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Journaliste indépendant et conseiller régional écolo, écologiste libertaire, altermondialiste et animaliste à tendance gandhienne.

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Billet de blog 30 octobre 2017

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De l'altermondialisme en Macronie

Interview de la co-porte-parole d’Attac Aurélie Trouvé réalisée au sortir de l’université d’été des mouvements sociaux à Toulouse fin août 2017, plus que jamais d’actualité. Ou de l’altermondialisme en Macronie:

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Aurélie Trouvé

Suite au chamboule-tout politique que l'on a observé en France ces derniers mois, le nouveau président Emmanuel Macron et sa majorité, qui ont pu pour certains incarner une volonté de « changement » au moment des élections, semblent aujourd'hui ne plus guère faire illusion en suivant une voie économique néolibérale classique, ayant déjà fait ses « preuves » ailleurs en Europe et dans le monde. Face à ces « vieilles » politiques, même revêtues des oripeaux de la nouveauté, le mouvement social altermondialiste continue de chercher des débouchés pour ses idées, idées de plus en plus partagées par le plus grand nombre mais toujours pas mises en application par les politiques publiques, à l'image de la taxe sur les transaction financières. Le point avec Aurélie Trouvé, co-présidente d'Attac France, rencontrée lors de l'université d'été des mouvements sociaux à Toulouse fin août 2017:

Aurélie Trouvé est ingénieure agronome, maître de conférence en économie à Agrosup Dijon et co-porte-parole d'ATTAC France (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'aide aux citoyens)

Benjamin Joyeux : Attac est sans aucun doute LE mouvement emblématique en France de l'altermondialisme. Comment s'inscrit-il dans le contexte politique actuel, après l'immense chamboule-tout qu’il a connu ces derniers mois et quelles sont vos principales batailles dans les mois qui viennent?

A été élu un Président de la République, Emmanuel Macron, qui pour nous n'a jamais fait illusion. Il a tenté d'incarner le changement et il a réussi pour une partie de la société. A Attac, nous avons toujours considéré qu'il était tout sauf le changement. Emmanuel Macron renforce les dynamiques de libéralisation de l'économie au profit des plus riches, dynamiques qui ont lieu depuis trente ans et qui sont en échec partout du point de vue du bien être des citoyens. Nous, ce que nous essayons de faire, notamment lors de notre université d'été, c'est de montrer que le changement est ailleurs, notamment dans la pluralité et la diversité des mouvements sociaux qui dessinent aujourd'hui à l'échelle locale comme internationale des alternatives au capitalisme financier. Quand se construisent des luttes pour remunicipaliser les services de l'eau, pour lutter contre la construction d'un aéroport à Notre Dame des Landes ou à Europa City dans la région parisienne, c'est une façon de lutter pour la transition écologique et sociale et d'inventer également des chemins hors du capitalisme financier en re-socialisant les richesses. Pour sortir de l'accaparement des richesses par les grands détenteurs de capitaux, les grands investisseurs, les multinationales, pour une véritable transition énergétique et écologique. Ainsi à Attac, on pousse certaines politiques nationales et internationales, mais on essaye également de participer à toutes les expérimentations au niveau local pour que les citoyens prennent part concrètement à ces changements, par les AMAP par exemple, les coopératives, les monnaies locales, tout un tas d'alternatives concrètes qui existent et qui à un moment donné doivent converger pour porter un message d'espoir et de changement. Le changement, ce n'est pas la reproduction du libéralisme économique, c'est plutôt cet autre système qu'on est en train d'inventer au jour le jour dans les mouvements sociaux.

Mais est-ce que toute cette richesse du mouvement social n'est pas vaine si on ne peut jamais obtenir de représentation politique satisfaisante et de traduction concrète dans le champ politique?

Si je reprends les termes d'Antonio Gramsci, pour faire gagner la gauche réelle, il faut d'abord obtenir une hégémonie culturelle qui débouche ensuite sur une hégémonie institutionnelle. Et l'hégémonie culturelle, elle se gagne dans tous les espaces. On a donc besoin aujourd'hui des mouvements sociaux et de leur autonomie pour réinventer la société et permettre qu'un jour arrivent au pouvoir des mouvements qui changent cette société. Nous sommes déjà en train de changer la société par nos façons de faire et nos alternatives locales: monnaies locales, AMAP, coopératives, médias alternatifs, etc. Prendre le pouvoir, ce n'est pas seulement s'inscrire dans un processus électoral mais également se battre dans les mouvements sociaux pour qu'un jour une force politique soit en mesure de mettre en oeuvre une politique réellement de gauche, parce qu'il y aura l'hégémonie culturelle et l'appui de la majorité de la population derrière elle.

Cette politique partant de la base et du local, d'accord, mais pour les combats d'Attac quelle est l'échelle qui vous semble la plus pertinente? Quid de l'Union européenne?

Ce que l'on porte depuis vingt ans dans le mouvement altermondialiste et dans Attac, c'est « agir local penser global ». En l'occurence, nous agissons au niveau national, en se battant contre la nouvelle loi travail par exemple, et à l'échelle internationale, en faisant compagne contre le CETA notamment. Campagne au passage qui est un succès puisque la majorité des députés européens en provenance de la France ont voté contre ou se sont abstenus sur cet accord. Et je pense que le mouvement social a joué un rôle primordial dans ce résultat. S'il avait été le même au sein des Etats membres, nous n'aurions plus du tout le CETA aujourd'hui. On obtient donc parfois des victoires contre des politiques transnationales dangereuses ayant des répercutions à l'échelle locale. A l'échelle la plus grande, mondiale, se pose la question de la refonte du commerce international qui devrait quitter les préceptes de l'Organisation Mondiale du Commerce pour aller vers un multilatéralisme de solidarité. Question complexe mais à ne jamais perdre de vue, car par exemple la question des migrations, si problématique aujourd'hui en Europe, est la question de l'accaparement des richesses au Sud que l'on finit par se prendre en boomerang dans nos Etats européens. Les dizaines de milliers de migrants qui meurent en Méditerranée sont aussi des populations dont on a engendré une pauvreté extrême par nos politiques de prédation de leurs ressources et par des politiques commerciales quasiment uniquement en faveur de nos multinationales du Nord. On ne peut pas échapper à la question internationale. Entre le néolibéralisme économique de Macron et la xénophobie nationaliste de Trump, il faut bien réfléchir à une altermondialisation émancipatrice. Et pour le coup l'altermondialisme n'a sans doute jamais été aussi important que dans la situation politique actuelle.

Est-ce que par exemple Attac défend une Organisation Mondiale de l'Environnement pour contrecarrer l'OMC et les accords de libre-échange?

Pas tout à fait, nous défendons une instance multilatérale sur l'ensemble des secteurs avec une instance arbitrale qui agisse non pas seulement pour faire respecter le droit commercial comme aujourd'hui, mais pour imposer des contraintes liées aux accords sociaux ou environnementaux au même titre que les accords commerciaux. On devrait repartir de ce qui était soutenu par l'économiste Keynes et la délégation britannique au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale dans le cadre de l'Organisation Internationale du Travail et de la Charte de la Havane, et qui avait été rejeté par le congrès américain, un mécanisme international fondé sur la solidarité et qui acceptait le principe de la protection des marchés et de la fixation des prix agricoles. Une position qui disait qu'il fallait des équilibres commerciaux et monétaires et que les institutions internationales devaient agir pour garantir ces équilibres là, sur la base d'une régulation financière internationale. Ils étaient d'ailleurs également pour une taxe sur les transactions financières internationales. Il faudrait évidemment y adjoindre aujourd'hui la question écologique. Keynes n'y pensait pas à l'époque. Ce n'est donc pas une utopie, ça a été un projet très concret, et il faut à nouveau le porter aujourd'hui parce qu'il n'y a pas d'autre issue du point de vue du progrès social et écologique.

Qui représente donc le mieux vos idées aujourd'hui dans le champ politique? 

Nous avons débattu à notre université été de Toulouse avec des responsables d'Europe Ecologie Les Verts, de la France Insoumise, du PS, de Podemos et Izquierda Unidad en Espagne, de Syriza en Grèce ou de Die Linke en Allemagne, sur le rapport entre mouvements sociaux et forces politiques. Là-dessus il faut acter que nous sommes dans une situation politique nouvelle avec un parti de plus en plus en hégémonie à la gauche du PS, la France Insoumise, dont tout un tas de gens qui avant-hier ne militaient pas, et qui aujourd'hui militent pour une bonne part dans le sens de nos idées. Une force politique largement inspirée par ailleurs de ce que l'on a pu faire dans les mouvements sociaux. Alors est-ce que cette force doit dans les années qui viennent absorber tous ces mouvements sociaux ou plutôt travailler en complémentarité avec eux pour arriver aux mêmes objectifs, une hégémonie culturelle et pour ce qui les concerne une hégémonie institutionnelle? Moi je pense qu'il faut cette complémentarité et cet enrichissement mutuel. Il faut travailler ensemble dans la pluralité parce qu'à Attac, il y a des militants Insoumis, mais également des Verts, des militants du NPA, du PC et de bien d’autres partis, des anarchistes, des gens qui ne veulent pas prendre leur carte dans un parti, etc. Mais non je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de gens d'En Marche à Attac !

Durant la campagne électorale, la démarche et le discours se voulant bienveillants et ouverts du mouvement d'Emmanuel Macron, avec sa volonté affichée de dépasser les anciens clivages, ont pu séduire beaucoup de gens par ailleurs fatigués des anciennes organisations, même si aujourd’hui cela ne semble plus faire illusion. Cela ne doit-il pas tout de même interroger l'ensemble de la gauche et du mouvement social sur sa façon de faire de la politique?

La vraie force d'Emmanuel Macron a été d'avoir su incarner le changement. Là-dessus il a su drainer tout un tas de gens qui de mon point de vue n'ont pas forcément compris ce qu'était son véritable projet. Or celui-ci devient de plus en plus clair, la preuve en est que son niveau de confiance dans la population est aujourd'hui au plus bas. La désillusion est train d'arriver. Mais comment a-t'il créé l'illusion? Pour moi cet homme est un prestidigitateur avec un alignement des planètes et toute une série d'évènements politiques qui lui ont permis de se retrouver à la tête de la France, ce qui était au départ difficilement attendu. Par contre, une chose au moins positive est que son élection a clarifié les lignes dans le camp des sociaux-démocrates entre d'un côté les sociaux libéraux et de l'autre ceux qui se cherchent une autre ligne. Face à Emmanuel Macron, la meilleure arme c'est la clarté. Et à Attac il faut être clair: ça m'étonnerait que l'on ait eu beaucoup de nos sympathisants et militants qui aient voté Macron au premier tour parce que pour nous il incarne le coeur de ce contre quoi on se bat depuis 20 ans.

Quel est l'agenda d'Attac pour les mois qui viennent?

Quand on parle du renouvellement des formes de militance, nous essayons d'incarner le changement dans la manière d'agir, mais il faut qu'on arrive à sortir de nos cercles de convaincus. Il y a plusieurs manières de faire, notamment les réseaux sociaux qu'on utilise aujourd'hui massivement. Il y a aussi la désobéissance civile non-violente, que l'on utilise de plus en plus et qui amène aujourd'hui de nouvelles générations, renouvelant les militants, face aux banques et aux multinationales. En fait, dans Attac nous étions engagés historiquement dans les fauchages anti-OGM. Puis on s'est engagé dans les fauchages de chaises avec Alternatiba et d'autres contre l'évasion fiscale des banques. Aujourd'hui, on s'attaque à des multinationales comme Apple, toujours sur la question de l'évasion fiscale. Pour nous, les adversaires principaux restent les multinationales, pas les politiques. Et on utilise la désobéissance civile, et du coup les médias pour faire entendre nos voix. Derrière évidemment il y a un énorme travail de réflexion pour expliquer pourquoi on attaque Apple par exemple. Mais nous essayons d'être maintenant davantage un mouvement de réflexion de plus en plus tourné vers l'action.

Depuis 1997 et l'appel d'Ignacio Ramonet dans le Monde Diplomatique, à l'origine de la création d'Attac, et depuis l'âge d'or s'il en est de l'altermondialisme au début des années 2000, le constat et les propositions sont là. Maintenant qu'il n'y a plus d'élection majeure avant les européennes de 2019, est-ce que ce n'est pas le moment pour le mouvement altermondialiste de s'offrir une vraie visibilité? Parce que presque vingt ans plus tard, vos solutions ne sont toujours pas reprises correctement dans le champ politique.

On nous dit souvent que finalement on va d'échec en échec: réforme des retraites, loi travail, etc. Mais par exemple, prenons la taxe sur les transactions financières: il y a vingt ans, c'était une idée « révolutionnaire » ou « gauchiste » alors qu'aujourd'hui elle est à l'agenda de la plupart des sommets internationaux. François Hollande a mené des négociations avec plusieurs pays européens. Emmanuel Macron a enterré la TTF cet été, la reportant à après le Brexit, autant dire à la saint Glinglin. Nous proposons donc des idées qui apparaissent de plus en plus crédibles, raisonnables, etc. Ca nous l'avons réussi. Après c'est sûr que nous n'avons pas obtenu LA grande victoire, avec telle ou telle mesure pour stopper net l'évasion fiscale grâce au mouvement altermondialiste. Mais en tous cas, nous avons mené le débat de telle manière qu'aujourd'hui des propositions comme la TTF apparaissent de plus en plus évidentes à une large partie de la population. J'espère de tout coeur que d'ici cinq à dix ans, cette TTF existera à l'échelle européenne.
Quand à la question de la dynamique des Forums Sociaux Mondiaux, c'est vrai que ces derniers temps nous avons fait beaucoup d'altermondialisme français et européen, contre le CETA notamment. Mais il s'agit de réinscrire ces combats dans une logique mondiale. Le conseil international du FSM pense qu'il faut renouveler les Forums Sociaux. Et c'est la même chose avec les contre-sommet du G8 et du G20, car la plupart des images que l'on y voit, ce sont des violences policières, pas des discours alternatifs. Il faut également que sur les contre-sommets nous renouvelions la forme des contestations. Nous n'avons pas été assez présents pour le contre-sommet du G8 à Heiligendamm en juin dernier par exemple.
Mon opinion est qu'au niveau national, il faut maintenir de fortes convergences. Je soutiens l'idée d'avoir une université française des mouvements sociaux régulière tous les étés qui soient LE moment de rencontre annuel des mouvements sociaux. Car nous en avons vraiment besoin dans la situation politique actuelle. Ensuite il faudra renouveler les formes des Forums sociaux mondiaux, peut être avec l'idée de la grande marche des sans terres indiens partant de l'Inde et arrivant à Genève en 2020. Le prochain FSM qui aura lieu en mars 2018 à Salvador de Bahia sera l'occasion de répondre à toutes ces questions qui traversent le mouvement social altermondialiste aujourd'hui. Il faut s'appuyer sur un nouveau développement d'Attac en France et dans d'autres pays pour réimpulser avec de nombreuses autres organisations syndicales et associatives l'altermondialisme. Parce qu'il est vrai que nos adhérents sont également là pour ça, pour ne pas réfléchir qu'entre Français aux problèmes du monde. La question des migrations est là pour nous le rappeler: comment on répond tous ensemble à l'horreur de ces milliers de gens qui meurent en Méditerranée? Certainement pas en construisant des murs mais plutôt en réinventant des formes de solidarité à l'échelle internationale. Et pour ça la société civile, celle qui s'organise en syndicats et en association et qui se bat tous les jours pour un autre monde possible, doit se retrouver à l'échelle internationale.

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