Benjamin Stora (avatar)

Benjamin Stora

Historien, professeur des universités

Abonné·e de Mediapart

109 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 novembre 2010

Benjamin Stora (avatar)

Benjamin Stora

Historien, professeur des universités

Abonné·e de Mediapart

L'histoire de la décolonisation au Festival d'histoire de Pessac, novembre 2010

Le festival de Pessacsouligne un paradoxe : moins nombreux que ceux sur l'Algérie, les films sur laguerre d'Indochine sont plus renommés. Décryptage.

Benjamin Stora (avatar)

Benjamin Stora

Historien, professeur des universités

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le festival de Pessacsouligne un paradoxe : moins nombreux que ceux sur l'Algérie, les films sur laguerre d'Indochine sont plus renommés. Décryptage.

Indochine, la guerre redécouverte,

in Sud-Ouest, 16 novembre 2010.


«La fin des colonies »,c'est le thème du 21e festival du film d'histoire de Pessac, qui se poursuitjusqu'au 22 novembre. En toute logique il accorde une grande place aux deuxguerres de décolonisation qu'a connues la France entre 1946 et 1962. L'occasionde constater que, au cinéma comme ailleurs, les guerres d'Indochine etd'Algérie ne laissent pas les mêmes traces. Explications avec Benjamin Stora,historien, spécialiste des relations franco-algériennes, auteur de plusieursdocumentaires et conseiller historique du film « Indochine ».

« Sud Ouest » : Le festival de Pessac programme 11films sur la guerre d'Indochine contre 38 sur celle d'Algérie. Ce déséquilibreest-il révélateur ?

BenjaminStora : Oui. Dans les fictions comme dans les documentaires, la guerred'Indochine apparaît comme un conflit longtemps oublié. Il est coincé entredeux séquences importantes : l'Algérie et surtout le Vietnam, où la guerreaméricaine, plus récente et ayant suscité une mobilisation internationale, a enquelque sorte recouvert la guerre française.

Acontrario, le fait que les deux conflits aient eu lieu sur le même territoire aservi les films sur la guerre d'Indochine. Aux États-Unis notamment beaucoup degens ont souhaité qu'on leur montre ce qui s'était passé avant que n'éclate laguerre du Vietnam. Les films sur l'Indochine sont moins nombreux mais plusprésents dans les esprits. « Indochine », de Régis Wargnier, a reçu l'oscar dumeilleur film étranger en 1993. Auparavant « La 317e section », de PierreSchoendoerffer, avait été primé à Cannes.

Aucunlong-métrage sur la guerre d'Algérie n'a eu un tel retentissementinternational, si l'on excepte « La Bataille d'Alger », de Gillo Pontecorvo,lion d'or à Venise en 1966. On hésite à récompenser des films sur ce thème.Certains, comme « Avoir 20 ans dans les Aurès », « RAS » ou « Le Coup desirocco », ont eu une belle renommée en France mais pas ailleurs.

Comment se fait-il que le cinéma français se soitplus intéressé à l'Algérie qu'à l'Indochine ?

Parce quel'Indochine était une terre lointaine alors que l'Algérie se trouvait del'autre côté de la Méditerranée. Parce qu'il n'y avait que 50 000 habitantsd'origine européenne contre un million en Algérie. Parce que l'Indochine étaitune colonie alors que l'Algérie était un territoire français, comprenant troisdépartements. La guerre d'Indochine a été une guerre coloniale classique, avecun corps expéditionnaire (dans lequel on trouvait d'ailleurs beaucoup decombattants marocains et algériens). Celle d'Algérie a été vécue comme unefracture nationale, impliquant les appelés du contingent et aboutissant à lafin d'une République.

Le seul film programmé à Pessac qui soit contemporainde la guerre d'Indochine est « Le Rendez-vous des quais », qui a été très viteinterdit. A l'opposé, sur la guerre d'Algérie, on trouve quatre fictionstournées au moment des événements. La censure s'était-elle relachée ?

Ces filmssur la guerre d'Algérie sont tardifs. Ils n'apparaissent qu'au début des années60, alors que les négociations avec le FLN avaient commencé. Auparavant cesujet était peu traité et la censure était forte. Mais peu après l'indépendanceon voit apparaître ce que j'appelle des films « elliptiques » : On y parle del'Algérie sans la montrer. Ce sont par exemple « Les Parapluies de Cherbourg »de Jacques Demy ou « La Belle vie » de Robert Enrico. Ils illustrent letraumatisme que le conflit a provoqué en France.

Lafilmographie de la guerre d'Algérie reflète en fait les changements de lasociété française. Dans les années 70 on est dans les soubresauts de Mai 68 etles films ont une nette orientation anticolonialiste : « RAS », « La Question»… Les années 80 opèrent, elles, un retour de balancier et cherchent plus àmontrer les blessures intérieures avec « L'Honneur d'un capitaine » ou « LeCoup de sirocco ».

Depuis lemilieu des années 90, enfin, on observe des tentatives de mélanger les mémoires,de faire un parallèle entre les déchirements d'un côté et de l'autre de laMéditerranée. Je pense par exemple à « Vivre au paradis », de Bourlem Guerdjou.Ce mouvement est favorisé par le fait qu'il est désormais possible de tourneren Algérie. Ça a été le cas pour « La Trahison » ou « Mon colonel », ainsi quepour « Le Premier homme », l'adaptation du roman de Camus qui sortira l'annéeprochaine.

Est-ce une différence importante avec les films surl'Indochine ?

Oui. Entreles années 60 et les années 2000 les réticences des autorités, puis la guerrecivile, empêchent les cinéastes français de tourner en Algérie. Ils ne peuventpas en montrer les paysages. Ils sont dans l'impossibilité de tourner desroad-movies comparables à ceux réalisés sur les guerres du Vietnam et del'Indochine, où l'on sent l'importance de l'environnement naturel : la jungle,l'humidité… À l'inverse, dès le début des années 90 le Vietnam s'ouvre auxétrangers. « Dien Bien Phu » mais aussi « L'Amant » y sont tournés entre 1991 et1992. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les films sur l'Indochineont eu plus de retentissement.

Les deux conflits ont-ils inspiré des films àl'étranger ?

Je ne peuxpas répondre pour l'Indochine, mais sur la guerre d'Algérie, outre « La Batailled'Alger », on peut citer « Les Centurions », film américain de Mark Robson, quilui répond en 1966 en donnant le point de vue français. En Algérie beaucoup defilms défendent des options nationalistes fortes mais on trouve de très bellesœuvres comme « L'Opium et le bâton », d'Ahmed Rachedi, ou « Chronique desannées de braise », de Mohammed Lakhdar-Hamina, palme d'or à Cannes en 1975.Mais ce sont des films que l'on a peu évoqué, ou vu, en France

http://www.univ-paris13.fr/benjaminstora/

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.