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Billet de blog 27 octobre 2009

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L'écriture de l'histoire et les pratiques de pouvoir

Au moment où commence un débat sur « l'identité nationale », je vous communique un entretien paru dans Marianne, il y a quinze jours, sur le rapport entre le pouvoir et l'instrumentalisation de l'histoire.

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Au moment où commence un débat sur « l'identité nationale », je vous communique un entretien paru dans Marianne, il y a quinze jours, sur le rapport entre le pouvoir et l'instrumentalisation de l'histoire.

Question. - En quoi consiste d’après vous, le rapport de Nicolas Sarkozy à l’histoire ? En une juxtaposition de références historiques et de noms célèbres ? Ou dans la construction systématique et volontaire d’une idéologie de rupture ?

B.S. - Le rapport de Sarkozy à l’histoire tient à la recherche permanente de facteurs de légitimation, au travers de la mobilisation de figures historiques, sans attention particulière à la cohérence. Ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il prononcé, à quelques mois d’intervalle, deux discours quasiment antithétiques. Dans le discours de Toulon, en avril 2007, il soulignait les bienfaits de la colonisation pour l’Algérie ; quelques mois plus tard, à Constantine, il faisait entendre une tonalité bien différente, en qualifiant la colonisation d’ « asservissement ». Dans le premier discours, il semblait vouloir complaire aux pied-noirs du Sud de la France ; dans le second - nettement moins médiatisé en France -, il s’efforçait de rencontrer les faveurs du public algérien. Sa démarche vis-à-vis de l’histoire ne semble donc pas répondre à une cohérence idéologique granitique ; elle apparaît plutôt liée à des stratégies à courte vue. Tout se passe comme si, chez lui, l’intérêt pour l’histoire était indissociable de la conquête du pouvoir et des échéances électorales immédiates. C’est en fonction de ces urgences historiques que s’ajustent les discours historiques de Sarkozy ; c’est aussi sans doute la raison pour laquelle, plus de deux ans après le début de son quinquennat, il manifeste un rapport à l’histoire moins étroit et moins intense. On chercherait en vain, dans une telle instrumentalisation, un dessein général ou une vision globale de l’histoire de France. A la limite, chez Jacques Chirac, du discours du Vel D’hiv (1995) au discours de Madagascar (2005), on voyait se dessiner quelque cohérence. Ce n’est pas la même chose chez Sarkozy.

Les condamnations enflammées de la repentance ne renvoient-elles tout de même pas à une cohérence idéologique ?

B.S: Elles ont été omniprésentes, essentiellement dans la phase de conquête de pouvoir. Il s’agissait de réunifier les droites en donnant des gages au segment le plus droitier de l’électorat sarkozyste (souvent d’anciens électeurs de Le Pen). Franchement, aujourd’hui, je ne les entends plus. Une vision mollement consensuelle prédomine. Ainsi, la position que je défends avec quelques autres - la refondation d’un discours républicain sur la base d’une « mémoire métissée » - n’est plus ni attaquée, ni défendue.

Sarkozy est-il aussi éloigné en la matière de de Gaulle que de Chirac ?

B.S: La comparaison avec de Gaulle est complexe. A l’évidence, la démarche « présentéiste » de Sarkozy se distingue nettement du rapport étroit et intime qu’entretenait le fondateur de la Vè République avec l’histoire de France. De Gaulle était pétri d’érudition littéraire : il appartenait à la « graphosphère ». Sarkozy, par contraste, est un enfant de la « vidéosphère » : son rapport à la France et à son histoire est infiniment moins charnel et physique que chez de Gaulle. Mais, comme je l’ai montré dans Le mystère de Gaulle, de Gaulle n’a jamais voulu se couper du mouvement de la société. Il s’est toujours intéressé aux forces vives, à ce qui bouge. L’Algérie est à feu et à sang depuis quatre ans quand, le 16 septembre 1959, lors d’un discours télévisé, il lâche le mot tabou d’autodétermination. Cette « bête politique » a su se montrer moderniste quand il le fallait. Mais en 1968, c’est une autre histoire…

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