Le 25 avril dernier, a été annoncée au CSE de Radio France, la fin de l’émission sur les ondes hertziennes de la radio Mouv’ faute d’audience suffisante. D’après médiamétrie qui réalise les mesures d’audience, la radio n’aurait réuni que 276 0000 auditeur.ice.s entre janvier et mars 2025. Pas suffisant pour "mettre Mouv' à la mode" comme l'évoquait pourtant Laylow dans Spécial en 2021 sur l'album l'Etrange Histoire de M. Andersen et clairement insuffisant pour la maintenir d'après les dirigeant.e.s.

Crée en 2011, le Mouv’ comme il s’appelle à l’époque où Mathieu Gallet, alors président de Radio France, l’intègre à la maison de la radio, était initialement une radio locale toulousaine depuis 1995 qui commencera à rencontrer son public à partir de 2000 sous l’impulsion du Plan Bleu de Jean Marie Cavada (président de Radio France de 1998 à 2004) visant à développer l’offre radiophonique publique sur l’ensemble du territoire français et a fortiori dans les zones rurales. Le Mouv’ récupère alors les créneaux urbains de FIP qui peine alors à trouver son public. Alors dirigée par Marc Garcia, le Mouv’ se veut essentiellement rock et jeune et émettra dans Paris et sa région à partir de décembre 2001.

Son succès reste cependant relatif entre 2008 et 2013 amenant à une redéfinition de la ligne éditoriale à partir de 2015, une fois Bruno Laforestrie arrive à la direction en mai 2014. C’est à cette époque que la station devient Mouv’ et non plus Le Mouv’ et qu’elle prend des allures HipHop sous toutes ses formes: danse, graffiti, rap, djing, beatboxing ou réflexion de fond.
En effet, malgré les différentes tentatives, la radio n’a pas atteint les audiences prévues, le public n’est plus si jeune qu’il était censé l’être (moyenne d’âge à 34 ans à l’époque de l’auditeur.ice moyen.ne), les coûts de productions sont trop élevés ainsi que la masse salariale et la stratégie visant à en faire un “France Inter pour les jeunes” ne semble pas prendre.
Mathieu Gallet souhaite néanmoins maintenir la station et annonce à la commission de la Culture du 7 mai 2015 qu’il lui laisse alors 18 mois pour trouver son public. En 2017, les audiences commencent à monter notamment en Ile de France et les orientations prises satisfont la présidence et les audiences continuent de monter tant sur le web que sur les ondes notamment grâce à des émissions comme l’afterap débuté en septembre 2017 avec Paoline Roy Delaunay, Mehdi Maïzi, Genono, Yerim Sar et Fif de Booska P.
C’est en février 2022 que Mathieu Marmouget remplace Bruno Laforestrie à la direction de la radio. Ancien directeur général de Konbini, il amène sa vision de la radio qui n’est plus définie et présentée comme une radio HipHop mais une radio “jeune”. La majorité des animateur.ices sont remplacé.e.s et les émissions HipHop se réduisent à peau de chagrin.
Les personnalités choisies pour animer les émissions sont celles qui ont “percés” sur internet et les journalistes musicaux historiques disparaissent petit à petit. La tendance prend le pas sur la bonne direction pourrait on dire.
Certain.e.s chroniqueur.euse.s le disent d’ailleurs tout de go, citant leur direction : “Mouv’ n’est plus une radio HipHop mais à destination des jeunes”. Autrement dit, adieu le HipHop bonjour les réseaux sociaux. Pas si étonnant que la radio se destine à devenir exclusivement numérique finalement.
Cette nouvelle orientation amène à une forte croissance de la chaîne sur les réseaux sociaux plus que sur la diffusion hertzienne et s’inscrit aussi dans une logique de réduction des coûts budgétaires imposée par Bercy. En effet, comme chacun.e sait, la fonction publique “coûte un pognon de dingue” et le service public n’est plus vraiment en odeur de sainteté. Depuis l’arrivée de Sibylle Veil à la présidence de Radio France, en avril 2018 et reconduite par l’ARCOM en décembre 2022, le tournant se fait sentir sur chaque chaîne de la station. France Inter, par exemple, voit une de ses émissions phare déprogrammée sans sommation en juin 2023 (le Grand dimanche soir mené par Charline Vanhoaeker) après le licenciement retentissant de Guillaume Meurice pour une blague jugée antisémite et malgré des audiences florissantes.
Le tournant vers la rentabilité pure et dure est donc opéré et comme l’hôpital, l’école ou la protection de l’enfance, c’est au tour de l’audiovisuel de faire preuve d’économie et de rationalité imposée (à la mode capitaliste et libérale : faire de l’argent pas réfléchir surtout). On comprend donc mieux pourquoi le choix a été fait de ne maintenir que deux CDI pour animer cette diffusion numérique. L’objectif est clair : faire des économies et cesser de coûter un poignon de dingue, donc la culture est dans la ligne de mire. Pour rappel, les coupes budgétaires en matière culturelle sont pléthores comme par exemple la région Pays de Loire qui a amputé son enveloppe dédiée de 70%.
D’autant que les jeunes, mieux vaut les remettre au boulot qu’à la réflexion, comme le prône Elisabeth Borne incitant les enfants à se positionner "professionnellement" dès la maternelle, non ?
Bien sûr, ça ne peut pas plaire à tout le monde et l’ambiance dans les couloirs de la radio n’est pas toute rose. On peut même dire que tout le monde est vert. Non seulement, parce que cette perspective semblait annoncée pour fin 2026, mais aurait été “une faute de frappe” (à croire que personne ne relit rien ?), mais surtout parce que la plupart des chroniqueur.euse.s ou animateur.ice.s sont sur la sellette et se questionne sur leur avenir.
C’est donc dans ce contexte complexe qu’un communiqué de presse initié par des médias en ligne estampillés rap que sont : lerapolitique, Rap2cheznous et outro_media, a été émis au nom de “la culture HipHop”. Signé par des acteur.ices médiatiques du milieu rap (essentiellement présents sur les réseaux sociaux), ce communiqué alerte sur “le recul symbolique et stratégique” de cette décision quant à la représentation de la “jeunesse”, de la “diversité culturelle” et de “l’innovation éditoriale”. Jeunesse qui, comme nous l'avons vu, est invitée à se concentrer sur la rentabilité professionnelle et à se détourner de toutes velléités culturelles par les autorités actuelles. Autorité, en charge et en responsabilité de l'institution Radio France dont dépend Mouv'.
Ce collectif qui se dit “concerné” par cette décision tant “personnellement que professionnellement” estime qu’il s’agit d’une “atteinte à la culture” et souhaite “élever la voix face à cet arbitrage” puisqu’iels considèrent que “Mouv’ soutient la création émergente, valorise les voix invisibilisées, informe, éduque et lutte contre la désinformation”, qu’elle est un “pillier du service public”. Le tout sans mentionner la casse du service public opérée depuis 2010 mais renforcée depuis l'arrivée de Macron au pouvoir, ni la rigueur budgétaire générale imposée notamment dans la culture. Résultat, difficile de prendre ce communiqué au sérieux.
D'autant que même si certains points sont tout à fait valides comme la mise en avant de profils moins “connu.e.s” qu’ailleurs comme dans l’émission Moins de 10K d’Anis Rhali et Salif Cissé, d’autres sont plus questionnable.

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Par exemple, le fait que Mouv’ soit une radio HipHop qui valorise cette culture et ses esthétiques, alors que personne ne s’est ému de la disparition de Dirty Swift des ondes, de la déprogrammation de l’émission de Yasmina Benbekaï (danse HipHop notamment) ou celle de Njgiraan Fall (Les gros doss).
Autrement dit, pas très HipHop cette démarche qui se revendique pourtant de cette culture annoncée dès la première slide du post.
Rien non plus sur l’invitation de représentants RN sur cette radio (pas très Hiphop le RN disons le) lors des législatives de juin dernier en pleine campagne et qui avait fait hurler le milieu,
D’autant qu’aucun.e signataire ne se revendique de la culture HipHop puisque toustes ne parlent que de rap et exclusivement de rap. Le rap fait parti intégrante de cette culture, mais ne la résume absolument pas.
Force est donc de se demander ce que signifie réellement ce communiqué et quel est l’objectif puisqu’il s’agit de faire entendre leur voix car cela les touche “personnellement et professionnellement”? D’autant qu’aucun.e journaliste ou chroniqueur.euse.s de Mouv’ n’est signataire du texte… En quoi, cela iimpacte donc la vie professionnelle de ces créateur.ice.s de contenus ? That is the première question.
Poursuivons donc sur les propositions faites puisque si il y a dénonciation, en général, il y a aussi propositions et revendications. Dénonçant “le désengagement progressif” (de qui? De quoi ?) “faute de vision à long terme” (de qui ? De quoi ? De la direction de Mouv’? De la présidence de Radio France ? Du gouvernement ?), le communiqué se contente d’évoquer des “alternatives” possibles comme : “mutualisation des ressources, formats hybrides, partenariats culturels et nouveaux modèles”.
En somme, les auteur.ice.s du communiqué estiment pouvoir donner des leçons de libéralisme aux libéraux en chef ! Mouv’ étant une station de radio France, elle est nationalisée et financée par les impôts du contribuables. En tant qu’instance d’Etat, Radio France mutualise déjà ses fonctions supports comme la RH, ne peut pas intégrer tant de “formats hybrides” ni de “nouveaux modèles”(qu’il s’agirait de définir) puisqu’il ne s’agit pas d’une instance privée avec possibilité de changement de statut et a déjà un très grands nombres de partenariats culturels de facto.
Bref, du bon bullshit néolibéral, pas si étonnant puisque nombre des signataires sont issu.e.s d'écoles de commerce, d'IEP ou d'écoles de marketing.
Si Mouv’ était vraiment aussi “essentielle” que le communiqué le prétend alors pourquoi ne pas avoir alerter plus tôt ? Pourquoi attendre que les choses soient désormais actées pour s’indigner? Et puis pourquoi ne rien proposer de concret ?

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Le communiqué s’arrête en effet sur un constat, sans appel à la mobilisation, ni préconisation concrète ou modalité d’action. A croire que l'objectif était d'attirer l'attention sur leurs médias plutôt que sur la radio publique. Un peu léger pour des gens qui se prétendent politisé.e.s.
Sauf qu'à regarder la liste des signataires de plus près, on constate qu’à l’exception d’une journaliste et de trois artistes qui tombent un peu comme des cheveux sur la soupe, l’intégralité des signataires sont des médias rap du web (youtube, instagram, X ou Twich).
Beaucoup ne sont pas validés par l’ensemble du milieu et ont pu tenir des propos jugés limites en termes de racisme ou de sexisme, ont commencé leur activité via Youtube pendant le confinement (donc ne connaissent pas vraiment la grande période HipHop de Mouv) et se rémunèrent déjà grâce à cette activité.
En quoi sont iels donc impacté.e.s "professionnellement" par cette décision ?
Telle a été notre question à beaucoup d’entre nous (jamais contacté.e.s pour participer à cette action pour des raisons que nous ignorons encore). Agir pour soutenir la cause, c’est bien mais si c’est pour la dénaturer et se donner des airs engagé.e.s faute d”avoir une véritable conscience politique, pour le coup, c’est vraiment pas HipHop.