Depuis la loi du 18 mars 2003, le Code pénal condamne le racolage passif et actif, et le racolage public a été transformé en délit et non plus en contravention. Cela ne freine guère le Président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez dans sa danse du ventre de plus en plus assumée vis-à-vis des chasseurs. C’est ainsi qu’en octobre dernier, les fédérations départementales de chasse de la région ont eu la bonne surprise de recevoir de sa part un courrier (photo ci-dessous) constituant une véritable déclaration d’amour et une attaque en règle, entre injure et diffamation, des écologistes, qualifiés de « minorité agissante, idéologisée et jusqu’au-boutiste ».
« Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait Talleyrand. Donc le racolage électoral de Laurent Wauquiez vis-à-vis des chasseurs pourrait simplement prêter à sourire tant il s’avère grossier et caricatural. Pourtant, face au constat plus qu’alarmant de l’état de la biodiversité en 2022, tout ceci est véritablement lamentable !
L’effondrement du vivant
Le vivant est en train de s’effondrer sur la planète à un rythme et une échelle absolument gravissimes et inédits. Ce constat, désormais connu de presque toutes et tous, est établi et amplement renseigné par les scientifiques du monde entier depuis des années. Entre 1970 et 2018, en moins d’un demi-siècle, les effectifs de plus de 32 000 populations de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté des deux tiers, comme l’explique très clairement le rapport 2022 du WWF[1]. Cet effondrement constitue un danger réellement existentiel à court terme pour l’humanité. Donc pour nous toutes et tous, maillons de la chaîne du vivant, malgré des croyances encore vivaces, pour le coup d’une majorité « idéologisée», pensant encore l’être humain comme « maître et possesseur de la nature », indépendant de celle-ci, malgré toutes les études scientifiques démontrant l’absurdité de cette croyance[2]. Le vivant, ce ne sont pas des espèces compartimentées, mais de l’interdépendance perpétuelle, des interactions permanentes entre toutes les formes de vie, issues de millions d’années d’évolution, à la fois complexes et si fragiles. La pandémie de Covid 19 nous a démontré ces dernières années à quel point penser les interdépendances était une question de vie et de mort.
Aucune région du monde n’est épargnée par l’effondrement du vivant, y compris bien évidemment la région Auvergne-Rhône-Alpes. On estime que là aussi, une espèce sur trois y est menacée, si l’on en croit la Dreal (Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement)[3]. La COP 15 sur la biodiversité qui s’est achevée à Montréal il y a quelques jours se veut être « un pacte de paix avec la nature » pour tenter d’enrayer la destruction du vivant par les activités humaines[4]. Dans ce contexte général, défendre de façon inconditionnelle la chasse, tout en insultant les écologistes qui tentent simplement de préserver ce qu’il reste encore de vivant, comme le fait Laurent Wauquiez, apparaît totalement anachronique et outrancièrement électoraliste.
L’esprit de réaction
Dans le courrier du Président de la région AuRA, celui-ci s’adresse aux chasseurs notamment en ces termes : « Vous connaissez nos milieux naturels, notre patrimoine et notre biodiversité beaucoup mieux que ces écologistes venus de la ville et en êtes des acteurs incontournables dans sa préservation et la régulation de nos espèces. » Passons sur la bêtise de l’argumentaire selon lequel TOUS les écologistes viendraient des villes, rhétorique constituant une insulte aux anciennes études de Laurent Wauquiez, dont ses années passées à Normal Sup. Avoir été major de l’ENA et sortir de tels arguments dignes du café du commerce en dit long sur le cynisme du personnage. Au-delà des caricatures, ces propos dessinent surtout un projet politique clairement assumé de la part de celui qui s’imagine un destin national pour 2027. Un projet de bonne grosse droite qui tâche, bien dans la ligne d’un certain esprit du temps, l’esprit de réaction, dont les chasseurs constituent un totem idéologique.
Comme le rappelait dans l’hémicycle de la région AuRA mon collègue Maxime Meyer en juin dernier[5], les chasseurs ont perçu de la part de la région 9 millions d’euros entre 2015 et 2021, et vont recevoir 5 millions de plus dans les années qui viennent. Ce tandis que dans le même temps, les véritables défenseurs de l’environnement et de la biodiversité se voient drastiquement réduire, voire couper leurs subventions, comme France Nature Environnement[6]. Entretenir une clientèle électorale tout en affaiblissant celles et ceux considérés comme des opposants politiques, d’un point de vue purement cynique, pourquoi pas ? Passons sur le fait que dans le contexte d’effondrement du vivant l’urgence de protéger ce qu’il en reste et donc encadrer strictement la chasse semble objectivement relever de l’intérêt général. Pourtant du seul point de vue électoral, aujourd’hui seul un Français sur cinq est véritablement favorable à la chasse[7]. Il s’agit donc bien d’un totem idéologique, parfaitement illustré par cette phrase dans la lettre de Wauquiez : « Bien plus qu’un loisir, la chasse fait également partie de notre culture, de notre histoire et de notre identité. »
Nous y sommes : les chasseurs sont les défenseurs de la culture et de la tradition françaises face à ces écologistes urbains et apatrides, « bobovéganoislamobolchéviques ». En appeler à la tradition pour justifier tous les comportements réactionnaires, voire barbares, est vieux comme l’histoire humaine : esclavage, racisme, discriminations, soumission des femmes, massacre animal… que n’a-t-on défendu comme pratiques injustifiables à travers la planète au nom des « traditions » ? Mais voilà, le calcul ici c’est de chasser sans vergogne sur les terres de l’extrême droite[8], fusil et goupillon à la main, sans peur d’utiliser les arguments les plus grossiers. Trump avec des diplômes et des lettres en fait, ce qui est d’autant moins excusable.
Mais n’en déplaise au Président de la région AuRA, on peut être chasseur sans tomber dans la caricature, et on peut même être chasseur ET écolo, la preuve par ce courrier de Wauquiez transmis par un chasseur choqué par ces méthodes aux écolos de la région.
L’esprit de réaction, voilà ce que veut incarner Laurent Wauquiez en vue de la présidentielle de 2027, lui qui est arrivé en politique dans les bagages de Jacques Barrot, homme de centre droit profondément européen, pas vraiment réactionnaire ni fan de l’identitaire. Si ce dernier voyait son ancien poulain s’acoquiner à ce point avec l’extrême droite et surfer sur l’esprit de réaction, pas certain qu’il l’adouberait sans rechigner. Mais que voulez-vous, Paris vaut bien une messe, en l’occurrence une chasse.
Benjamin Joyeux
[1] Lire https://www.wwf.fr/rapport-planete-vivante
[2] Lire par exemple : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000158417_fre
[3] Lire notamment https://www.radioscoop.com/infos/un-tiers-de-la-biodiversite-est-menace-en-auvergne-rhone-alpes_227921
[4] Lire notamment https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/biodiversite/cop/cop15-biodiversite-aires-protegees-pesticides-aides-financieres-voici-ce-qu-il-faut-retenir-de-l-accord-kunming-montreal_5552970.html
[5] Lire https://ecologieaura.fr/plan-regional-chasse/
[6] Lire https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/en-haute-savoie-des-associations-de-defense-de-la-nature-accusent-les-elus-de-leur-couper-les-vivres_5564613.html
[7] Voir sondage Ipsos : https://www.ipsos.com/fr-fr/seul-1-francais-sur-5-est-favorable-la-chasse
[8] Lire https://blogs.mediapart.fr/benjamin-joyeux/blog/131222/auvergne-rhone-alpes-laboratoire-de-la-derive-de-la-droite-francaise
