Ce 21 septembre, le "Manifeste des écologistes atterrés" est sorti en librairie. A quelques semaine de la conférence de Paris sur le climat et alors que le parti de l'écologie politique en France, EELV, fait plus parler de lui pour ses divisions et ses désertions que pour ses propositions susceptibles de sauver la planète et le climat, nous avons voulu (Edouard Gaudot, Lucile Schmid et moi-même) faire le constat de ce qui empêche l'écologie d'émerger réellement comme force politique, tant en France qu'en Europe et à l'international.
Ce petit opus cherche à offrir un horizon et un imaginaire désirable pour l'écologie politique, qui mérite sans aucun doute mieux que ce que l'on peut lire au fil des articles de presse ces jours-ci.
*Disponible en librairie et à commander en ligne:
http://www.fr.fnac.be/a8801454/Lucile-Schmid-Manifeste-des-ecologistes-atterres
Lire également:
http://www.bastamag.net/Le-manifeste-des-ecologistes-atterres
Un extrait ci-dessous:
« Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique. »
Charles Péguy
En France, l’écologie est un paradoxe. Sa résonance sociale et culturelle est en expansion : de plus en plus de mouvements sociaux, d’ONG, d’associations et de simples citoyens se montrent attentifs à la défense de l’environnement face au dérèglement climatique et à la dégradation accélérée de l’ensemble des ressources naturelles provoquée par les activités humaines.
On compte des centaines de milliers voire des millions de Françaises et de Français plus ou moins engagés, du jardinier du dimanche préservant sans Roundup1 son coin de nature à l’entrepreneur se lançant dans les énergies renouvelables, du zadiste intransigeant au consommateur bio exigeant, de l’ami des bêtes militant au cadre d’entreprise lanceur d’alerte...
Quelques chiffres illustrent l’ampleur des initiatives. La Fédération France Nature Environnement regroupe 850 000 adhérents dans plus de 3000 associations. La Ligue de Protection des Oiseaux, du médiatique Alain Bougrain-Dubourg, comprend 45000 adhérents. La section française du WWF (World Wild Fund) compte 190 000 donateurs. Sans oublier les 70 000 donateurs de la Fondation Brigitte Bardot, cette ancienne actrice qui se distingue tant par son amour du cheval que par son rejet du musulman. Plus d’un million de personnes ont déjà cliqué sur le site de la fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, se déclarant être « engagées pour la planète ». Ils étaient plus de 700 000 électeurs, ainsi qu’une écrasante majorité de candidats à la présidentielle de 2007, à avoir signé le fameux « Pacte » de l’ancien animateur vedette de la télévision. Bref, si l’on comptabilisait tous les membres, bénévoles et adhérents, qui ont donné au moins une fois à des associations et organisations de défense de l’environnement en France, on arriverait quasiment au nombre d’habitants de ce pays.
Face à cela, combien d’adhérents compte aujourd’hui le parti politique français revendiquant le quasi monopole de l’écologie, Europe Écologie-Les Verts ? Moins de 10 000. Étonnant non ? Christine Boutin, par exemple, la pasionaria catholique, reven- dique environ 20 000 membres pour son mouvement totalement inconnu, le Parti chrétien-démocrate. Même si cette dernière peut gonfler ses chiffres, multipliant les adhérents comme Jésus les pains, il n’empêche, les chiffres sont têtus : il y aurait aujourd’hui en France deux fois plus de catholiques identitaires encartés que de militants de l’écologie politique ? Ce constat interroge.
Prendre le parti de l’écologie n’est pas une chose naturelle, lié à des intérêts économiques ou sociaux évidents. Adhérer à un mou- vement écologiste, c’est une démarche personnelle, effectuée sur la base de convictions acquises et non pas héritées ou imposées par un entourage professionnel ou familial. Les militants écolo- gistes sont des « convaincus ».
Ainsi la principale force des partis écologistes repose sur leur cohérence, leur capacité de conviction, leur réseau militant - ce qu’un ami cher, Benoît Lechat, disparu au début de 2015, appelait un « parti-centaure » : soit un parti combinant un fort pouvoir des militants (à la différence des partis de masse et avec des ratios très bas entre nombre de membres et nombre d’électeurs) et l’émergence d’un appareil de plus en plus professionnalisé.
À ce problème de structure, il faut ajouter celui de l’absence d’un réel mouvement social écologiste unifié et identifié, à la différence des formations politiques à large assise populaire, comme les partis hérités de la société industrielle. Une formation politique entièrement constituée de « convertis », c’est-à-dire d’individus en démarche personnelle est nécessairement plus étroite et plus fragile qu’un grand parti de « travailleurs » ou qu’un mouvement qui prétend défendre les intérêts des petites entreprises ou des professions libérales. Quelques entrepreneurs verts éparpillés sur un territoire économique national dominé par les modèles économiques établis relèvent de la goutte d’eau sur une pierre sèche.
L’incapacité à forger des liens de solidarité et d’intérêts convergents avec les populations rurales et les agriculteurs est une illustration supplémentaire de cette fragilité. Elle contraste d’ailleurs avec la force relative des Grünen allemands ou autrichiens, appuyés sur de petits mais solides réseaux industriels verts et agricoles biologiques, ou bien avec les succès modestes mais réels des alliances « fermiers et verts » dans les pays baltes, jusqu’à l’élection en juin 2015 d’un écologiste à la présidence de la République lettonne.
Ce manque de « mouvement social » est une fragilité congéni- tale qui pèse sur tous les partis écologistes, d’Europe et d’ailleurs. Sans racines ni relais durables dans la société réelle, limités aux réseaux d’activistes déjà engagés, ces mouvements politiques re- posent entièrement sur l’énergie et l’implication de leurs membres.
La sociologie verte est restreinte. Ingénieurs, économistes, uni- versitaires, fonctionnaires, enseignants : les CSP+ dominent. Et en France le montant de l’adhésion à EE-LV, très élevé, le confirme : c’est un engagement lourd et total. Le parti compte de 7000 à 10 000 membres, dont la moitié seulement sont considérés comme des adhérents actifs et impliqués. Ce n’est plus un mouvement, mais un petit village d’irréductibles Gaulois qui ont le sentiment d’être cer- nés de tous côtés par un ennemi aux visages multiples : élus corrom- pus, médias complices, lobbies tout-puissants... La radicalité de la remise en cause du système prônée par les militants écologistes provoque le vertige devant la tâche immense à accomplir.
Petit « colibri », selon la métaphore de Pierre Rabhi, qui fait sa part mais rêve de résoudre toutes les crises, il y a du Sisyphe chez le militant de l’écologie politique. Qu’il faut donc imaginer heureux, selon la formule d’Albert Camus. Mais le courage et l’abnégation, l’engagement et la force de conviction n’empêchent pas la fatigue ni le sentiment de solitude face à l’ensemble du système. Le réflexe de défense devient vite une attitude de défiance. Paranoïa, sectarisme, fermeture, obsession de la pureté idéologique qui seule permettrait de fonder la confiance : il n’est pas rare que l’accueil réservé aux nouveaux arrivants d’un groupe local combine une certaine méfiance à un examen brutal de radicalité politique.
Combien sont-ils à avoir été un jour membres des Verts français ? Les chiffres tournent au gré des fantasmes et des argumentaires qu’ils justifient, mais ils oscillent entre 70 et 100 000 sur les vingt-cinq dernières années. Les raisons de ce spectaculaire turn-over sont plus profondes que la simple « fatigue militante » qui caractérise le citoyen moderne, selon l’expression des sociologues.
Certes, rejoindre un groupe constitué n’est jamais une affaire simple. Que ce soit à l’échelle d’un nouvel élève dans sa classe ou d’un repas de famille pour la nouvelle copine du fils préféré, le nouveau venu passe toujours un examen. Personnalité, humour, conformisme... la capacité d’intégration est une gymnastique exigeante. Et même au sein du jury le plus indulgent se cache im- manquablement l’aigri de service, déguisé en juge d’Allemagne de l’Est pour mettre des notes salées à tous les concurrents. Chez les écologistes, cet examen approfondi des convictions peut parfois prendre des allures de recrutement religieux.
La peur de la dilution, le rapport très monopolistique au programme et aux idées défendues cristallisent des comportements individuels qui confinent très vite au sectarisme, et affaiblissent encore plus sûrement l’émergence d’un mouvement social écolo.
Il fut un temps où les écologistes prônaient « la politique autrement », mais comme le constate la philosophe Isabelle Stengers, le problème de ces partis alternatifs c’est qu’ils sont pour la plupart incapables de s’appliquer à eux-mêmes les principes qu’ils défendent pour tous.
Il faut reconnaître que dans la forme, les partis écologistes perdent vite de vue la hauteur de leurs objectifs affichés. « Une condition primordiale pour aboutir à la promotion d’une nouvelle conscience planétaire résidera donc dans notre capacité collective à faire réémerger des systèmes de valeurs échappant au laminage moral, psychologique et social auquel procède la valorisation capitaliste uniquement axée sur le profit économique. La joie de vivre, la solidarité, la compassion à l’égard d’autrui doivent être considérées comme des sentiments en voie de disparition et qu’il convient de protéger, de vivifier, de réimpulser dans de nouvelles voies... » Souvent cité, rarement compris, l’auteur de cette belle définition, Felix Guattari, pensait l’écologie dans sa globalité.
Il n’était pas contre sa formalisation politique par la voie des urnes, et figura même sur la liste des Verts d’Île-de-France aux élections régionales de 1992... l’année de son décès. On se retiendra bien sûr d’y voir une corrélation funeste, mais disons-le tout de go : cette précoce révérence lui aura probablement évité de constater à quel point l’idée qu’il défendait de l’écologie politique aura difficilement survécu aux pratiques de ceux qui s’en réclament.