* A lire également sur https://lecolodesmontagnes.fr/2024/09/16/derriere-le-faux-match-ruffin-melenchon-les-charognards-de-la-laicite/ *
Ça a bien occupé nos éditocrates de salon parisien tout le weekend : le soi-disant match Ruffin-Mélenchon, reprenant l’antienne fausse mais tellement utile pour le camp conservateur des « deux gauches irréconciliables » mises en avant par Manuel Valls, qui avait rejoint depuis longtemps le camp de la droite. Il faut dire que les propos de François Ruffin tirés de son dernier livre, "Itinéraire. Ma France en entier, pas à moitié" n’aident pas à l’union à gauche. Mais à sa décharge, quand Jean-Luc Mélenchon traite de « fachos » les journalistes de Quotidien[1], il n’aide pas non plus à la réconciliation et à la tenue sur le long terme du Nouveau Front Populaire.
Une fois qu’on a dit ça, et qu’on est resté bloqué sur l’écume des vagues, à personnaliser toujours le débat politique au lieu de se préoccuper de ce qui se joue réellement, est-ce qu’on a fait avancer le schmilblick ? Absolument pas ! Tout ceci ne sert qu’à entretenir la machine politico-médiatique dominante, de plus en plus encline à normaliser l’extrême droite et à délégitimer la possibilité que la gauche et les écologistes parviennent un jour au pouvoir. La manœuvre est pourtant grossière et se voit comme « un éléphant dans un magasin de porcelaines », quand on titre sur les divisions à gauche alors que pendant ce temps, un Premier Ministre sans aucune légitimité démocratique (son parti a fait 4,27% au premier tour des législatives de juin dernier) s’installe à Matignon par le fait du prince Macron avec l’aval du Rassemblement National, dont pourtant près de deux tiers des Français ont refusé dans les urnes l’accession au pouvoir.
Ne pas jouer les idiots utiles
Alors qu’est-ce qui se joue derrière ce « duel » Ruffin-Mélenchon ? Il se joue en fait deux conceptions de l’universalisme, dont l’une est surtout une fabrication idéologique des idiots utiles du RN que sont les « escrocs de la pensée » si bien décrits dans le dernier numéro de Politis[2]. L’hebdomadaire y démontre en effet avec force comment le Printemps républicain et ses alliés ne cessent d’influencer le champ politico-médiatique en caricaturant à dessein les luttes antiracistes et en entretenant notamment l’amalgame permanent qui fait de toute critique de la politique coloniale israélienne un antisémitisme inavoué. En lisant Politis, vous y apprendrez comment Laurent Bouvet, issu du parti socialiste et décédé en 2021, à l’origine du Printemps républicain et qui a théorisé « l’insécurité culturelle » à gauche, sert d’excuse et de colonne vertébrale idéologique aux instrumentalisateurs professionnels de la laïcité que sont les Caroline Fourest, Raphaël Enthoven, Gilles Clavreul, Sophia Aram, Eric Naulleau et consorts, qui ne cessent à longueur de journaux, d’émissions de radio et de plateaux tv de dénoncer le soi-disant « communautarisme » des Insoumis et de leurs alliés.

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Cela fait des années que ces éditocrates polluent le débat public à coups d’anathèmes, d’arguments d’autorité et de terrorisme intellectuel, en se réclamant de la « gauche » mais en ne s’appuyant sur rien d’autre que leur propre à priori, sciemment nourris par des médias et des réseaux de plus en plus avides de clashs. Que savent-ils des recherches académiques et universitaires réelles sur les racismes, les luttes intersectionnelles[3], la pensée décoloniale, notamment l’écologie décoloniale de Malcolm Ferdinand[4], etc. ? Rien, ou pas grand-chose si on les écoute, jetant sur toute lutte féministe, antiraciste, antispéciste… un soupçon de communautarisme dès qu’elle est issue ou qu’elle parle des quartiers populaires. L’antisémitisme est également instrumentalisé en permanence pour tuer dans l’œuf toute critique, pourtant on ne peut plus légitime en ce moment, de la politique coloniale israélienne et du génocide en cours à Gaza, invisibilisant sciemment au passage toutes les multiples critiques israéliennes et de la diaspora juive qui existent sur la politique de Netanyahou et de l’extrême droite au pouvoir à Tel Aviv[5]. L’important est bien évidemment de tout amalgamer pour faire croire que l’antisémitisme serait à gauche et dans les quartiers populaires à dominante musulmane, oubliant au passage qu’historiquement, et au moins depuis l’affaire Dreyfus, c’est principalement à l’extrême droite que l’antisémitisme, comme tous les autres racismes, prend racine et prospère. Evidemment qu’existe un antisémitisme nauséabond extrêmement ancré chez les fous furieux salafistes et djihadistes qui constitue un véritable danger pour notre vivre ensemble et notre sécurité collective. Mais il n’est pas l’apanage des quartiers populaires, sauf à essentialiser des populations entières de notre pays en niant au passage la question sociale, ce qui là pour le coup est du racisme, n’en déplaise à nos éditocrates !
Pour une universalité réelle
Depuis la Haute-Savoie, quand je compare la différence avec la Suisse voisine, je perçois parfaitement à quel point les dés sont pipés et le débat instrumentalisé en France (ou plus précisément à Paris) sur le conflit israélo-palestinien. A Genève, un politique pourtant classé bien à droite comme Mauro Poggia[6] ou une célèbre journaliste comme Romaine Jean[7] peuvent se permettre de critiquer ouvertement le gouvernement israélien pour lancer le débat sans avoir à subir de procès en antisémitisme. On imagine mal, et c’est bien dommage, un Gérald Darmanin ou une Léa Salamé dire la même chose.
A force de se gargariser de laïcité et d’universalité « à la Française », nous avons oublié au passage que non seulement nous étions une ancienne puissance coloniale (pas si ancienne si on regarde objectivement la situation actuelle scandaleuse en Kanaky[8]) à l’inconscient collectif encore profondément raciste, mais également un pays traumatisé par sa propre Collaboration qui, par une culpabilité historique aveuglante et instrumentalisée, se montre incapable aujourd’hui de tenir un discours de fermeté face à un gouvernement israélien pourtant indéfendable.
L’universalité républicaine, celle du triptyque « liberté, égalité, fraternité » et de la laïcité de la loi de 1905, si elle veut être réelle et effective pour l’ensemble du peuple français, doit se nourrir de toutes les études universitaires nationales et internationales sur les luttes antiracistes dans leur complexité, pour une vision inclusive et non excluante de notre démocratie républicaine, loin des instrumentalisations de l’extrême droite et de ses idiots utiles des médias mainstream. Les débats incessants sur le voile et la laïcité dissimulent bien mal notre cécité de pensée et notre médiocrité collective sur notre universalisme républicain, qui pour être réel doit être cosmopolite, ouvert et bienveillant, à l’image de la sublime cérémonie d’ouverture des JO de Paris de cet été.
Voilà tout ce qu’il y a à déconstruire et à débattre derrière le pseudo duel Ruffin-Mélenchon. Pour moi, le premier se trompe sur le fond, en opposant comme le fait le Printemps républicain deux notions qui doivent au contraire se compléter. Il risque à ce jeu de s’ostraciser et de nourrir à son corps défendant les idiots utiles du RN. Alors que nous avons besoin de lui. Le second se trompe sur la forme, en brutalisant parfois de façon plus que nécessaire le débat public sur des sujets complexes réclamant calme et pédagogie. Alors que Mélenchon s’était montré si brillant en posant enfin sur la table le concept nécessaire à notre temps de « créolisation »[9] et que nous avons besoin de lui. Bref ces deux-là doivent se parler rapidement loin des plateaux télé si prompts à diviser pour aider à maintenir à flots le Nouveau Front populaire dans la tempête réactionnaire en cours.
Quant à l’écologie qui est ma famille politique et idéologique, celle-ci défend depuis toujours la protection de la biodiversité. Par extension, elle ne peut que s’inscrire dans la lutte contre toute les hiérarchies et dominations (dont bien entendu les massacres ignobles en cours à Gaza), entre les êtres humains et avec l’ensemble des espèces. Elle prône donc un universalisme véritable incluant toutes les luttes pour les droits humains, féministes, antiracistes, décolonialistes, LGBTQIA+, altermondialistes, animalistes… en les additionnant plutôt qu’en les saucissonnant. Elle a vocation à réconcilier Ruffin et Mélenchon en passant par Glissant[10], ou par l’écologie pirate de Fatima Ouassak[11] pour prendre une référence plus récente. Restons « unis dans la diversité » comme le clame l’idéal européen méritant mieux que la seule économie de marché et refusons de nous laisser prendre en otage par tous les charognards de la laïcité.
« Pourquoi une nation ne pourrait pas être constituée d’ensembles de cultures qui sont en relation, sans s’éteindre ni se diluer ? C’est pour ça que je suis contre le mot “intégration”. » Edouard Glissant
Benjamin Joyeux

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[1] https://video.lefigaro.fr/figaro/video/du-balai-les-fachos-lance-melenchon-aux-journalistes-de-quotidien/
[2] https://www.politis.fr/articles/2024/09/aurelien-bellanger-le-printemps-republicain-est-lidiot-utile-du-rn/
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Intersectionnalit%C3%A9
[4] Voir https://shs.cairn.info/publications-de-Ferdinand-Malcom--134022?lang=fr
[5] Lire notamment https://agencemediapalestine.fr/blog/2024/09/10/un-appel-juif-international-contre-le-genocide-a-gaza/
[6] Lire https://www.blick.ch/fr/news/opinion/la-chronique-de-mauro-poggia-de-la-riviere-a-la-mer-douleur-et-haine-id19881533.html
[7] Voir par exemple https://www.linkedin.com/posts/romainejean_insupportable-les-enfants-de-gaza-qui-ont-activity-7175509274649874434-aUUC/?originalSubdomain=fr
[8] Lire https://www.amnesty.fr/actualites/kanaky-nouvelle-caledonie-troubles-droits-du-peuple-autochtone-kanak
[9] Lire par exemple https://www.slate.fr/story/216753/creolisation-concept-edouard-glissant-marotte-jean-luc-melenchon-france-insoumise