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Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

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Billet de blog 16 mars 2020

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La politique au temps du Corona : tous interdépendants et TINA n’existe pas

A l’instar de L'amour au temps du Choléra, la célèbre œuvre de Gabriel Garcia Marquez, puisque nous sommes toutes et tous confinés à la maison, nous avons désormais le temps de nous poser et de réfléchir à la politique au temps du Corona. Et deux premières leçons paraissent ressortir de cette période inédite :

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- l’ensemble du vivant, dont nous faisons partie, est interdépendant, et il est urgent d’en tirer toutes les conséquences.

- TINA n’existe pas, les dogmes et soi-disant vérités intangibles d’hier n’ont pas résisté une seconde à l’épreuve de la pandémie. Un autre monde est donc non seulement possible, mais surtout urgent et nécessaire.

Nous sommes lundi 16 mars 2020, et pour la première fois de notre histoire, nous sommes toutes et tous confinés chez nous, invités à réduire au strict minimum nos déplacements et interactions sociales, ce pour au moins les trois prochaines semaines. Un virus apparu en Chine en novembre 2019 et mesurant entre 400 et 500 nanomètres a été capable en quelques semaines de se propager sur l’ensemble du Globe et de menacer toute l’humanité. Issu d’un pangolin ou d’une chauve-souris, quels que soient les avis scientifiques, une chose semble quasi certaine :  le Coronavirus, ou Covid19, serait né sur un marché aux animaux de Wuhan.

A l’instar d’Ebola, du SRAS, et même du VIH, de nombreux virus dangereux sont apparus ces dernières décennies en provenance du monde animal, et en particulier des animaux sauvages. Or ces derniers n’y sont absolument pour rien, comme le rappelle le remarquable article de la journaliste Sonia Shah, paru très opportunément dans Le Monde diplomatique de ce mois-ci. Ce sont la déforestation et la destruction accélérée de nombreux habitats naturels dues aux activités humaines ayant entraîné une cohabitation inédite entre l’humain et certaines espèces qui semblent bien être à l’origine de toutes ces maladies et de cette dernière pandémie. Et malheureusement, celle-ci risque bien de ne pas être la dernière si nous n’envisageons pas d’urgence une nouvelle façon d’interagir avec les autres espèces et l’ensemble du vivant.

Ainsi la première leçon politique à tirer du Coronavirus peut être celle-ci : nous sommes toutes et tous interdépendants au sein du vivant. La façon dont on traite un individu d’une espèce particulière en un endroit de la planète peut entraîner de multiples bouleversements à l’autre bout de celle-ci. Les scientifiques ne cessent de nous le rappeler quotidiennement, mais nous devons comme toujours être confrontés à un danger mortel pour ouvrir enfin les yeux. Si cette crise sanitaire n’est au final qu’une mise entre parenthèses avant de reprendre de plus belle notre exploitation criminelle du vivant sur l’autel de notre confort individuel, nous n’aurons de nouveau rien compris. Massacrer 60 milliards d’animaux terrestres et 1000 milliards d’animaux marins chaque année pour nourrir l’humanité, détruire les habitats, déforester à tout va, bétonner la nature pour se déplacer, vendre, acheter et consommer… tout ceci est de la folie et finira par entraîner notre perte, à plus ou moins long terme. Nous aurions besoin en fait d’une nouvelle déclaration universelle, une déclaration d’interdépendance, pour reformuler notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 sur de nouvelles bases. Pour y inclure l’ensemble du vivant et des autres espèces afin de cesser de les détruire pour les respecter enfin et leur reconnaître une valeur intrinsèque.

Il faudrait déjà que l’ensemble de l’humanité bénéficie des droits intangibles qui nous paraissent aller de soi en nos contrées, comme la liberté d’aller et de venir. Liberté que l’on refuse aujourd’hui aux exilés syriens, afghans, yéménites… qui fuient la guerre et s’entassent actuellement dans des conditions insoutenables à la frontière turquo-grecque. Que deviennent-ils eux face au Coronavirus ? Ils sont notre honte, notre trahison collective des idéaux européens de droits et de liberté que nous prétendons défendre. Les traiter comme nous le faisons aujourd’hui constitue la funeste promesse de détruire demain nos propres droits au nom d’une sécurité illusoire. Le Contrat Social de Rousseau commençait ainsi : « L’homme est né libre et partout il est dans les fers ». La situation n’a guère réellement changé pour des millions d’êtres humains sur cette planète. Il est donc urgent d’envisager un nouveau contrat social global prenant acte de notre interdépendance et réenvisageant de fond en comble notre rapport à autrui et notre place parmi les autres espèces.

La deuxième leçon immédiate à tirer du Coronavirus est que TINA n’existe pas. Vous savez, le fameux « there is no alternative » de Margaret Thatcher qui s’est propagé comme idéologie officielle depuis presque 40 ans parmi la quasi-totalité de nos dirigeants. Croissance, concurrence libre et non-faussée, libre-échange comme dogme indépassable accusant toute pensée alternative de dérive autoritaire (alors que tout le monde s’accommode de l’autoritarisme chinois tant qu’il favorise le monde des affaires), annihilation des services publics au nom de la « bonne gestion » … Les vérités intangibles d’hier n’auront pas résisté à la panique de la pandémie. Tant et si bien que le Président français Emmanuel Macron, un des principaux représentants actuels de TINA, se retrouve aujourd’hui, dans une inversion idéologique aussi subite qu’ironique, à défendre à la télévision le service public de la santé et la nécessité de privilégier la sécurité sanitaire sur l’économie, « quoi qu’il en coûte ».

Alors pourquoi ce qui est possible pour le Coronavirus ne le serait pas dès demain pour la crise climatique et la destruction planétaire en cours ? Ce que révèle cette terrible crise qui peut s’avérer au final positif pour chacun d’entre nous est que non, TINA n’existe pas, et que oui, tout est possible ! On peut freiner d’un coup l’économie et l’ensemble des activités humaines quand il faut préserver l’essentiel. Et quoi de plus essentiel que la vie sur Terre ? 

Finalement, ce que nous démontre cette pandémie, c’est que toutes celles et ceux qui dénonçaient depuis des décennies la course folle de l’humanité vers l’abîme au nom de l’économie de marché (écologistes, altermondialistes, antispécistes, partisans de la décroissance, etc.) étaient sans doute finalement les plus raisonnables de notre temps. Les idéologues qui pérorent à longueur de temps sur les ondes sur la nécessité de la course à la compétitivité et à la croissance au nom du bien-être collectif sont désormais nus et démasqués. Alors faisons preuve dès aujourd’hui de résistance en restant confinés chez nous, de résilience en ne succombant pas au désespoir et de bienveillance vis-à-vis de nos proches, en particulier les plus fragiles, mais gardons cette vérité dans un coin de notre tête :

« Pour croire en une croissance infinie sur une planète aux ressources finies, il faut soit être fou, soit être économiste » (Kenneth Boulding)

Sachons nous en souvenir demain, que cette pandémie nous serve au moins utilement de leçon.

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