Alors que les restrictions de liberté et les mesures de quarantaine commencent à être assouplies dans de nombreux pays au fur et à mesure de l’avancée des campagnes de vaccination, les autorités du Kirghizistan ont choisi leur propre voie pour lutter contre la pandémie de Covid 19 par le biais d’une racine de plante de montagne très présente sur place et présentée comme un remède miracle : l’« Issyk-Kul » ou racine d’aconit en Français.
Un remède présidentiel
Vendredi 16 avril, lors d’une conférence de presse surréaliste et très commentée depuis, le Ministre de la santé Alymkadyr Beishenaliev a bu en direct devant des journalistes une décoction à base de racine d’aconit, expliquant doctement : « Ceux qui ont des symptômes légers de Covid 19 peuvent récupérer en un à deux jours s'ils prennent ce médicament, et ceux qui en ont des symptômes sévères se rétablissent dans les trois à quatre jours. » Précisant avoir « déjà guéri environ 300 patients de cette façon », le ministre a indiqué que les essais cliniques du médicament étaient d’ores et déjà menés dans les hôpitaux du pays depuis deux semaines, et que c’était le Président Sadyr Japarov lui-même qui avait personnellement déterminé la composition du « remède miracle » et participé à sa préparation.

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Un remède « mortel »
Fort de son expérience, et soutenu par un ministre de la santé complaisant, le nouveau Président kirghize a donc donné des instructions aux médecins spécialistes des maladies infectieuses dans les hôpitaux sur la meilleure façon d'utiliser l'aconit dans le traitement contre la Covid 19. La situation prêterait à sourire si le pays n’avait pas à affronter une troisième vague de pandémie particulièrement virulente qui met les hôpitaux kirghizes sous très haute tension. Sans compter que le remède « miracle » s’avère en réalité dangereux :
La racine d'aconit est en effet une plante très toxique, et des experts locaux estiment qu'un tel « traitement » peut s’avérer fatal. C’est notamment l’avis de Bermet Baryktabasova, expert médical au Centre de développement des soins de santé à Bishkek, pour qui le traitement promu par le Président Japarov constitue une « attaque contre la médecine dans notre pays ». Les médias Kirghizes ont par ailleurs écrit par le passé sur de nombreux cas de décès par empoisonnement dus à la racine Issyk-Kul.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a quant à elle critiqué le 15 avril dernier la promotion faite par les autorités kirghizes de ce remède à base d’aconit, rappelant de façon diplomate qu’« un médicament qui n'a pas passé d'essais cliniques ne peut pas être homologué et recommandé pour une utilisation généralisée par la population ».

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Le Président Sadyr Japarov est arrivé au pouvoir en janvier dernier suite un soulèvement populaire porteur d’espoir pour le Kirghizistan, petit pays d’Asie centrale constituant un ilot démocratique, certes imparfait mais bienvenu dans une zone qui en compte bien peu. Avec cette séquence, le nouveau chef d’Etat kirghize semble suivre malheureusement la voie des satrapes de la zone, comme son homologue turkmène Gourbangouly Berdymoukhamedov qui a lui généralisé les fumigations d'harmal, un arbrisseau censé être doté de vertus médicinales incontestables, pour lutter contre la Covid 19.
Plus que jamais la pandémie semble susciter des vocations chez certains politiques, de médecin virtuel, mais en l’occurrence ici, et malheureusement pour le peuple kirghize, de dictateur réel.
Jenishbeck Edigeev, journaliste kirghize basé à Genève
Benjamin Joyeux, journaliste indépendant