J'ai vu, comme six millions de téléspectateurs, le documentaire Apocalypse à la télévision de Daniel Costelle et Isabelle Clarke. Regards épouvantés de femmes jetées sur les routes de France ou de Hollande, soldats de la Wehrmacht pénétrant dans des villes en ruine, enfants apeurés du ghetto de Varsovie, départs avec gravité des soldats français de la gare de l'Est...Et puis, les Stukas qui bombardent, les Anglais qui se préparent à la résistance et le général de Gaulle dans son discours de juin 1940...
On pourrait croire que tout a déjà été dit sur ces drames. Et pourtant une sensation étrange de nouveauté se dégage . Cela ne tient pas au ton, à la voix du commentateur Mathieu Kassovitch mais à autre chose, de beaucoup plus troublant. La nouveauté, c'est la continuité d'images en couleur. Pour l'historien que je suis, toucher à une archive, en l'occurrence ici la coloriser, est vraiment problématique. Qui décide de la couleur des cheveux, ou des yeux, d'une femme qui regarde l'objectif d'un soldat allemand ; des haillons d'un enfant qui lève les bras dans le ghetto de Varsovie ; ou de l'uniforme d'un soldat français jeté sur les routes ? Il y a dans ce documentaire des images tournées en couleur, et des images colorisées aujourd'hui, sans que jamais le téléspectateur ne soit informé de ce passage, de ce va et vient perpétuel.
Ce procédé me trouble : faut-il pour capter, motiver l'intérêt du spectateur, avoir recours à la couleur ? Faudra-t-il, un jour, coloriser les archives des camps de concentration pour que le public puisse encore manifester de l'intérêt pour cette séquence tragique d'histoire ?
Ce travail de colorisation semble aujourd'hui abandonné pour les films de fiction. Le célèbre film, Les tontons flingueurs ressort aujourd'hui dans une version mastérisée, mais en noir et blanc. Ce n'est donc plus la fiction que l'on colorie, mais « le réel » du documentaire, comme si la couleur rendait la guerre plus accessible, plus supportable. Ce débat commence, et je connais désormais de nombreux historiens qui ne supportent plus cette « restitution » de couleurs du réel, au risque de la falsification des archives.