A la veille de son université d’été à la Rochelle, les tribunes, analyses et entretiens se sont multipliés dans la presse (voir par exemple le débat lancé par Médiapart sur les intellectuels et le PS, et les diverses pétitions qui circulent). Je voudrais simplement apporter mon témoignage sur ce que représente ce parti pour une génération, comme la mienne, engagée dans les combats politiques de l’après 68.
Entrant à l’université (de Nanterre) en 1969, l’extrême-gauche,, trotskiste ou maoiste, m’apparaissait comme la seule force capable d’agir sur la société. Le PS alors n’existait pas pour moi. J’étais engagé dans une organisation trotskiste (l’OCI, j’ai raconté le sens de cet engagement dans mon livre La dernière génération d’octobre, Stock, 2003). La vieille SFIO, coupable de bien des maux (en particulier la conduite de la guerre en Algérie) avait disparu au congrès d’Epinay en 1971, et il n’y avait à l’époque aucune trace de présence militante des socialistes à l’université. Le PS apparaît pour la première fois devant mes yeux au moment de l’élection présidentielle de 1974. Giscard est alors élu de justesse. La déception, immense, montre déjà l’attente d’une grande partie de la jeunesse pour la nouvelle formation socialiste. Ce n’est que partie remise, la figure de Mitterrand s’installe dans la vie politique et le PS commence ainsi à intéresser la nouvelle génération de l’après 68. 1974, c’est aussi l‘entrée dans la formation socialiste de Michel Rocard et de ses amis , venant du PSU. Voilà que le PS se montre capable de réaliser une synthèse entre la « deuxième gauche », autogestionnaire « moderne » ; le courant « marxiste » du CERES, dirigé par JP Chevenement ; et le courant « réformiste » qu’incarne des hommes comme Pierre Mauroy ou Pierre Bérévégovy. Il y a là un début de troupes militantes que l’on voit apparaître dans l’espace public et un leader capable d’incarner cette synthèse, F. Mitterrand qui a réussi à se reconstruire une image par un langage très à gauche de contestation radicale du système capitaliste (son action de ministre de la justice pendant la « bataille d’Alger » en 1957 est alors oubliée…..). Quelques futurs jeunes énarques commencent à regarder vers ce parti capable un jour d’aller au pouvoir ; et à l’autre extrémité, les militants trotskistes (dont je faisais partie) vont chercher quelques (rares) militants étudiants pour construire l’organisation syndicale étudiante, l’UNEF. Le PCF semble toujours hégémonique, avec ses milliers d’élus dans des centaines de mairies qui exercent un maillage efficace de la société. Mais il amorce son déclin, ne le sait pas encore…. Le PCF concentre contre lui toutes les attaques d’une jeunesse qui ne supporte plus son arrogance, ses élus transformés en notables, son verbe révolutionnaire ne cherchant qu’à dissimuler son immobilisme, ses pratiques de fonctionnement antidémocratique. Progressivement le PS se transforme en une sorte de laboratoire, d’espace où différentes sensibilités coexistent, anciens trotskistes et nouveaux autogestionnaires, féministes et syndicalistes, leaders étudiants et universitaires…. Logiquement, le PS, avant même son arrivée au pouvoir conquiert l’hégémonie culturelle à gauche. Logiquement, après 1981, des courants organisés quittent l’extrême-gauche, principalement trotskiste (le maoisme français n’existe plus) pour rejoindre le PS. Le petit courant de Julien Dray rentre au PS en 1983 (ces militants fonderont SOS Racisme) ; suivi par le courant de l’OCI de 400 militants adhérant en 1986 au PS, « Convergences socialistes » que j’ai animé avec J.C Cambadélis (je quitterai ce groupe et le PS en 1988 à la suite d’un drame familial) ; suivi, enfin, par le petit courant animé par Gérard Filoche, ancien dirigeant de la LCR. Ces trois groupes seront, à ma connaissance, les derniers à rejoindre, de manière organisé, le Parti socialiste. C’était il y a ….. plus de vingt ans. Aucun des dirigeants de ces groupes n’accéderont à des responsabilités ministérielles, après les retours du PS au pouvoir, en 1988 ou 1997. Entre temps, le PCF a connu une grave crise d’effectifs et a perdu une grande partie de son électorat, qu’une partie de l’extrême-gauche trotskiste a récupérée.
Depuis, le PS, n’a jamais réussi à attirer en son sein des groupes organisés venant de la gauche : écologiste, communiste ou trotskiste…. Il n’a pas, non plus, réussi à coopter ou à garder dans sa direction des militants venant du mouvement social (luttes ouvrières et étudiantes, jeunes des quartiers, antiracistes, ect…). Le concept de « gauche plurielle » a surtout servi à élaborer une stratégie de préservation de positions acquises, en nouant des alliances avec les autres formations de gauche (dans les mairies ou les conseils généraux). Mais pas à faire de ce parti, à nouveau, un espace de réflexion critique, de contestation ou de propositions. L’inclinaison actuelle vers le Modem participe de cette même logique : une recherche d’alliances pour une survie d’intérêt d’appareil….
A mon avis, le PS doit donc se montrer capable d’attirer à l’intérieur de ses rangs, de nouveaux leaders politiques. Sinon, il continuera de s’effilocher, de se disperser. La recherche de « primaires » sans frontières (de tout le « peuple » de gauche) vise à « dissoudre » encore plus ce parti. A mon avis, c’est une fuite en avant qui ne résout en rien la question : à quoi sert désormais le PS, comment peut-il retrouver sa capacité d’attraction, surtout parmi les jeunes générations, qui voit surtout ce parti comme un élément du « système » ; comment peut il préserver son propre héritage historique…..
Benjamin Stora.