans vouloir se livrer d’emblée à un procès d’intention, cela peut tout de même légitimement inquiéter et semer des doutes sur la volonté de certains au PS de rompre définitivement avec la Françafrique, surtout de la part de celui que l’on pressent bientôt au Quai d’Orsay.

Nicolas Sarkozy quant à lui, alors qu’il nous avait promis une « rupture » en 2007, pour une France devenue « république irréprochable », dans laquelle « tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et les dictatures » verraient « la France être à leurs côtés » (discours de victoire de Nicolas Sarkozy au soir du 6 mai 2007), les liens avec les présidents dictateurs africains par exemple comme Sassou Nguesso ou Ali Bongo n’ont fait que perdurer. Pire, des soupçons graves pèsent sur le financement par Kadhafi de la campagne de Sarkozy de 2007. On peut revenir également sur la gestion calamiteuse du début du Printemps arabe, où le Président Sarkozy s’est montré incapable de prendre la juste mesure de ce qui était en train de se dérouler sur la rive sud de la Méditerranée. Il s’est ensuite précipité sur le cas libyen, engageant la France sans guère de temps de réflexion sur la suite à donner. Pour faire oublier les relations incestueuses passées, pour donner de lui une image de présidentiable, Sarkozy s’est laisser aller à la « diplomatie people », laissant le philosophe de salon Bernard Henri Levy parler au nom de la France au Conseil national de transition libyen. Or, si le dictateur a fini par tomber, des centaines de mercenaires de Kadhafi et des milliers d'armes sont disponibles aujourd’hui aux plus offrants, forts nombreux dans une région gangrénée par le trafic de drogues, d'armes ou de migrants. Le tout ne pouvant qu'amplifier la déstabilisation du pays. Que n’a t’on été capable d’anticiper ? Cette diplomatie française des « coups » médiatiques et des relations avec les « people » n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux internationaux et de l’image de la France.  

Les relations internationales devraient être considérées comme un sujet beaucoup trop sérieux pour être dépendant d’une seule personnalité que l’on choisit à la tête de l’Etat. C’est pourquoi nous écologistes réclamons la fin du domaine réservé et la réelle participation du Parlement dans la prise de décisions en matière internationale. Qu’il décide d’un engagement extérieur de ses forces armées comme en Afghanistan, qu’il veuille revoir ses différentes alliances avec ses partenaires, qu’il reçoive un chef d’Etat controversé, tel feu le colonel Kadhafi ou Denis Sassou Nguesso, le Président de la République ne devrait pas être en mesure de le décider seul sans l’aval des citoyens, représentés à minima par leurs députés et sénateurs. Cela permettrait également la fin de certaines diplomaties parallèles qui entachent notre réputation de « patrie des droits de l’homme ». Ca pourrait être ça, une présidence « normale ».

Il est grand temps de faire entrer notre pays dans le XXIe siècle, en permettant enfin à la démocratie de s’exprimer avec la fin du domaine réservé. Quand les hommes n’y suffisent plus, il faut que les institutions viennent palier leurs manquements. Il faut en finir avec la realpolitik, car les diplomaties occidentales ont d'énormes responsabilités sur les conflits actuels du fait qu'au nom d'intérêts « nationaux », nous avons trop souvent laissé proliférer des dictateurs et des terrorismes et laisser des régions entières imploser. La paix dans le monde est un bien commun parmi les plus précieux, ne pouvant être bradé sur l'autel de la cupidité.

Une fois cela fait, la France pourrait être à l’initiative pour parler haut et fort à la communauté internationale.

… pour être à l’initiative d’une autre architecture internationale

A l’échelle internationale, le monde de 2012 n’est plus du tout celui de 1945. Il ne s’agit plus de continuer à se positionner par rapport à Yalta ou Bretton Woods, mais d’être capable de proposer un système de gouvernance garantissant la paix tout en prenant en compte la réalité des puissances émergentes. Dans un monde devenu multipolaire, avec l’émergence de ces nouvelles puissances, mais également avec la crise écologique gravissime qui, du réchauffement du climat à la raréfaction des matières premières et à la perte de la biodiversité, entraine l’humanité et la planète entière vers sa possible disparition, les affaires internationales sont un sujet majeur. Nous écologistes avons tenté d’en parler pendant cette campagne, par exemple à l’occasion d’une remise en cause du droit de véto français au conseil de sécurité de l’ONU. Que n’avait-on pas suggéré ? Au delà des caricatures habituelles concernant les écologistes, le monde d'aujourd'hui est devenu multipolaire. N'en déplaise aux anciens empires coloniaux comme la France, nous assistons à la montée en puissance de pays émergents, tels que l'Inde ou encore le Brésil, qui réclament à juste titre une réforme des institutions internationales pour une meilleure représentativité des équilibres géopolitiques actuels. Mais surtout, on le voit bien en Syrie où Bachar Al-Assad continue de massacrer son peuple sous le regard impuissant de la communauté internationale, il faut pouvoir parfois passer outre le droit de véto au Conseil de sécurité. A cause des vétos de la Russie et de la Chine, les Nations Unies ont montré une nouvelle fois (après les massacres en ex-Yougoslavie, le génocide rwandais, les atteintes au Droits de l'Homme commises en République Démocratique du Congo, en Tchétchénie, à Gaza, au Sri-Lanka, etc.) leur impuissance à empêcher que des crimes contre l'Humanité soient réalisés par des gouvernements en place.

C'est pourquoi les écologistes proposent une réforme en profondeur du Conseil de sécurité de l'ONU avec une meilleure représentativité de sa composition afin de prendre en compte la montée en puissance des Etats émergents et de plus grandes capacités à faire appliquer les résolutions onusiennes (vis-à-vis des territoires palestiniens notamment, alors que l'actuel gouvernement israélien continue sa politique illégale de colonisation ou le maintien en détention dans des conditions effroyables de milliers de prisonniers politiques palestiniens). L’objectif à terme serait un abandon du droit de véto, arme surannée qui finit par se retourner contre les peuples. Il s'agit tout simplement de se donner les moyens d'appliquer tous les grands textes internationaux qui protègent les êtres humains et leur environnement mais qui restent encore aujourd'hui lettre morte faute de volonté politique. Les fameux objectifs du millénaire pour le développement par exemple (les fameux OMD), qui se donnaient comme objectif d’éradiquer la pauvreté sur la planète en 2015, que sont-ils devenus ? Depuis la crise financière de 2008, ils semblent être passés totalement au second plan, à l’image de la lutte contre le réchauffement climatique. 

C’est pour tout cela que nous portons la vision d'une réforme en profondeur de l'architecture internationale, pour prendre en compte cette nouvelle donne, avec la remise au centre du dispositif institutionnel international des Nations Unies profondément réformées. Il convient également d’engager à terme la dissolution des G8 et G20, organisations informelles à très faible légitimité démocratique qui pourtant décident aujourd'hui en sus et place de l'ONU. De même, l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale devraient voir leurs règles soumises aux normes internationales sociales et environnementales des instances onusiennes, telles l'OIT (Organisation internationale du Travail), l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) ou encore l'UNESCO. La France doit enfin porter haut et fort la création d'une Organisation mondiale de l'environnement, en cours de formation actuellement, qui soit une institution internationale dotée de réels pouvoirs de coercition, notamment à l'encontre de multinationales ou d'Etats qui se rendraient responsables de pollutions majeures. Ce dernier point devra être concrétisé lors de la Conférence de Rio + 20 de juin prochain. Sur tous ces sujets, le nouveau Président ne peut pas se payer le luxe du statut quo et de manquer son rendez-vous avec l’Histoire.

… et d’une planète enfin débarrassée du feu nucléaire

Et que dire de la force de frappe nucléaire de la France. Alors que cette arme n'est plus aujourd'hui opérante, obérant le budget militaire et étant de plus en plus critiquée par les militaires, la classe politique continue à défendre ce mythe qui empêche l'armée de s'adapter aux nouvelles formes de conflit.

La question fondamentale de la prolifération nucléaire, on le voit notamment avec l’Iran, fait peser sur l’humanité toute entière le poids d’une menace apocalyptique en totale contradiction avec la nécessaire prise en compte des générations futures. Que le Président de la République française cesse d’être le VRP du nucléaire civil pour au contraire être à l’initiative avec ses corolaires européens d’une reprise des négociations sur le désarmement global paraît être bien plus une politique réaliste et digne de la France que celle menée jusque là par Nicolas Sarkozy. Surtout avec des Etats-Unis qui, sous l’égide de Barack Obama, demandent depuis 2008 la réouverture de négociations sur le sujet. Des années 60 aux années 90, avec le Traité de non prolifération (TNP-1968), puis SALT1 et SALT2 en 1972 et 1979, puis START 1 et START2 en 1991 et 1993, la communauté internationale prenait pleinement conscience du risque énorme de la prolifération des armes stratégiques. Un certaine relâchement a été observée depuis. Le Président Hollande a pleinement vocation à reprendre l’initiative sur le sujet.

Plutôt que de se draper dans les oripeaux surannés d’ancienne puissance impériale, comptant encore sur son arme nucléaire pour faire entendre sa voix, la France aurait mieux à faire en renouant clairement avec sa vocation première, celle que lui confère l’histoire, défendre partout où elle le peut, et clairement, sans double discours ou choix à la carte, les droits humains, auxquels elle ajouterait le défi majeur de notre siècle, la défense de l’environnement. Etre à l’initiative pour répondre à tous les nouveaux défis peu abordés par la classe politique française actuelle, écologistes exceptés : raréfaction des matières premières et des énergies non renouvelables (pétrole en premier lieu), crise alimentaire, diminution des ressources en eau potable, dérèglement climatique entrainant l’élévation du niveau de la mer et des mouvements massifs de population (les « réfugiés climatiques ») ou encore inégalités économiques entre les peuples. En cherchant à répondre à ces défis plutôt que de courir après des chimères, la France y retrouverait plus surement cette « grandeur » dont tant de gens semblent aujourd’hui être nostalgiques.

Tout cela ne se fera certainement pas en un jour, mais avec François Hollande élu, il s’agit de mettre tout de suite en œuvre le changement en matière de politique étrangère, car sur ce sujet comme sur les autres, l’état de grâce risque bien de ne pas durer. Alors comme le dit la dernière couverture de l’hebdomadaire Politis : « dépêchons-nous de rêver ».  

Benjamin Joyeux

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