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Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

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Billet de blog 27 juin 2016

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J'ai fait un rêve européen

Le vote du Brexit de jeudi dernier vient nous confirmer une évidence: le divorce entre les peuples européens et leurs élites est plus que consommé. Alors arrêtons les frais, et passons enfin de l'Europe ordo-libérale à marche forcée à un rêve européen partagé:

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Tout ou presque a été dit sur le Brexit et sur les raisons de ce vote, apparaissant pour la majorité des commentateurs partout en Europe comme profondément irrationnel. C'est principalement la peur des migrants qui aurait fait voter les classes populaires britanniques contre l'Union européenne, et celles-ci risqueraient de bientôt le regretter. Quel que soit le degré de réalité de ce constat, cette petite musique me fait penser à celle que jouaient les commentateurs français en 2005 suite à la victoire du non au référendum sur la constitution européenne: les gens ne savent pas ce qui est bon pour eux! Nos élites éclairées sauraient, elles, ce qui est bon pour le peuple et pour l'Europe et il faudrait éviter de trop demander son avis à la populace qui se trompe de cible et ne vote jamais pour les bonnes raisons en ce qui concerne la construction européenne. Le parcours personnel du commissaire européen britannique démissionnaire depuis le vote du Brexit Jonathan Hill est particulièrement instructif. Membre du parti conservateur britannique issu du clan des plus eurosceptiques, il devient en 2014 commissaire européen en charge de la stabilité financière et fait l'expérience concrète de l'aventure européenne. Deux ans plus tard, alors que son pays choisit de sortir de l'UE, mister Hill lui se déclare « très déçu de ce choix ». Autre exemple, des enquêtes menées auprès des étudiants ayant bénéficié du programme Erasmus ont montré que le taux parmi eux d'électeurs eurosceptiques et partisans du repli national était quasiment nul. Personnellement, après quatre années d'expérience professionnelle au Parlement européen, je comprends mieux comment fonctionne ce sentiment de la part de toute la classe bureaucrato-politique européenne ayant l'impression de travailler dans l'intérêt et l'avenir de l'ensemble du continent et voyant référendum après référendum, vote après vote, les peuples d'Europe rejeter ce qui leur apparaît pourtant comme une nécessité (et pourtant j'ai voté non au référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005, et si c'était à refaire, je revoterais la même chose, parce que je ne veux toujours pas graver dans le marbre institutionnel des politiques économiques ordo-libérales). C'est là que résiderait le cœur de l'équation européenne? Il faudrait en faire l'expérience concrète, physique, pour en comprendre la nécessité? Alors c'est quoi la solution, Erasmus pour tous?

Et si plutôt on arrêtait d'abord de caricaturer les choix des électeurs en refusant de regarder la réalité en face: l'Europe est un rêve de géant porté aujourd'hui par des nains politiques. Le rejet de l'UE telle qu'elle est perçue n'est pas un problème de manque de pédagogie et de compréhension de la part des classes populaires, c'est un problème politique: l'Europe actuelle, à l'image de la plupart de ses États membres, n'est pas suffisamment démocratique, et elle ne répond pas aux attentes de la majorité des peuples qu'elle prétend servir. Alors cessons les jérémiades européistes, et faisons plutôt toutes et tous valoir notre rêve européen. Parce que le statut quo n'est plus possible, et que cette idée qui commence à circuler (plus de trois millions de signataires) pour redemander de voter sur le Brexit est dangereuse. Les élites européennes doivent arrêter de refaire le match à chaque fois qu'une consultation démocratique ne leur plaît pas, car c'est le meilleur carburant des populistes europhobes à la sauce Marine Le Pen.

Alors juste pour contribuer au débat, voici mon rêve européen:

Je rêve tout d'abord d'une Europe généreuse qui, respectueuse de ses engagements, de ses devoirs et de son histoire, de la Convention de Genève à la Charte des droits fondamentaux de l'UE, ouvrirait ses frontières à tous les réfugiés de la planète. Cette UE accueillerait sans sourciller tous les êtres humains fuyant les guerres et la misère, en Syrie, en Irak, en Érythrée, en Afghanistan et ailleurs, et ouvrirait des voies légales sûres avec un objectif on ne peut plus clair: zéro mort à ses frontières, sous peine de sanction. Ceuta, Melilla, Lampedusa, Calais, ne seraient plus que de tranquilles stations balnéaires pour les vacances de familles européennes enfin débarrassées de deux idées néfastes et complémentaires, le racisme et la culpabilité par rapport aux réfugiés. Les États membres de l'UE quand à eux auraient l'interdiction totale de vendre des armes à l'étranger, en particulier aux régimes non démocratiques qui oppriment leur peuple et fabriquent les réfugiés de demain (combien d'armes françaises vendues à l'Irak de Saddam Hussein dans les années 80 sont aujourd'hui entre les mains de Daesh par exemple?). A l'instar de la Statue de la Liberté au large de New York, une Statue de la Solidarité serait érigée au large de la Méditerranée, en guise de phare d'espoir pour tous les opprimés à travers le monde.

Je rêve ensuite d'une Europe généreuse avec elle-même et ses peuples, en se fixant comme autre objectif chiffré la lutte contre toutes les inégalités et l'éradication totale de la pauvreté sur l'ensemble du continent. Cette UE mettrait en place un SMIC européen, un revenu d'existence pour que chacun puisse disposer du minimum vital et d'un revenu maximum pour que personne ne puisse vivre dans une opulence matérielle indécente totalement incompatible avec les exigences écologiques. Il n'y aurait plus aucun sans abri sur l'ensemble du continent et les Européens, libérés de la peur de la précarité, pourraient enfin se consacrer à des activités utiles pour le bien commun.

Je rêve d'une Europe où l'économie serait au service des peuples, et non l'inverse, qui arrêterait enfin avec la dictature des chiffres pour en revenir à la démocratie des lettres : une Europe qui en finirait avec ses dogmes ordo-libéraux dévastateurs, comme les 3% de déficit budgétaire ou la primauté du règlement des dettes sur la vie elle-même, et qui ferait primer les droits humains, sociaux et environnementaux sur la concurrence libre et non faussée; une Europe qui irait chercher les milliards d'euros planqués dans les paradis fiscaux pour les redistribuer au profit de chacun et qui parallèlement mettrait en place une vraie taxe sur les transactions financières pour financer la transition énergétique et des politiques sociales susceptibles d'en finir avec le cancer du chômage et du déclassement; une Europe qui abandonnerait enfin les traités imbéciles, TAFTA, CETA, et cætera, pour promouvoir une Organisation Mondiale de l'Environnement dont les règles de protection de la planète s'imposeraient sur les règles commerciales de l'OMC.

Je rêve d'une Europe tournée totalement vers l'avenir et la transition écologique au profit de chacun, qui selon l'adage, comprendrait qu'on hérite pas la planète de nos parents mais qu'on l'emprunte à nos enfants. Cette Europe serait débarrassée des énergies du passé dangereuses pour le climat et l'environnement, fossiles et nucléaires, au profit de la sobriété énergétique et du tout renouvelable, et elle en finirait avec les grands projets inutiles et coûteux comme un aéroport à Notre Dame des Landes ou un tunnel ferroviaire entre Lyon et Turin. Elle se servirait des nouvelles technologies pour faciliter cette transition et démocratiser nos choix sur nos ressources plutôt que pour surveiller et précariser la population. Son agriculture tournerait définitivement le dos au productivisme et aux agro-industries qui détruisent les sols, les emplois et la qualité de notre bouffe pour tout miser sur le bio et l'agriculture vivrière de proximité. Des millions d'emplois dans l'agriculture seraient créés partout en Europe, et nos assiettes, et notre santé qui va avec, reprendraient des couleurs.

Je rêve d'une Europe où la sécurité ne serait pas assurée au détriment des libertés, mais constituerait au contraire leur meilleur protection. Où le terrorisme et la violence seraient combattus par une police et une justice européenne, avec un parquet et des services de renseignements européens parfaitement coordonnés qui ne surveilleraient pas tout le monde mais uniquement les individus dangereux, et où l'état d'urgence n'aurait pas sa place.

Je rêve d'une Europe concrètement utile pour nous tous, qui nous faciliterait la vie, en nous fournissant une carte européenne de sécurité sociale valable sur tout le continent et nous garantissant partout gratuité et qualité des soins, que l'on soit dans un hôpital grec, britannique, suédois ou français, adossée à une vraie citoyenneté européenne donnant les mêmes droits et les mêmes devoirs à chaque citoyen européen sur l'ensemble du territoire de l'UE. Cette Europe créerait également un Erasmus pour tous qui bénéficierait tant aux étudiants, qu'aux apprentis, aux chômeurs, aux ouvriers, aux femmes et hommes au foyer, à tous les Européens qui feraient physiquement l'expérience du cosmopolitisme et rejetteraient une bonne fois pour toute les chimères nationalistes et xénophobes qui ont tant endeuillé le continent les siècles passés. Cette Europe pourrait avoir également une sacrée belle équipe de football qui ferait vibrer en cœur 500 millions de personnes lors de la Coupe du Monde.

Je rêve enfin d'une Europe démocratique, où tout le monde aurait le sentiment de pouvoir participer, où les élections au Parlement européen deviendraient le rendez-vous politique majeur du continent, avec des candidats qui feraient campagne à cette échelle et des médias qui parleraient enfin d'Europe; où les classes politiques nationales cesseraient de rejeter leurs impérities sur Bruxelles et l'UE mais assumeraient enfin leurs choix; où une Commission légitimée par le choix démocratique des élections européennes deviendrait un instrument politique au service de l'intérêt général européen et non plus une armée technocratique et gestionnaire à la solde du plus petit dénominateur commun des États nations et des intérêts de la finance et des lobbies les plus puissants; où enfin on sortirait des traités actuels pour faire des prochaines élections européennes de 2019 une constituante, pour refonder l'Europe sur de nouvelles bases démocratiques, écologiques et solidaires, compréhensibles pour tous et favorables au plus grand nombre.

Bref, je fais un rêve européen et je suis certain que nous sommes des centaines de milliers à le partager, même si certains ne le savent pas encore. Alors allons-y, battons-nous pour nos rêves et démocratisons l'Europe avec toutes les bonnes volontés, comme les écologistes européens ou le mouvement DiEM25 de Yanis Varoufakis. Martelons que nos rêves sont plus réalistes que celles et ceux qui croient encore en la possibilité d'une croissance infinie sur une planète aux ressources finies. Et peut-être que si nous commençons collectivement à les mettre en œuvre plutôt que de continuer la marche forcée contre les peuples qui mène tout droit vers l'abime populiste, dans dix ou quinze, les Britanniques voudront revenir dans la famille européenne. En attendant, celles et ceux qui restent auront enfin de bonnes raisons de se sentir Européens.

*Pour aller plus loin:

Petit exercice d'imagination européenne avec Edouard Gaudot pour la Fondation de l'Ecologie politique:

http://www.fondationecolo.org/paris-climat-2015/sommaire/Comme-l-Europe-le-climat-c-est-moi

Publicité pour un ouvrage d'avril 2014 parfaitement d'actualité:

http://www.lespetitsmatins.fr/collections/leurope-cest-nous/

Et pour 2017, plutôt que de regarder en France le match infantile des impétrants en leur réclamant les super pouvoirs qu'ils n'ont pas, faisons une campagne présidentielle sur l'Europe:

https://reporterre.net/La-peste-soit-de-l-election-presidentielle

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